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- La Pieuvre
Atelier slam : composer un texte en choisissant, parmi nature, chair et haine, un ou plusieurs de ces mots tout en changeant une lettre et son/leur sens. Tentaculaire nature humaine Faite de sang Et de chair Mais sans aucun sentiment Travail à la chaîne à l’usine À s’esquinter la santé En 2X8 En 3X8 En 4X8 En 5X8 Et H 24 Car Faut pas arrêter la machine Et puis Faut faire du chiffre Tant de douleur et de peine Ouvriers jetés en pâture Pour un salaire de misère Tout en gagnant suffisamment Pour ne pas crever la bouche ouverte La servitude volontaire Sueur et bruit Fatigue et furie Pour faire plaisir à des patrons Ventripotents Qui s’en balek Lis tes ratures Chaque travailleur est interchangeable Un simple pion posé sur un échiquier Pour une partie d’échecs Que Dieu fait avec la Mort Et moi dans tout ça Du haut de mon perchoir Je voulais pas choir Mais plutôt m’asseoir sur tout ça Le cul entre deux chaises La bouche en cul de poule Sur un beau magot Sur un beau pactole Comme un singe en hiver Mais direction soleil Et une paille dans mon verre Palmier Cocotier Les doigts de pied en éventail À me la couler douce Chaise longue Plages de sable fin Comme sur les cartes postales Qui font rêver Tangas et bikinis Juste pour le plaisir des yeux Quelque part sur les îles Tonga Ou bien à Wallis-et-Futuna Colliers à fleurs Danses tahitiennes Ou hawaïennes Au son des ukulélés Oui me la couler douce C’est tout ce que je voulais Mais hélas la Pieuvre Ne me laissera pas en paix Bailler aux corneilles Chiller Ce n’est pas un comportement très mature Pour un toubab un Ti blanc Allez hop au boulot ! Métro boulot dodo Le travail c’est la santé Finie la récession Du travail y en a à chier Pourvu que ça dure Pas de quoi se tourner les pouces Jusqu’à ce que ça sature Jusqu’à ce que ça casse À trop tirer sur la corde Raide Avec des raideurs partout Comme les cadavres Jusqu’à ce Que le corps dise STOP Lumbagos Tendinites TMS Burn-out Et MST Jusqu’à la retraite Et même après L’ossature pourrie Du bateau ivre Hydre de Lerne Embarquée Au milieu des Ti punch et du rhum À porter des pagnes Et des chemises à fleurs Le torse à l’air Et les idées au clair À se bercer d’illusions Dans un hamac Là où les cases sont en paille Et les filles peu farouches Dans une sorte de paradis terrestre Mais bientôt le grand méchant loup Viendra souffler sur tout ça Ou plutôt la Pieuvre Viendra nous planter Ses tentacules urticants Ses miasmes Et ses maladies Là où ça fait mal Mal de crâne Mal de tête carabiné Au point de se tirer une balle Pour faire passer la douleur Tracer dans l’air Des obliques rouges et fugitives Mais j’ai mal à l’aine Ou plutôt mal à l’aise Timide et bafouillant Étouffé par la malbouffe De notre continent Développé Mc Donald Burger King Et tutti quanti Tous les affameurs De tous les pays Y a rien de plus mauvais L’huile de palme La Déforestation Le Progrès La Société La Récession Ou bien encore l’Inflation La dépression De notre société De consommation L’obsolescence programmée Le Capitalisme Ramure Armure Armurier Quelle drôle d’allure Il faudrait peut-être Penser à Réduire la voilure Pour peu que ça te rassure Dans un ciel bleu azur Et sans couche d’ozone Pour nous protéger Des radiations nocives du Soleil Un avion supersonique long courrier Dessine un trait Au blanco Dans le blanc opiacé de tes yeux Là où coule encore une larme Pleine d’espoir Sauf que tu te berces d’illusions Une fois encore Il s’agit ici d’un noir horizon La pollution Le réchauffement climatique La fonte des glaciers La montée des eaux Pour un nouveau Déluge Annoncé Un nouvel Arche de Noé Après les Twin Towers Dans un mauvais remake De Babylone Electro-pucée La misère humaine Le Tiers monde La Covid19 La pandémie mondiale Et le confinement forcé Qui nous prive encore un peu plus De notre liberté Nous rendant d’autant plus asservis À la machine Et esclaves du système La roulette tourne Faites vos jeux ! Mais déjà tu tournes de l’œil Et les talons Vas-y c’est bon casse-toi Ma vahinée Aux lèvres sucrées Sucre de canne Canne à sucre Esclavagisme La guerre de sécession La traite négrière Le commerce triangulaire Les champs de coton Vanille et Aloe Vera C’est sans doute mieux comme ça Moi je resterai là Les doigts de pied en éventail La tête sur mes bras croisés A regarder d’en bas Bien sagement Les avions qui passent Dans tout ce bordel Qui nous sert de ciel Et d’avenir bouché Et sombre Sauf que la Pieuvre Au fond de moi grandit Sans espoir de rémission L’argent n’a pas d’odeur Mais le fric sent la friture Le big-mac L’alcool bon marché Et les putes Le sang pue le fer Et l’oxydation Qui en résulte avec l’air Le fer que l’on plie et débite à l’usine Le dos plié sur la machine Pour finir manchot A quarante piges Handicapé Et cassé De partout Des douleurs aux bras Aux mains Aux coudes Aux épaules Aux jambes Aux genoux Au dos Et alors on prie Quand il est trop tard Quand on croit encore bien naïvement Que notre état va s’améliorer Cloué sur un lit d’hôpital Blanc et froid À regretter Ces moments de folie Et de détente Que toute notre vie On n’a pas pris Et puis tant pis… XK (Limoges, le 19-11-21)
- – Comment allez-vous Victor ?
