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Photo du rédacteurCapucine

La chaise

La porcelaine explosa contre le lino de la cuisine avec un bruit mat. Matthieu resta là, sans bouger. L’assiette lui avait glissé des mains.

Personne dans l’appartement ne réagit.

Kate était toujours devant son dessin animé dont elle scandait la musique en rythme. Annabelle n’avait pas levé la tête de ses papiers, ni détourné sa concentration de son appel téléphonique pour voir ce qui s’était passé. Nicolas n’était pas sorti de sa chambre. Le chat n’avait pas ouvert l’œil depuis son perchoir au-dessus de la fenêtre.

C’était comme si l’assiette n’avait pas fait le moindre bruit, ou qu’elle avait éclaté dans un autre espace-temps, différent du leur. Un espace-temps où seul Matthieu se trouvait.

Il considéra ses mains. Elles tremblaient légèrement. Et puis, il avait l’étrange impression que ce n’était pas les siennes, de ne pas les sentir. De ne pas se sentir, lui-même. D’être vide.

C’était ça. La raison pour laquelle il avait lâché l’assiette. Le vide. Un instant fugace où sa nature de fantôme avait été si forte qu’il en était devenu un.

Matthieu passa son regard sur les éclats blancs qui constellaient le sol.

Un fantôme. Il n’y avait pas d’autre mot. Une forme d’effacement, d’inexistence. Le sentiment de n’être rien. De vivre parmi les ombres depuis le début des ombres, ou depuis son propre début. De ne pas avoir de vécu. Rien. Une forme de néant dans la silhouette d’un homme.

Sinon, pourquoi personne n’avait entendu l’assiette ? Pourquoi personne ne le voyait jamais ? Pourquoi était-il toujours celui qu’on oubliait ? Pourquoi était-il au second plan de sa propre vie ?

Une brûlure s’alluma brusquement dans son corps. Il tira vivement la seule chaise à sa portée pour ne pas s’effondrer par terre.

C’était comme vivre une sorte de faux sursis. Il vivait comme un mort en attendant d’en être vraiment un. Et tout le monde l’avait compris. Lui, il lui avait fallu tout ce temps pour s’en apercevoir.

La brûlure s’intensifia encore, pulsant avec son cœur. Les battements obstruaient ses oreilles. Il n’entendait plus rien.

Matthieu se leva d’un bond. Urgence. Il se saisit de son manteau au passage. Il sortit sans refermer la porte de l’appartement, sans que personne ne remarque rien. Personne à part lui.

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