Tout était difficile : me lever le matin, monter dans le bus, descendre du bus, pénétrer dans l’antre de tous mes cauchemars. À partir d’ici, plus aucune loi humaine ne comptait, seulement la survie. Reprenaient alors les brimades : regards, chuchotements, moqueries, insultes, crachats, coups.
Pourtant, ce jour-là, pendant que lui et sa bande me maintenaient encore une fois la tête dans la cuvette, je le sentis dans mon corps. Mon ventre bouillonna, et pendant que mes poumons essayaient de reprendre leur souffle après que mes bourreaux m’ont abandonné là, mon cerveau me hurla que je me vengerai, que je deviendrais plus fort qu’eux, plus intelligent qu’eux, plus puissant qu’eux. En bref : meilleur qu’eux.
Commença mon programme intensif : sport matin et soir, lecture et révision dès qu’un instant de libre s’offrait à moi. Cet objectif me permit de tenir, d’avancer. Mon corps avait changé, j’étais le meilleur dans tout.
Un matin, j’eus trente ans. J’étais un homme réussi : le meilleur dans mon travail, le mieux payé, avec la femme la plus magnifique et les enfants les plus exceptionnels. J’organisai une réunion d’anciens élèves. Je voulais leur montrer. Ils étaient tous venus. Je me pavanais devant eux, leur exposant ma réussite. Soudain, il s’est approché, le chef de la bande, mon ennemi. Je le regardai avec mépris, quand il me lança ces mots : « Je suis venu te présenter mes excuses. Ce que tu as subi était injuste et nous nous en voulons tous énormément. Je suis heureux de voir que tu es celui qui s’en est le mieux sorti. ». Un goût amer s’insinua dans ma bouche et dans mon estomac. J’aurais dû être fier et soulagé, mais je ne ressentais qu’un profond dégoût pour moi-même. J’avais réussi selon leurs critères, pour leur prouver. Je n’aimais pas ma femme, mes enfants étaient exécrables, je détestais mon travail. Je n’avais aucun autre objectif dans la vie, je n’avais jamais rien fait pour moi-même.
Ce constat me donna l’impression de replonger tête la première dans les toilettes.
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