"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa) Maria Callas sings "Casta Diva" (Bellini: Norma, Act 1) – Comment allez-vous Victor ? Victor croisa les jambes. Il fixa longuement du coin de l’œil la dame à la blouse blanche, puis sourit. Il décroisa les jambes, pour les recroiser dans l’autre sens. Là il était bien. Ses doigts malhabiles voulurent gratter sa barbe, mais la camisole blanche les retenait. Victor soupira brièvement devant cet échec, puis ne fit plus rien. – Vous me paraissez pensif Victor, quelque chose vous tracasse ? Le trentenaire songea un instant. Il repensa au goût qu’avait le flingue qu’il avait utilisé sur Pierre-Emanuel Juste. Froid, ferme, rond. Cela lui remit une fois de plus un sourire sur la bouche. – Vous ne semblez pas comprendre, c’est pour votre thérapie que nous avons ces sessions. Vous avez pleinement le droit de vous exprimer ici, pas de jugement. Je sais, avait-il envie de répondre. Je sais, aurait-il dû dire. Je sais, regretta-t-il de n’avoir pas dit. Il songea une fois de plus, et se revit sur scène. Tout était imprimé sous son crâne. Il revoyait les jeux de lumière, ressentait la tension de la foule, entendait les murmures des spectateurs. Pierre-Emanuel devant lui, avant que sa tête n’explose en confiture de fraise. Le pistolet de jeu avait été remplacé par un vrai à la dernière minute. Pas pour sa vengeance personnelle, c'eût été trop beau. Pour le spectacle. Pour le spectacle de toute une vie et de plusieurs, cinq-cents en tout. A jamais marqués par le braoum du pistolet. Bien fait. – Bien, je vois que vous ne semblez pas prêt à parler, on va remettre ça à un autre jour. – Vous savez ce qui est drôle ? La dame à la blouse blanche haussa un sourcil. Elle ne semblait pas comprendre où voulait en venir le patient. Elle prit la parole. – Qu’est-ce qui est drôle Victor ? Ce dernier ne répondit pas, et se contenta de sourire, un peu avachi. Les rayons de lumière filtraient à travers les rideaux grillagés, comme des gouttes de café passent le filtre de la cafetière. Il avait envie de répondre que la vie elle-même était drôle, qu’elle méritait un rire franc. Pourtant, il ne dit rien. Sans vraiment savoir pourquoi. Il souriait, c’était là la seule chose dont il était certain. C’était déjà ça de pris. Il respira doucement, et prit une inspiration. – Ce qui est drôle ? Eh bien… Il se leva brusquement, du moins tenta. La chaise à laquelle il était attaché ne bougea pas d’un centimètre, elle était boulonnée. Lui resta assis, comme un idiot. Un nouveau sourire perla. – Faites comme si je n’avais rien fait. Il se tut, et l’infirmier le raccompagna jusque dans sa chambre. C’était la deuxième fois qu’il faisait une connerie de ce genre. Il aurait sans doute piétiné la dame en blouse blanche s’il avait pu. Refaire de la confiture de fraise sur ses chaussures. Ça, ça aurait été bien. Une fois dans sa chambre, Victor s’endormit paisiblement, comme si de rien n’était. Un autre jour à Sainte-Marie, asile de son cœur.
- Étoile
"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa) Maria Callas sings "Casta Diva" (Bellini: Norma, Act 1) Un silence absolu plane, puis cette mélodie l’invite à se libérer de la pesanteur. Du bout des orteils, elle se réveille et trace sur le sable une vague. La caresse des grains l’enjoint à s’étendre encore plus loin. Cela remonte du fond des temps et de son cœur et corps cambré. Sa cheville, le genou, son bassin ondulent lentement et librement, ses bras jusqu’à ses doigts suivent le mouvement. La Lune l’observe, curieuse de son attitude, elle appelle son frère le Soleil à scintiller plus fort. La courbe de sa nuque s’expose à son rayonnement. Un battement, et la voilà qui s’envole, plume aussi légère que l’air, elle s’emporte dans l’atmosphère sans penser à hier. Elle tourne, volette, virevolte, tourbillonne dans le vent du ballet des feuilles d’automne. Elle devient oiseau. A tire d’ailes, elle s’immisce au milieu des volatiles, joue dans un cercle d’hirondelles. La terre l’attire de nouveau, elle plonge en grand écart tout près, encore plus. Corps et âme elle l’enlace, ne fait plus qu’un avec la poussière. Soudain, elle remonte à la surface et se ré-envole en sissonne. Le monde est beau en bas mais elle préfère élever son regard vers la voûte céleste. Elle escalade les cieux, plus haut, encore plus haut, une cascade de flammes dans les yeux. Oiseau de feu, elle est comme un éclair dans la nuit étoilée qui file et tisse des arabesques avec volupté. Elle se sent la reine des airs, seule dans son univers où tout n’est qu’ordre et beauté… Ses fouettés moussent les nuages en neige, elle atteint le firmament, un luxe dont elle n’osait rêver. La voie lactée lui trace son chemin bordé de brillantes lumières. Étoile. Alors, doucement, tandis que la musique s’apaise, elle redescend. Tel un cygne qui amerrit avec grâce et calme sur le lac d’argent, elle se repose sur terre, les pieds ancrés au sol et les bras en couronne.
- Le rose de la vie qui vacille...
