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  • Photo du rédacteurLouise

Les conquérants de salon

Je me souviens des heures à s’ennuyer à l’intérieur.


Je me souviens des rendez-vous donnés et des rendez-vous ratés.


Je me souviens des amis qui m’accompagnaient et de ces visages que je ne reverrai sans doute jamais.


Je me souviens de la terrasse aux portes d’une minuscule chapelle.


Je me souviens de l’appartement de Simon visible depuis la terrasse et de l’appartement vide de Simon visible depuis la terrasse.


Je me souviens des chaises supplémentaires accrochées au monument de la place avec des chaînes en fer.


Comme vous le voyez, aucun souvenir filé ne se forme à l’évocation de ce bar.

Lorsque je me trouve à cet endroit, aucune contemplation. Juste un environnement bruyant pour me sentir au calme entourée de bruits sourds.

Ce lieu n’est composé que d’anecdotes, d’évocations, d’images décousues. Il n’occupe qu’une place fragmentaire dans ma mémoire. Pour être honnête, les rares souvenirs qui me restent sont le plus souvent fantasmés. Ils ont l’honneur ou le malheur d’être améliorés par ma pensée.


Toutefois je me souviens de ces populations à elles seules. Je me souviens de quelques habitants qui sont considérés par mon esprit comme les visages de ce lieu.


J’ai toujours été fascinée par les orateurs, les bruyants, les théâtreux, les personnes qui ne s’excusent pas d’exister. Et ce lieu avait pour don de me ravir car il était un microcosme d’extravertis divisible en deux catégories.


Il y avait les habitants du rez-de-chaussée, les danseurs, et ceux de la terrasse et des toilettes, les parleurs. Ces derniers avaient de la bouteille, savaient aborder sans déborder, de manière prudente et tout à fait maîtrisée. Ils savaient déployer une aura qui pouvait semer la zizanie ou faire taire une table composée d’une petite assemblée.


Même avec deux grammes dans le sang les parleurs n’avaient pas besoin d’être bruyants pour occuper l’espace alors on leur offrait notre attention. C’était mes spécimens préférés à regarder, bien que je ne sois jamais très à l’aise lorsqu’il m’arrivait d’être dans leur visée.


À l’intérieur, les danseurs quant à eux, étaient des dictateurs de trottoirs. Ils revendiquaient l’espace avec grossièreté. Leur conquête maladroite avait le don de m’exaspérer.

Je méprisais leur coup de jambe et leur coup de coude. Leur don pour bloquer la route et leur habileté à ne jamais rater ton pied. Leur vulgarité à aboyer pour de l’attention et leur culot à oser ce qu’ils n’ont jamais tenté.


Je me souviens de toutes ces raisons qui me font dédaigner les conquérants de salon. Malheureusement, passée une certaine heure, de nombreux clients se rangeaient dans cette dernière catégorie. Certains mieux que d’autres, la plupart étaient tolérables, le reste aurait mieux fait de rester assis et de regarder. Comme moi.

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