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Photo du rédacteurEmm@

Observation 1

Mon vieux casque ne peut plus stopper les sons extérieurs. Comme des lunettes de soleil posées sur mes oreilles, les autres ne savent pas, mais j’entends tout. En l’occurrence, c’est plutôt calme, la saison touristique est passée. Devant moi se déroule le large ruban de la rivière qui s’étire jusqu’à l’autre bout de la ville, et plus encore. Aucun kayak ne traverse le lit sous le haut pont qui l’enjambe, alors le glissement de l’eau est régulier. L’eau poursuit son cours, paisiblement, et n’est secouée qu’en contrebas des petits rapides qui marquent la limite de la zone de baignade – en tout cas, pour ceux qui ne veulent pas se faire emporter. Sur la rive de cailloux qui ourle la rivière se trouve un groupe de trois petits enfants. L’un s’amuse à plonger la tête sous l’eau à intervalles réguliers en rigolant, une autre est en pleine construction méthodique de tours de galets tandis que le dernier, le plus jeune, qui ne tient pas encore sur ses deux jambes potelées, est hypnotisé par une tasse en plastique rouge qu’il remplit et verse continuellement devant lui. On assiste à leurs chamailleries lorsqu’ils ne s’entendent plus, et que l’un des deux grands décide de partir sur un coup de tête pour cueillir des algues au centre du lit. La rivière ne se creuse pas abruptement, c’est pourquoi il est possible d’y circuler longtemps avant que l’eau n’atteigne les hanches ou le ventre. En revanche, le courant y est particulièrement puissant lorsqu’on s’approche de la rive opposée, qui abrite un camping dans lequel il n’y a personne. La terre y est sablonneuse, contrairement à la rive côté ville, qui est uniquement constituée d’herbe et de galets visqueux. Les petits ont leurs pieds chaussés de claquettes, certains adultes aussi, le sol est glissant et désagréable. Ceux qui n’en portent pas arquent légèrement la plante des pieds et les jambes pour ne pas mettre trop de pression sur leur peau, et se ruent plus vite à l’eau. Passée la bande de pierres polies – ou non – par l’érosion, est plantée une rangée de saules pleureurs qui confèrent de larges zones d’ombre. Un seul a été tronçonné, et la souche dépérit peu à peu. Plus en amont sont dispersées quatre tables de pique-nique où seule une femme est assise, à califourchon sur le banc, en train de surveiller l’un de ses chiens descendu vers la rivière. Son sac de randonnée bleu est posé sur la table, une gourde en métal à côté de lui. À ses pieds est couché son autre chien, un berger australien plutôt jeune, au pelage tricolore toujours sec. Ses yeux clairs regardent en ma direction, sa gueule est entrouverte. Sa langue lèche son museau et il fixe à nouveau son congénère quand un des enfants crie plus fort que les autres fois. Sa maîtresse a le visage fermé, les sourcils froncés. Elle surveille attentivement son autre animal, un border collie au ventre trempé, qui s’approche des enfants, les oreilles dressées.

Une traînée de nuages grisâtres masque le soleil, la rivière s’assombrit momentanément.


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