Écrire une page (au maximum un feuillet A4) en usant du procédé décrit par Raymond Roussel dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. Rédiger un texte incluant deux phrases identiques à l’exception d'un paronyme qui en change le sens. Puis "les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde." (consigne de Jean-Michel Devésa) Le rose de la vie qui vacille. L’instant d’avant n’était que paix, l’instant d’après était tourment. Que de tristesse dans mon âme et que d’émotions dans mes larmes, ce souvenir, pour toujours, hantera mon cœur. Puisque la vie m’a faite enfant et puisqu’enfant je suis en vie, jamais je n’oublierai ce moment. C’est à n’en point douter l’essentielle tonalité du ciel et du soleil couchants. Par-delà la brume de ces sombres événements, je m’imagine pourtant m’élever au rang des étoiles. Je me revois encore rêvant de ces doux moments d’avril, quand la faune et la flore s’animent pour en faire un merveilleux instant. Intouchable. Intouchable et pourtant touchée par cette morne fatalité qui arrive dans une vie sur dix – et que pourtant je n’accepte pas –, lui qui m’a prise pour une complice. Il ne m’a rien demandé, je n’ai donc pas pu refuser les gestes et les mots qui disent que je suis une gourmandise pour son palais intéressé. Prière. Prière pour moi, pour mes frères et sœurs souillé.e.s comme moi qui n’aurons jamais de répit dans cette existence à demi et qui nous souviendrons toujours de ces mots et de ces mains lourds comme autant de coups martelés par des millions d’humains coupables. Je revois le silence palpable, comme ma peau et mes bras nu.e.s, ce silence profond et lourd qui m’empêche de vivre le jour et de rejoindre Morphée la nuit. La nuit. La nuit avide et longue qui fait tourner dans ma tête toutes les images de l’inceste qui m’envahissent et me torturent comme un millier d’aiguilles dures sans qu’on me les retire jamais. L’oubli, j’en rêve si souvent mais on dirait que dans son élan la vie ne cherche qu’à me nuire, à rendre chaque instant houleux et à m’empêcher de la fuir. Fuir. La fuir ? En voilà une bonne idée – pourquoi n’y avais-je pas pensé – vous avez d’autres choses à m’apprendre ? Comment la fuir, par exemple ? Le sang qui coule n’est pas le mien, c’est celui de mon funeste destin qui s’est introduit dans mon corps. Mon cœur bat si faiblement qu’à tout moment je m’attends à ce qu’il s’arrête enfin. Les secondes s’écoulent lentement – je pense toujours à CE moment – et j’attends qu’autour de moi tout s’éteigne. Je sens alors à cet instant que j’ai fait le bon choix ; vivre, je ne le leur dois pas. Le corps qui repose, inerte. La rose de la vie qui vacille.
- Cendres et poussières
Atelier slam : composer un texte ayant pour thème chair et haine avec des mots au choix. Blessé dans la chair De ma chair Je suis un homme tombé Au combat Le visage défiguré Des cicatrices Plein les bras À fleur de peau Ou à couteaux tirés Le sourire dessiné À la craie Sur le fil du rasoir Le nœud pap En guise de corde Ou bien suis-je Une bouteille de gaz Prête à exploser Comprenez bien Que je suis mal dans ma peau Je suis un écorché Les nerfs à vif À me battre contre moi-même Dans un combat perdu d’avance Devant ma vie Ma mère se désespère C’est que je dois sans doute Être par trop Désespéré Mélancolique Et une cause perdue Je suis bon à enfermer Comme Antonin Artaud À me passer la camisole de force Pour me soigner à grands renforts D’électrochocs J’ai des pulsions parfois Des envies de meurtre De tuer le père Régler mes comptes avec Mon géniteur Puisqu’un jour Il le faudra bien Ou bien Sans doute Me tuer moi-même Me mettre hors-la-vie Pour plus souffrir Dans la chair de ma chair Dans mes entrailles béantes Mes yeux sont asséchés de larmes Le mascara coule Sous les paupières Et les cicatrices à mes bras S’ouvrent béantes Pour m’attirer au fond d’un gouffre Je me perds Dans l’alcool À toucher le fond Parmi mes semblables Les paumés Dans les bas-fonds Les marginaux assoiffés Défilent dans ma maison Ainsi que les filles de joie Mais aucun corps chaud Ne me réchauffera Aucune chaleur humaine Aucun amour Aucun je t’aime Je dois sans doute avoir une araignée noire Au plafond À tisser sa toile Dans laquelle je m’empêtre À chaque jour que Dieu fait Et que mon soûl défait Jusqu’au lendemain Avec d’horribles visions Des migraines atroces Et sans nom La tristesse est pour moi une consolation Ça veut dire entre autres que je suis vivant Mais pourtant Je n’arrive plus à trouver la paix Je n’arrive plus à fermer les yeux Sans faire de cauchemars L’insomnie me gagne Et la déchéance gagne sur moi C’est un cercle vicieux Un serpent de feu Qui se mord la queue De même Ma mâchoire veut mordre Dans la viande tendre De cette main Que tu me tends Tu veux me venir en aide Me sauver Me relever de la rue Mais pour quoi faire ? Je suis mon propre prédateur Mon principal ennemi Et je vise l’autodestruction À petit feu À doses de lendemains À la gueule de bois Qui déchantent À me tordre de douleur Par terre Devant la cuvette des chiottes À dormir dans mon propre