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Microfiction 1

J’en étais venue à la conclusion suivante : l’être humain se doit de muer. Pas littéralement, bien sûr, mais par parcelle, par couche, par strate. Le changement est le maître-mot de l’humain. Même s’il peut le détester, le changement lui l’adore, le loue, l’enveloppe. Le corps l’absorbe, l’ingère, le digère, fusionne. Ainsi, je me méfie de la fausse stase chez l’humain. Les apparentes ressemblances, les habitudes, les faux-semblants, les « rien de particulier » offerts à l’œil, qui les goûte et les dévore volontiers. Car rien n’est véritablement donné. Tout est jalousement jalonné, gardé, choyé dans des caisses personnelles, de petites valises que l’on trimballe partout avec nous, dans lesquelles se trouvent un historique parfait de nos versions antérieures, de nos brouillons, en bref, de nos mues. Pour ce qui est du corps, c’est facile : les dons gracieusement confiés sont visibles. Adviennent la puberté, les accidents, interviennent la génétique, les dégradations… L’homme est une terre meuble. Les os s’allongent, se fortifient, se brisent, se ressoudent, se délitent. Les poils et les cheveux poussent, les ongles croissent et s’arrachent, les cordes vocales s’épaississent. Le corps agit en véritable machine énergivore qui, au profit de plusieurs sources se modifie constamment. Jusque-là, rien de difficile à analyser. Cependant les idées ont aussi un coût – affirmer que rien n’a de coût, ce serait mentir, puisque qu’est-ce que le vide, sinon la mue que n’a jamais atteinte l’homme dans sa perception ? Les idées, donc, sont aussi un produit de consommation. Un produit issu d’une source, une énergie quelconque, un puits philosophique et savant, sans doute. Le mental s’édifie de ces assortiments d’idées, de paniers pleins à craquer d’idées, qui tombent, rebondissent et roulent même parfois sur la chaussée, presque sous la roue d’un véhicule. Les idées, pour être visibles, ont besoin d’être exprimées et de s’afficher au monde, d’exister au travers du spectre d’un humain parmi les autres. C’est peut-être cela, leur contrat originel, leur coût. Il faut les provoquer, les mendier, les leurrer, les attirer pour les capturer entre les parois du crâne, les traiter avec le cerveau, et les extérioriser par les doigts ou la voix. Nous sommes les commerçants des idées. Tout est bon pour les convaincre, les persuader de passer leur stade de nidification dans le creux de nos caboches soucieuses, pour qu’elles puissent se développer, grandir, et s’envoler le plus haut possible pour se démarquer des autres. D’autres que nous sélectionnent les meilleures, les mieux traitées, les mieux gardées, révolutionnaires ou charmantes, dans l’étal pharaonique des conceptions théoriques. Les idées sont des produits de luxe ; il y a rarement des promotions, et s’il y en a, on les repousse avec un sourire désolé, car peu ont envie de tenter de les mastiquer péniblement entre deux molaires, quitte à les émietter en esquilles. Le meilleur dans tout cela, par-dessus le marché, c’est probablement que la majorité des idées ne valent pas un clou, et qu’avec d’autres on bâtit des empires capitalistes. Celui qui marmonne « rien de neuf » fourmille quotidiennement de trésors inavouables.


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