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  • Photo du rédacteurSuzanne

Dis-moi Enola

« Ce n’était plus une enfant, elle était mature vous savez.

On s’aimait plus encore que deux amants ; nous étions destinés ! »


Ces mots furent les derniers prononcés par T., romancier (un peu trop) apostolique aux yeux de la nation selon mon opinion. Caducité de la liberté fatale, il avait murmuré dans ce micro posé là devant, sur le bureau. Il avait imaginé un amour qui s’étendrait jusqu’à toujours et lui avait imposé ; pauvre petite qu’était Enola G. Célébrer son quinzième été en étant enterrée du fait de l’imagination dévergondée d’un type ayant deux fois ses quinze années. On disait qu’elle avait été violée, puis enterrée vivante ou peut-être étranglée, mais il ne s’agissait guère que de rumeurs ne cessant jamais de se propager ; jamais le père n’avait daigné détailler les faits, et donc jamais le feu n’avait été coupé. Pire qu’un incendie en Australie, les langues de vipère opèrent et prospèrent. Ainsi, ce cher Monsieur T., avait été condamné non pas à perpétuité mais bien à sa fin. D’ici quelques années, Monsieur T. serait exécuté.

Au centre de ce brouhaha, il y avait Lui, larmes au bord des lèvres. Lui qui souriait malgré lui. Il était là, il avait toujours été là et elle ne le serait plus. Amoureux à quinze ans, probablement pas. Néanmoins ce n’est pas pour autant qu’il n’aimait pas Enola. De toute façon, si on connaissait un peu Enola il n’y avait pas moyen qu’on ne l’aime pas. Mais entre eux, c’était légèrement différent. Voisins de quartiers, toujours occupés à jouer, presque jamais on ne les voyait séparés. Sauf cet été. Lui avait travaillé dans un village éloigné, Enola était restée et lui avait été arrachée. En résumé, Enola avait été tuée et Lui ne parvenait toujours pas à l’accepter.

*

Plusieurs années s’étaient écoulées depuis le décès d’Enola, et quelques mois depuis celui de T. Il avait enfin été condamné à crever ; il le méritait. Lui avait été soulagé. Lui s’était même installé devant le bâtiment où aurait lieu la fin de tout son chagrin, le temps qu’un gardien lui précise que c’était fini. Alors Lui s’était installé sous les étoiles, s’était mis à chercher Enola parmi elles mais ne la trouvait pas. Enola n’était pas là. Enola n’était plus là. Peut-être que Lui l’aimait en fin de compte, un peu plus que Lui ne l’aurait espéré. Après son décès Lui s’était engagé dans une formation pour finir policier, pouvoir protéger ceux qui lui restait. Impossible de savoir si Lui réussirait mais Lui ferait tout pour, comme toujours. Un soupir se fit entendre, puis un bruissement. Ce n’était pas les siens, mais il ignora et murmura.


« Enola, si seulement tu étais là.

- Mais dis-moi, c’est que tu penses encore à moi. »


Et là, juste après la teinte de sa voix, l’ombre d’Enola se dessina à la place des étoiles. Lui, l’avait enfin trouvée et semblait peu s’en étonner. Penchée sur le côté, elle l’observait sans avoir changé – en oubliant les changements obligés, provoqués par ces quelques années passées.


« Je m’en doutais. Je ne te trouvais jamais dans ce ciel étoilé.

- Je sais. C’est pour ça que tu souriais lors de cette journée, presque autant que tu pleurais. »


Lui marqua une pause, ne répondant pas dans l’instant avant de la questionner, conscient qu’il risquait de finir dévorer.


« Dis-moi Enola, pourquoi avoir fait ça ?

- Tu ne sais toujours pas ? »

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