vomi Et à nettoyer chaque jour Les traces de mon inaptitude De mon inconséquence Et sans doute même De ma Folie Mais c’est ainsi Je ne peux pas lutter contre ça Je dois m’efforcer de ressembler À ce reflet qui me fait face Devant la glace Et que tu as toujours vu en moi Un fantôme de tristesse Ou bien encore Un clown triste Qui me fait la grimace Et qui hurle profondément En trouant le silence obscur de la Nuit Comme le cri de Munch Bas les masques ! Je ne suis pas une bonne personne Je suis un être fragile Égoïste Abject et froid Pars pendant qu’il en est encore temps ! Ou sinon je ne réponds plus de rien Tu pourrais même alourdir La liste des dommages collatéraux Puisque je veux entraîner dans ma chute Un maximum d’innocents Pour me rendre le rire encore plus cruel La Folie plus acceptable On retrouverait ton cadavre Un beau jour Au fond d’un jardin Dans un fossé Ou bien dans une cave Enterré Et à moitié nu Au fond je suis un chien fou La mâchoire carrée Et les crocs en avant Prêt à mordre À croquer dans cette chienne de vie À déchiqueter cet enfant que tu me tends Et dont tu prétends que je suis le père Mais je n’ai ni père ni mère Je les ai moi-même étranglés de mes propres mains Afin de me tuer moi-même Tuer le mal à la racine Ne pas laisser la Pieuvre géante planter Ses tentacules sombres en moi Non décidément Rien Ne pourra me sauver Je suis irrécupérable Je peux crever la bouche ouverte Me noyer dans ma mélancolie Ou bien dans l’alcool Plus personne ne s’en souciera J’ai fait le vide autour de moi À jouer au Caïd Que je ne suis pas Mais au fond j’ai faim J’ai soif de vivre J’ai peur Peur du noir Peur de la Mort Peur de ce qu’il y a après Et de découvrir qu’en fait Après Il n’y a plus rien Plus rien d’autre Que la lumière qui s’éteint Et que tout s’efface à rebours Le petit fil de ma vie merdique Sans ambition Sans joie aucune Sans amour et sans regret Jusqu’à remonter à Mes souvenirs d’enfant Quand tout allait encore plus ou moins bien Avant le drame familial Je peux donc aller la conscience tranquille Mes pulsions me dévorent de l’intérieur J’imagine déjà les flammes Jaillir de moi Déchirer la Nuit Comme dans un feu de joie Et vous danserez tous bien en rond Tout autour de moi Je retournerai alors à la matière Le cœur et l’esprit enfin apaisés Cendres et poussières… XK (Limoges, le 19.11.21)
- Plage d'octobre
"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa) Maria Callas sings "Casta Diva" (Bellini: Norma, Act 1) La lumière tombe sur l'océan et balaie toute la plage. Le paysage se dilate, déploie l'horizon, des verts, des bleus, des gris dessinent des lignes qui se chevauchent et qui se fondent. La mer est d'humeur légère, elle scintille de joie. Elle roule et déroule ses vagues, les rappelle et les renvoie dans un murmure régulier et reposant. Elle s'allonge, elle s'étale, fait corps avec le sable puis se rétracte en pétillant. Il fait beau et la plage grouille de monde, les solitaires, les esseulés, les amoureux, d'autres bien seuls bien que deux, ceux qui viennent en famille, enfants joyeux, ados boudeurs, les jeunes s'agrègent. Les mouettes fendent le ciel et piaillent au milieu des rires et des éclats de voix. Quelques courageux se baignent, petites taches éparses en surface. D'autres jouent, d'autres courent, certains marchent, beaucoup sont assis. Il y a ceux qui lisent, il y a ceux qui parlent, un homme chante. C'est un ballet qui s'opère, plein de souplesse et plein de grâce, les silhouettes déliées qui se croisent et se décroisent, dessinent des courbes, des diagonales, mettent la géométrie en mouvement. Un couple de vieux, main dans la main, longe la plage et brave le temps. Un père défie son fils, raquette en l'air, corps en extension, le fils plonge, la balle se perd dans un bruit mat. D'un trou émergent des pelles qui s'agitent et des tas de sable qui pleuvent. Une toute petite fille là-bas porte, l'un dans le creux du coude, l'autre à bout de bras, des arrosoirs qui tanguent et qui débordent. Elle avance, courageusement, cheveux au vent. Ses pieds s'enfoncent dans le sable, découvrant à chaque pas une empreinte brouillée, à peine esquissée. Elle fend la foule. Elle marche dans le monde, dix-huit mois, deux ans peut-être, tête haute et regard droit. La mer, inexorablement, avance. Une femme filme la forteresse construite par le père et la fille, les douves sont bientôt en eau, les trois observent la lente agonie du château. Soudain le ciel reprend toute sa lumière. Soudain, le vent s'élève, la mer s'énerve. Elle se tord et se balance, elle se meut dans tous les sens. Les vagues se creusent, les vagues se dressent, elles s'écrasent et avalent tout sur leur passage. Elles s'épuisent et écument de rage puis reprennent leur souffle et repartent gonflées. Des parents courent, courbent leurs corps et se frayent un passage, à contre-sens, contre le vent, pour accrocher la main de leur enfant. La dune ondule, les herbes se couchent. La plage se vide, les ombres, têtes rentrées, s'évadent. C'est la débandade. La tempête éclate de rire et pleure de joie.
