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  • Photo du rédacteurManon

Portrait en "je"

Jeudi 24 avril 20**


Cher journal,


Je ne comprends plus ceux qui m’entourent. Quand ils parlent, ce n’est que « moi », « moi », « moi ». Mais c’est qui, moi ? Un être pensant ou feignant penser ? Ce n’est qu’une personne qui se croit en train de réfléchir, vainement. S’est-il demandé un instant de ce que l’on en avait à faire de ses « Prouesses » ? Non, bien sûr. Il cultive juste le culte du « moi ». Il ne vit qu’aux dépens des autres. S’il ne se sent plus admiré par ses groupies, il n’est plus rien. Et pour ma part ? Quel intérêt de dire « je » devant les autres ? Je ne suis qu’une gamine dans son coin, à qui on ne veut pas parler parce que ça n’intéresse personne. Enfin, c’est ce qu’ils disent ! Quand on parle de soi, on ne le fait pas vraiment. C’est vide, c’est un néant. « L'homme fort dit : je suis. Et il a raison. Il est. L'homme médiocre dit également : je suis. Et lui aussi a raison. Il suit. » disait Victor Hugo dans Littérature et philosophie. Ce n’est pas de nous dont on parle mais c’est une vulgaire représentation améliorée de ce que nous sommes. Nous n’aimons pas parler de nos défauts, il faut que nous soyons le plus parfait possible. Plaire mais sans instruire. À qu’ils sont beaux nos Anciens à chercher la convergence de leur placere et d’un docere ! Aujourd’hui, on fuit ceux qui veulent les réunir. Si on me parle ce n’est que pour dire à quel point la fille qui est Miss France est moche et idiote. Quand je parle, c’est pour dire que les romans de Camus sont plus instructifs que leurs breuvages télévisuels. On se rie de moi et on s’en va. Et je reste là, seule, entourée de Dumas, Hemingway ou autres Shakespeare et Hugo. Mon « je » n’existe pas si ce n’est qu’au travers des belles paroles des autres, des vraies ! Et voilà journal, je me mets à faire comme eux. Je donne l’illusion d’être intelligente par mes lectures. Je te donne l’illusion que je suis parfaite, lisse et sans fond. Je ne vaux pas mieux qu’eux en fin de compte. Mais qui irait dire aux autres les torts qu’ils ont faits ? Les maux qu’ils ont causés ? Personne. Parce que l’on enterre les vieux dossiers sensibles dans un coin en espérant que l’herbe y repoussera plus verte. On vit sans tirer des leçons de nos erreurs. On les oublie pour mieux recommencer plus tard. Qu’en penses-tu Journal ? Oui, tu as raison. Ce monde est fou. Ce monde est idiot. Je suis sûre que nos têtes pensantes, les vraies, doivent pleurer en voyant le monde dans lequel nous sommes aujourd’hui. « Qu’ils sont beaux nos héritiers ! » doivent-ils se dire. Que j’aimerais tant être leur porte-voix. Je finirai bien par citer Rozanov « Extérieurement, je suis déclinable. En moi-même (subjectivement), je suis absolument indéclinable. « Je ne m'accorde pas ». Un « adverbe » en quelque sorte. ».

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