Il devait être dix-neuf heures. Peut-être. Je ne sais pas. Je ne suis pas sûre. En vacances, je regarde très peu l’heure. Je vis à mon rythme, celui du reste du monde m’importe peu.
J’ai pris trois euros dans ma poche, et je suis sortie sans mes chaussures. Il y avait des flaques froides sur l’allée extérieure qui m’a conduite de l’appartement à l’escalier le plus proche, puis au rez-de-chaussée et enfin sur le trottoir.
La résidence où nous logions donnait directement sur une longue butte qui recouvrait des bunkers du mur de l’Atlantique, juste devant l’océan. On était à, littéralement, cent mètres du front de mer. La butte était recouverte par une pelouse bien grasse que j’appréciais particulièrement. Mais j’ai pris à gauche pour gagner l’allée marchande et notre vendeur de glaces de prédilection. C’était mon rituel du soir pendant les vacances à Biscarrosse.
J’ai descendu la rue en prenant garde à ne marcher sur rien de dangereux. Du glacier, je connaissais les parfums presque par cœur parce que j’y allais tous les jours, alors je n’ai pas vraiment hésité. Et mon cornet à la main, j’ai remonté l’allée jusqu’à la route, puis plus loin jusqu’à la petite place, et plus loin encore jusqu’à la plage. D’habitude, il y avait ma sœur avec moi. Mais cette fois-ci, j’étais seule.
De nombreuses familles se trouvaient déjà là, dont plusieurs avaient eu la même idée que moi – ou moi la même qu’eux, peu importe.
Le soleil plongeait doucement vers la ligne d’horizon à gauche, tachait le ciel d’orange et de jaune. L’océan faisait un bruit creux et doux, avec de petites vagues, comme si lui-même se reposait des fracas de la marée haute. L’eau avait pris une couleur glauque.
J’ai marché ainsi longtemps. Les remous salés venaient buter contre mes chevilles. J’ai fini ma glace. Le soleil a achevé sa course pour finir de disparaître. Il ne restait dans son sillage que des traces de couleurs ternies. Je m’étais éloignée de l’agitation, maintenant, il n’y avait plus que moi et quelques épars autres inconnus.
Je suivais la ligne de la plage en direction du wharf de la Salie, un tuyau particulièrement moche dont la fonction est de rejeter dans l’océan les eaux usées et les déchets industriels des usines alentour. À vol d’oiseau, c’était à dix kilomètres de ma position. Je l’avais rejoint une fois, pour voir. C’était sale et hostile. Ça puait. Je n’y retournais plus. Mais c’est une destination très amusante, parce qu’on jurerait que le tuyau est à trois kilomètres de nous, pas plus. Et que plus on s’approche, plus on a l’impression que le wharf recule.
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