- Carnation
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) Carnation La couleur confuse qui fascine Déformée selon l’œil Chaos de blanc et d’orange Entre par la douceur Carnation Le jeu d’ombres et de clartés Où la lueur manipule Cette peur noircie Choisit le charme naturel Carnation L’antithèse teintante De la façade enflammée Sur fond océanique Simplifie l’atmosphère Carnation Le reflet d’une tempête Selon la dangerosité du regard Inspecteur et concentré Entraîne une métamorphose
- Damasio, contre vents et société
À l’heure où chacun doit se réinventer derrière son écran d’ordinateur, l’émission littéraire 21 cm attrape au vol Alain Damasio, auteur de science-fiction pro slow techno… l’occasion de réfléchir au monde de demain et à ce que ça veut dire, d’être Vivants. 21 cm, soit la taille moyenne d’un roman qui paraît, est le nom de l’émission littéraire de Canal + animée par Augustin Trapenard (connu pour Boomerang sur France Inter). Son format, une heure par auteur, en fait le sésame pour découvrir vraiment les écrivains (tous des pointures). Pour cette fois, le tournage alterne entre les plaines du Vercors à affronter le vent, et le décor ultramoderne d’une ville de 2040. Alain Damasio, auteur de science-fiction politique et intrinsèquement vivante, évoque ses livres et ses idéaux… autour de la lecture poignante d’un de ses textes, dansé à fleur de furtivité. Avec poésie et frisson, l’occasion de redécouvrir ses œuvres, qui nous ont tant fait voyager. La Horde du Contrevent « Messeigneurs de la Frime, bonsoir ! Puisque nous nous connaissons, pour beaucoup, laissez-moi écourter la chamarre et assourdir les violons ! Sur ce gradin en face de vous, rasés de frais, la mèche en vrille et la chemise en vrac, est placée tout à trac — en guenille pour les meilleurs, pour les autres en haillons — la poussière du désert, ou pour mieux dire : sa coagulation… Ils sont l’orage marcheur ! Ils sont la foudre lente ! Ils sont de l’horizon les vingt-trois éclats de verre, les copeaux bleus et les tessons — j’annonce et vous présente, hirondelles et damoiseaux, nobles géologues et porte-drapeaux, la légende de cette terre : la Horde du Contrevent ! » Imaginez un monde balayé par les vents. Des vents si berçants, si violents, si doux, si puissants, des vents toujours, dont personne ne sait comment ils naissent. Imaginez maintenant que du bout de ce monde, génération après génération, des êtres aussi humains que nous sont envoyés à pied, contrer tous ces vents pour retrouver cette origine. La Horde c’est cela, marcher par tempête et par tornades, pour aller plus loin que personne n’est jamais allé, en Extrême-Amont. Ils sont vingt-trois, hommes et femmes, à ne faire qu’un, la Horde. Vingt-trois à remonter les fureurs du vent, comme les trente-trois hordes qui les ont précédés, et dont ils seront les derniers. Pour survivre, chacun a son rôle, ouvrir la voie, protéger, porter, étudier, soigner, chasser, nourrir, conter… mais après tout, que répondre au traceur : « À quoi bon raconter ? Vous autres, les abricots, vous n’y comprendrez jamais rien. Vous vous branlez sur nos vies dans vos burons, avec l’éolienne qui ronronne au-dessus de vos têtes chevelues, et vous nous enviez. Oubliez-moi. Oubliez-nous. » Roman puissant, mystique, drôle et terrible, c’est un concentré d’émotions qui heurte notre carcasse d’abrités des bourrasques. Devant lui, on se découvre faire partie de « toute cette putain de terre, tous les planqués qui [leur] obstruent la bande de Contre avec [nos] villages parce que ça souffle plus supportable dedans que sur les bords glacés, [qui attendaient] en priant depuis l’origine. ». Un livre qui donne envie de se lever face aux vents, de faire partie de cette horde, dont on entend les vingt-trois voix. Le roman ne peut être plus que polyphonique pour Damasio, et la lecture en fait une évidence. Prouesse d’écriture, La Horde du Contrevent ce sont vingt-trois caractères, idiolectes, rythmes, pensées, croyances et rêves. Réunis en une seule horde, un seul livre, une seule quête : remonter le vent. Avec La Horde du Contrevent, Alain Damasio révèle sa maîtrise du langage, des mots qui sonnent, qui froissent, qui se frottent. Jongleur des sonorités, sa prose est rythmée et dessinée. Oui, dessinée : poète des points, des lignes, des lettres et de leur forme ; typoète, en clair. À trop lire Damasio, on devient sauvage : quel sens à ce que je dis ? devient quel son à ce que je dis ? La pensée effrite les mots, la conscience s’érode, donnant par moment le vertige fugace de disparaître dans le flux des sons. Dans l’inconstance d’un vent. On ne ressort jamais indemne de ce livre et de ces tempêtes : « Furvent, ceux qui vont mûrir te saluent. » Ce livre est devenu une référence dans l’univers de la science-fiction, et à raison. Pour les amoureux de l’écriture, ce livre ouvre les horizons… où apprendre sinon à lire le vent, à faire aimer vingt-trois personnages, à se jouer du sens par les sons… ? Pour tous les rêveurs du Monde, venez ressentir ce mystère, trembler de sa résonance, et sentir vos larmes couler sans savoir pourquoi. Ouvrez le livre à sa 703e page et avancez vers celle où tout a commencé. Alors oui, c’est de la science-fiction, comme le fait remarquer Damasio dans l’émission 21 cm, ça demande du courage : ça veut dire débarquer dans un monde avec son petit sac à dos de présupposés, et le vider pour apprendre comment ça fonctionne ici. Et La Horde ne fait pas de cadeau au lecteur : il nous