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Je d'image

C’est la sonnerie de mon téléphone qui me réveille. Le petit « ting » d’Instagram qui se manifeste.

Il est tôt. La nuit se retire à peine, la lune traîne encore dans son sillage l’atmosphère d’incertitude qui lui est propre, en imprègne l’appartement. La lumière du soleil viendra dissiper la langueur, pour l’instant, les rêves s’attardent. Tout peut encore se permettre d’exister.

C’est Lun@bel qui m’a envoyé sa première story de la journée. Enfin, qui l’a envoyée à Sol_dia : moi sur le réseau.

Je me lève, me dirige vers la salle de bain me préparer pour lui répondre. C’est à l’autre bout de l’appart’. Je retrace à l’envers ma journée de la veille. La robe que j’ai mise pour sortir en boîte. Enfin, moi je ne suis pas sortie. Sol_dia a dit à ses abonnés qu’elle y allait. Dans la cuisine impeccable, la salade verte que Sol_dia a posté sur le réseau, à côté des restes de kebab que je me suis fait livrer. Je passe devant le salon nickel qui sert de décor aux stories de Sol_dia et qui jure avec mon couloir miteux.

Dans le miroir, je me regarde une minute. Mes cernes, mon visage pâle et fatigué, le vrac de mes cheveux. Je transpire la lassitude et le découragement, je fais tache dans le décor de Sol_dia. Je suis vide et insubstantielle. Une étrangère à moi-même. Je mesure dans la lumière crue à quel point j’existe bizarrement comme une imposture. Combien Sol_dia n’est pas moi. Elle est belle, mince, enthousiaste, elle a une vie trépidante, et toute une communauté qui la suit. Qui sait qui je suis réellement au fond ? Personne. Moi-même je n’en suis pas toujours certaine. J’ai le sentiment de vivre dans l’ombre de quelqu’un d’autre. D’être l’agent de Sol_dia.

Nos images se superposent sur le miroir. Qui est dans le reflet et qui n’y est pas ? On se ressemble, c’est comme être des jumelles. Une qui a tout, et l’autre qui se contente des miettes et de l’anonymat. Une qui vit, et l’autre qui sert. Mona ne vit que pour Sol_dia, et Sol_dia ne vit que pour sa communauté. On m’envoie des cadeaux, on me réclame tous les jours. Personne ne demande Mona. Personne ne veut connaître sa vie, Mona est une inconnue. C’est presque un fantôme, une silhouette de coulisse, l’envers de la caméra. Juste de la fumée qui ne bouge qu’avec mes courants d’air.

Le « ting » du téléphone revient, comme on sonne à la porte.

Le jour se lève dehors. Le doute que la nuit semait se dissipe. Les choses prennent leur place, leur certitude. Nouvelle story d’un autre ami virtuel.

Le monde m’appelle. Mona peut attendre.


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