top of page
  • Photo du rédacteurEmm@

Pour elle

C’était à cette période de l’année que l’on trouvait ses friandises préférées : de petits palets bleu cosmique emballés sous plastique et noués par un ruban de papier à la manière des sucettes. Elle les traquait dans la vitrine de la confiserie artisanale qui se tenait à l’angle de notre rue, impatiente, adorable. Je ne trouvais pas la même attirance à ces morceaux gélifiés enduits de sucre et de colorants d’origine douteuse, mais pour elle, j’aurais acheté tous les stocks chaque matin. Le sourire qui étirait ses joues faisait alors pâlir d’envie les passants qui la fixaient tandis qu’elle déambulait joyeusement sur les trottoirs, la mandibule occupée de bonbons fourrés à la hâte dans sa bouche.

Cette période signifiait aussi que nous devions nous organiser avec minutie. Les boulevards s’emplissaient de couples, de familles, de gens quelconques qui, à toute heure, venaient faire un achat « pour faire bonne figure » auprès de l’être aimé. Petits cœurs en sucre, restaurants, cinémas, banderoles de soldes, fleuristes, baisés volés, disputes, chocolats. La ville se transformait le temps d’une journée en un petit théâtre. Elle en avait à présent l’habitude, elle aussi. Après notre razzia chez le confiseur, nous nous hâtions donc au vidéo club situé à quelques passages cloutés d’ici. Par sécurité, j’avais passé un coup de téléphone la veille pour réserver son film préféré, histoire qu’elle ait la surprise. Ça n’échouait jamais, ses yeux pétillaient, même si je soupçonnais qu’elle exagérait un peu et qu’elle avait fini par découvrir le truc.

Passée la porte de l’appartement, je la laissais faire. Elle avait son rituel : d’abord, ranger un peu le canapé. Les coussins ordonnés, la couette fichue sur le côté, pour nous laisser de la place. Elle tirait ensuite la table basse pour l’aligner en face du canapé, disposait soigneusement ses friandises dans notre compotier, éteignait la lumière pour laisser filtrer celle du dehors entre les persiennes du salon, puis seulement à ce moment, j’intervenais en allumant le lecteur de DVD – et encore, elle s’occupait d’insérer le disque avec une fascination non dissimulée quand l’appareil l’avalait pour le lire.

De mon côté, je sortais généralement une bière du frigo, ou prenais un thé pour accompagner notre séance de cinéma faite maison. Je lui laissais les faveurs de notre chat Gribouille qui ronronnait sur ses petites jambes, la tête rentrée, aussi à l’aise que nous. Puis on regardait le film. Elle le connaissait par cœur, à tel point que je voyais ses lèvres aux commissures encore bleues remuer dans la pénombre pour dicter les dialogues des personnages, sans qu’elle ne me remarque. Je souris à mon tour. Je passais un bras autour de son cou pour déposer un bisou sur sa joue – elle était vraiment concentrée, car elle ne daignait même pas se dégager de mon bras.

Les autres pouvaient bien se vanter de leur partenaire à la St-Valentin. Personne n’arriverait jamais à la hauteur de ma fille.


1 vue0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Travailler sur son trauma.

Pendant longtemps je suis restée traumatisée par le souvenir d’un pantalon baissé pendant la cour de récré. Pensées un peu trop obsédées d’un gamin du même quartier, la mémoire m’a tenue éveillée jusq

Le petit rôle

Le sourire pincé et l’air guindé je me complaisais dans une existence végétative qui avait le luxe de m’épargner l’embarras des besoins. Ravie d’être sous les projecteurs, à cette époque, je n’avais p

ma première fois

Il paraît que les premières fois ne sont jamais bien, voire, à oublier. Certains sont plus veinards et arrivent à marquer les esprits à leur façon. Ça n’a jamais été mon cas. Aujourd’hui, c’est la pre

bottom of page