lâche directement au cœur d’un vent terrible, le « furvent » ; il nous pousse au milieu de tous ces noms de lieux, de vents, d’équipement intrinsèques au monde… mais pas besoin de tout comprendre, quand on peut tout vivre. Plus qu’une lecture, plus qu’un voyage, La Horde est une expérience transmise par des mots… et quels mots ! Du bloc-souffle de rafales qui décalquent la tête, des briques de son qui font sens en dedans. Et le courage de ces vingt-trois corps résistant aux tempêtes, si vivants qu’ils en deviennent une famille, vissés dedans. Viscérale. Les Furtifs Dernier né de l’auteur, Les Furtifs lance un grand cri vers la Vie. On y découvre l’histoire d’un père qui refuse la disparition de sa fille. Malgré l’âge et la solitude de son combat, il va tout faire pour intégrer une branche cachée de l’armée. Ce qu’il veut ? Chasser avec eux une légende urbaine : les furtifs. Dans la société de 2040, monde de la publicité et des lobbys, lorsque ni les villes ni les bancs ne sont publics, chaque geste laisse sa « Trace ». Rien n’échappe au big data, rien sauf une légende : des indétectables. Des êtres hybrides. Pas des hackeurs, pas des logiciels… hybridés avec ce qui est à l’opposé de la technologie : le vivant. Ils sont furtifs. Cette légende, c’est la seule chose à laquelle ce père quadragénaire peut se raccrocher : car c’est comme eux que sa petite Tishka a disparu des radars… Autour de cette histoire s’entremêlent les pièges d’un monde ultra-contrôlé où chacun est à l’abri de son techno-cocon, dans une bulle fermée de confort et d’information. Seulement une poignée est prête à se rebeller, demandant la déconnexion, l’autonomie politique, combattant pour l’écologie comme pour le retour du hasard et du contact humain… le réel est à reprendre au virtuel. Damasio, politique et philosophe, redore la science-fiction lanceuse d’alarmes. Avec Les furtifs il dérange, il remue l’édifice de ce que chacun accepte de devenir, il nous interroge : tu veux être quoi ? humain-techno, ou humain-vivant ?! Car si Les furtifs portent un seul message, c’est le désir d’être vivant. Vraiment vivant. Pour cela, il faut se libérer des croyances limitantes, des moules (ceux qui font ressembler à des tartes), de notre techno-cocon et accepter le changement, l’inconnu, la rencontre avec l’autre quel qu’il soit. Réapprendre à comprendre la différence, et à vouloir communiquer. Sur le fond, c’est un roman polyphonique écrit avec brio : la lecture est fluide, elle interroge sur la/es vérité/s, et les sentiments des personnages affleurent le papier. Sur la forme, l’auteur s’interroge sur l’écriture : des lignes sur du papier. Une fois le constat posé, une nouvelle écriture est possible : des phrases sans mots, une refonte des temps du récit qui laisse place au présent, et à un intrigant conditionnel. Par dessus, le travail typoétique est simplement époustouflant et offre au texte une dimension nouvelle… encore une fois, Alain Damasio ouvre une voie, et nous apprend à pleurer devant une page sans aucun mot. Que dire de ce roman qui se transcende ? de sa quête de sens et de sons ? et surtout de son amour des mots, de tous les mots bizarres, oubliés, biscornus, tronqués, du verlan, du néologisme en veux-tu, des langues étrangères, ou juste des mots dans leur sens le plus simple : une suite de lettres ? Les Furtifs est une perle pour l’auteur qui cherche de nouveaux courants, comme pour le citoyen qui veut s’éclairer en regardant demain. Prenez note : L’émission 21 cm en ligne sur canal + La Horde du Contrevent, publié à La Volte puis en Folio SF, est en cours d’adaptation en bd Les Furtifs, publié à La Volte, vient de sortir en Folio SF (seule l’édition La Volte contient l’accès vers l’album numérique en collaboration avec Yves Péchin)
- Fin de l'été
"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa) Maria Callas sings "Casta Diva" (Bellini: Norma, Act 1) Je me tiens là, sur le balcon. Scrutant un extérieur merveilleux. Une belle journée, oui là, juste devant toi. Le soleil brille, mon Dieu quelle clarté ! Regarde, il est presque impeccable. Que dis-tu ? Que tout n’est jamais parfait ? C’est vrai. En attendant, même les nuages ne parviennent pas à faire décliner la clarté de cet astre solaire. Ils ne sont pas assez épais, sans doute. Elle est là ! Mais qui ? La tranquillité. Regarde, comme le reflet de l’océan est beau. Mais je ne sais pas, cette lumière m’aveugle, elle cherche à me tromper. Je perds peu à peu cette image du bonheur, pour récupérer l’idée du paradis perdu. Oh ! Pourtant, dans mon imaginaire, je vois des oiseaux traverser le ciel bleuté et se fondre dans la lumière dorée ! Ils sont tellement petits face à cette immensité. Que te dire ? Dans ma tête, tout se bouscule… Des images, des mots, des sons… Ah ça y est, je l’entends ! L’harmonie ? Mais non… c’est une cacophonie. Je crois que ça s’affronte dans ma tête, une dispute, des démons, des anges ? J’étouffe ici. Ah voilà que le vent me fait parvenir cet air pur, ce bout d’extérieur. Je le vois passer, juste devant moi, mais sans pouvoir l’attraper, sans pouvoir le toucher. Rien ne me lie à lui, il n'y a rien d’autre que l’invisible… Je crois que je n’entends plus, je ne vois plus, suis-je rongé par la peur et l’angoisse ? Y a-t-il un autre bruit ? Une autre sensation ? Non, rien n’a changé dans le décor, alors tu te replonges dans ce paysage animé. Tu reprends place sur scène, laissant ta tempête intérieure s’échapper dans le dernier rayon de soleil de l’été.
