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Seule au monde


Je suis tombée ce matin et n’arrive plus à me relever. Je crois que je saigne. J’ai essayé d’appeler à l’aide, mais ma voix est comme bloquée dans ma gorge.


Je n’ai vu personne depuis plusieurs mois, si ce n’est plusieurs années. Mes enfants vivent leur vie loin de moi, disparaissant peu à peu de la mienne. Je me demande s’ils se rappellent mon existence. Maintenant qu’ils n’ont plus besoin de moi, ils n’ont plus besoin de me voir. Je n’ai jamais vu ni entendu mes dix-sept petits-enfants.


Mais je peux entendre la pluie tomber et mes voisins bruyants à travers le papier fin qui nous sert de murs. Ceux sur ma droite sont un jeune couple. Leur appartement est neuf, contrairement au mien. Maintenant que j’y pense, je crois que je ne les ai jamais vus, et je ne les verrai jamais.


Sur ma gauche, une famille. La petite a un sac à dos avec des ailes de papillon, et, dans la rue, elle s’amuse à voler en battant ses ailes. Je l’ai toujours trouvée adorable. Elle me dit bonjour quand je la croise dans les couloirs de l’immeuble. Ses parents travaillent beaucoup et rentrent tard le soir. J’avais proposé mes services pour la garder, comme ça, j’aurais eu de la compagnie, mais j’ai bien compris que j’étais trop âgée pour eux. Je ne leur en ai pas voulu. Il est vrai que je n’ai plus la même force que dans ma jeunesse.


La pluie s’arrête. Le pétrichor embaume mon salon. Une myriade de souvenirs embellit mes derniers instants, comme ma rencontre avec mon défunt mari où la pluie tombait dru sur nous mais qui ne nous empêcha pas de discuter pendant des heures de tout et de rien. Il me manque. Mais plus pour longtemps. Je vais le rejoindre maintenant. Apaisée. Personne ne va s’en inquiéter. Il ne me reste plus qu’à fermer les yeux et à dormir à jamais.


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