top of page
Photo du rédacteurLouise

Le collectionneur

Chaque soir des rangées de courtes cuisses crèmes occupaient les rangs du trottoir de la place centrale.

Il était bon vous savez, d’observer ces bouts de femmes aux joues roses illuminées par la lumière des lampadaires, ainsi que leur bouille ronde qui contrecarrait avec leur dos défiant la verticalité de l’église.

Mon rôle à moi, était de m’atteler aux finitions. Mes chéries en rang, je fournissais des collants pour les débuts de cellulite, je retouchais les paupières étouffées par des fards clinquants, je débarrassais leur sourire du rouge gras qui ternissait leurs dents enfluorées. Rien que ça. Juste un travail de passionné.

Déontologie exige, je m’occupais de toutes avec la même attention. Mais je ne suis pas un menteur, votre honneur. Et ce serait mentir que d’affirmer que je n’avais pas de préférée. Après tout, enfant déjà, nous chérissions tous davantage certains jouets.

Il y avait ma Sophie, dont la poigne douce et légère narguait les paradoxes.

Il y avait aussi ma délicieuse Anna. Le fait qu’elle ait déjà un pied dans le métier m’avait très vite rassuré.

Sans oublier ma dernière. Ô ma Lola… D’abord en raison de ma morale je l’ai refusé, vous savez. Mais je suis un collectionneur avisé et ses jolies quenottes m’ont fait chavirer. Vous-même vous n’auriez pu vous en empêcher si vous aviez vu ce visage si frais ! C’était de sa faute, personne ne pouvait lui résister. La preuve, un soir, des doigts agacés comme des insectes l’avaient cassée. Oh ma poupée… Mon idiote de jolie poupée. Je lui avais pourtant appris à se laisser mener. Nous avions répété. Peut-être pas assez, vous me direz. Puisqu’en effet, faute de pratique, sous ces ongles, son corps fin comme une écharde est resté coincé. Mais ce soir-là, moi aussi, moi aussi j’ai perdu ma poupée.


Alors oui. Oui, maintenant tout semble indiquer que Lola aura treize ans à jamais. Mais moi, moi votre honneur, j’ai appris. Oui, j’ai appris. J’ai compris qu’il ne fallait plus prêter à n’importe qui ses jouets.


3 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Travailler sur son trauma.

Pendant longtemps je suis restée traumatisée par le souvenir d’un pantalon baissé pendant la cour de récré. Pensées un peu trop obsédées...

Le petit rôle

Le sourire pincé et l’air guindé je me complaisais dans une existence végétative qui avait le luxe de m’épargner l’embarras des besoins....

ma première fois

Il paraît que les premières fois ne sont jamais bien, voire, à oublier. Certains sont plus veinards et arrivent à marquer les esprits à...

Comments


bottom of page