- Voyage en train
Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) Elle était là assise devant lui, il ne pouvait réfréner ses idées galopantes. Ni non plus les plans tirés sur la comète qu’il échafaudait tout doucement dans sa tête. Une brique après l’autre dans le petit château mental qui meublait son monde imaginaire où tour à tour se côtoyaient des licornes, des lutins et des dragons. Tout se révélait soudainement à lui avec force et lui revenait en plein visage comme une violente claque. Les prénoms des enfants qu’ils auraient tous les deux, la cérémonie du mariage, la belle robe de mariée qu’elle porterait autour d’un sourire radieux ainsi que l’église qui accueillerait en ses murs ce jour béni par les dieux. Les cloches sonneraient à tout rompre sous un soleil de midi au zénith de sa forme dans une ville chaleureuse du Midi. Le film de sa vie se déroulait littéralement sous ses yeux. Oui son cœur pulsait bel et bien à mille à l’heure, et tout fusait à l’intérieur de lui, vibrait et résonnait. Il sentit le sang battre à ses tempes avec force violence. Il prit alors un livre pour se donner un semblant de consistance. Concentrer ses émotions à une autre attention, ou plutôt masquer sa propre excitation. Il ne fallait pas qu’elle le remarque, ou plutôt si, justement il fallait qu’elle le remarque ! Ce jeu de regard, de séduction, devait lui apparaître à elle aussi comme une évidence ! Il se mordit alors le bout des lèvres, par mimétisme elle en fit de même. Quel bonheur que d’avoir en face de soi son propre reflet inversé. L’un homme, l’autre femme. Pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas seulement d’une simple coïncidence, il se mit alors à croiser les jambes. L’instant d’après elle croisait les siennes. Il les décroisa alors, elle en fit de même. Soudain il leva le bout de son nez et sortit la tête de son bouquin comme s’il était pris d’une pensée profonde et supérieure. Il porta sa main droite à son visage pour se donner des airs de penseur ou de statue grecque. Rodin n’avait qu’à bien se tenir. Ce soir il allait poser les premiers jalons de leur future relation. La femme de sa vie, voilà ce qu’elle était ni plus ni moins. Sa raison de vivre, son acmé, son paradis existentiel ! Voilà qui n’avait absolument rien d’artificiel. Il le ressentait au plus profond de lui, ce bûcher qui brûlait de mille feux comme une éblouissante révélation au beau milieu de la nuit. Il l’avait cherchée si longtemps, et voilà que dans ce train, elle apparaissait à lui dans toute sa beauté originelle. Eve virginale et vestale mais portant une jolie robe à fleurs qui semblait annoncer avec vigueur la venue du printemps. Et donc des amours. Il se sentit défaillir. Il toussa un peu, son visage devait le trahir, ses yeux ne voyaient qu’elle, les lignes de son livre étaient floues, elles dansaient devant lui comme des danseuses du ventre. Une musique orientale accompagnait leur danse, des tambours, des ouds des quartiers populaires de Bab el Oued. Ça sentait délicieusement bon, les épices, le musc sauvage, l’encens, les huiles de karité et d’argan, le thé noir à la menthe, les effluves parfumées du narguilé ; l’Orient, l’Occident, et leur rencontre tout simplement. Au bord d’une mer calme aux eaux limpides. Les rivages de sables et des dunes tout autour à n’en plus finir. Il sentit alors la soif, la sensation d’avoir traversé un désert toutes ces années durant et d’avoir enfin atteint son but ultime, cet oasis perdu entre mirage et béatitude. Sa main droite quitta alors son front, il reprit tout doucement ses émotions, il tourna alors une page, puis une autre sans la lire vraiment, puisque ses yeux ne voyaient plus qu’elle. Il égrenait les secondes tout doucement dans sa tête pour calculer le temps théorique qu’il lui faudrait pour lire une page. Faire semblant de lire, c’est une entreprise plus difficile qu’il n’y paraît. Sa main gauche tenait le livre, toute tremblante, presque défaillante et trahissait ses émotions ainsi que ses véritables intentions. Non pas maintenant, il ne fallait pas qu’il flanche ! Mais comment faire maintenant pour entamer avec elle une conversation. Parler de quoi ? De la pluie et du beau temps ? Des banalités du quotidien ? De poésie et d’ivresse ? Soudain elle lui sourit, elle allait lui parler. Enfin ! Le temps semblait s’arrêter et se focaliser sur ses jolies lèvres qui s’ouvraient et se refermaient avec grâce : « Excusez-moi jeune homme, mais… vous tenez votre livre à l’envers ! » XK
- Le bout de la langue
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) – Tu crois qu’il faudra combien de temps avant que tu ne me détestes ? Je brûle de te demander. Je sais que la question est empoisonnée, je sais que le motif est éculé. Je me trouve niaise avec mes considérations qu’elles ont toutes eues avant moi. Tu nous crois sûrement plus naïves. Peut-être l’es-tu toi-même. Prise par cette chaleur intestine, tu perds le sens du demain. Mais laisse-moi te raconter ce lendemain. D’abord, tu oublieras que tu m’adores. Quand tes yeux ne seront plus surpris d’une inclinaison ou d’une variation de ton, comme à toutes celles avant moi, comme à toutes celles avant toi, tu t’habitueras. Puis ton art que j’aimais tant bouffera tout l’espace. Alors je sortirai prendre l’air. Tu seras exposée, mon amour tu es douée. Et si aujourd’hui tu ne me crois qu’à toi, bientôt tout ton monde me verra. Bien sûr on louera ton talent. Mais derrière toi, peux-tu affirmer que personne ne me verra moi ? Peut-être qu’il me passera une note, un billet de roman. Imagine qu’il est charmant. Je résisterai ? Tu crèveras de doute. Tu me traiteras de pute, me balanceras ma nudité au visage et cracheras sur ce que je t’ai donné. D’ailleurs c’est con de dire donner. Parce que je n’ai jamais été tienne. Comment reprendre, sinon, ce que je t’aurais offert ? Je devrais attendre ton dégoût pour partir ? Tu veux que je reste parce que je n’ai pas le choix ? Mon ange tu vaux mieux que ça. Tu vois que je ne suis plus là ? Moi quand je te regarde je vois tellement plus. J’aime tes bras, ta gorge, tes yeux tombants, mais j’aime surtout ta voix. J’aime ton rire, j’aime ton talent. J’aime quand tu parles, j’aime quand tu fais sens. Comment comptes-tu leur montrer mon sens à moi ? Tu penses que c’est d’être belle ? J’ai peur que ce soit pour ça que tu es là. Tu peins pour eux ou pour toi ? Non ne mens pas, ça n’a jamais été pour moi. Mon cœur, j’aurais tellement aimé que toi aussi tu voies plus qu’une parle quand tu me regardes. C’est rare d’être belle ? Non, la prochaine le sera sûrement. Et si je te dis tout, oui tu voudras me rassurer. Mais comme ça sonne faux après l’avoir demandé. Donc tu t’énerveras, je pleure, tu hurles, tu t’égosilles, tu es laide mon amour. Pourtant j’aimais ta voix. Tu vois comme avec une seule question je pourrais tout briser. La bombe attend, son goût sur mes lèvres me tend d’un sourire. Tu te charmes de mes fossettes. Mais si tu savais mon ange combien de colère elles ont contenu, les peindrais-tu ? Tu n’entends pas le faux, c’est tant mieux ma chérie. Ne t’en fais pas pour la bombe, on m’a trop souvent dit sois une perle et tais-toi.
- Vox populi
Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) Le peuple est exténué et la haine est grande. Il a juré de ne pas vous laisser même au plus profond de votre sommeil Ecoutez-moi bien le déluge est à votre porte. Le peuple sort, jeunes, vieux, chômeurs, et même les voyous de la rue. Les coffres sont vides, notre pays est en faillite. ÇA Y EST ! Ça y est le couteau a transpercé la moelle. Vous avez écrasé l’éducation, gâché la vie de toute une génération. Notre société est bloquée, la culture absolument absente. Les gens quittent le pays dans les bateaux de la mort, et vous, pensez-vous être éternels, vraiment ? Sérieusement nous sommes devenus la risée de tous les autres pays. Des gens meurent de faim, et vous, que faites-vous ? Ah oui maintenant vous êtes cachés derrière vos murs, vous avez peur, vous craignez le peuple qui s’est finalement réveillé. Un milliard de dollars parti en fumée, et vous, vous voulez toujours plus, vous voulez nous briser encore plus. Plus jamais ! Aujourd’hui ne nous taisons plus, ne craignons plus de parler, de lever la voix, de dire arrêtez, arrêtez de jouer avec nos vies, nos cultures, nos traditions et langues. Maintenant que nous sommes dans la rue, vous tremblez, vous espérez vraiment que tout cela sera terminé avant même que cela ne commence. Nous savons que vous voulez abandonner ce pays à feu et à sang, et aux larmes. Nous n’avons pas oublié, et nous ne pardonnerons jamais. Vous avez trahi la révolution, l’histoire, et les martyrs. Nous vous détestons, nous avons toujours de la haine et du chagrin, et nous prions ! nous prions pour que le pays se rétablisse, et que Dieu vous donne ce que vous méritez ! Tout s’emmêle, tout s’embrouille, nul ne reconnaît ses proches, pauvres de nous ! Ils disent que plus tu pardonnes plus on te marche dessus. Vous pensez que nous allons rester immobiles, sans rien faire, vous vous trompez, nous avons décidé de prendre ce qui nous appartient, et personne ne peut nous arrêter.
- Là, Rémi...
"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa) Maria Callas sings "Casta Diva" (Bellini: Norma, Act 1) Une étoile passe. Un vœu s’exauce. Des doigts se resserrent. Un manche étouffe. Un long soupir... Rémi admire la Voie Lactée. Il imagine le continuum, l’entre-temps, le multivers, une autre Terre... l’infinie possibilité. C’est ce que ça lui fait. D’être amoureux. D’être, aussi. De se chanter des airs faciles, d’écouter le chant du ciel, son mythe, son récit. Là, à demi-là, face à son Signe, son ami dans le sol humide, Rémi s’imagine. Sur le dos d’une raie, dans le ciel face au soleil, là-haut, loin du monde diminué, près de l’ami. Envoler, s'envoler dans une fusée, sur une raie ou de ses propres airs. Une virée, loin de la réalité, près de ses pensées. Reprendre la route, rire entre ses bras, le serrer à jamais. Devenir, puis être romantique. Souvent, trop peut-être, toujours sans remords et jusqu’à la mort. Oublier le temps qui passe, omettre les problèmes, occulter les douleurs, occire les peines et radoter les souvenirs. Être en haut. Avec son héros. Le vent hurle, mais Rémi reste là. Une goutte perle de son œil. Elle est emplie d’amour, d’éternité et de l'espoir d’une fin. Elle coule, déferle vers le sol humide, prête à s’y enterrer. Elle se jette dans le fleuve rouge dont le lit coule par l’acier. Elle cherche son chemin. Entend un avant-dernier soupir. Les pétales des chrysanthèmes s’envolent et bordent Rémi, blotti contre la terre. « Nous sommes » soupire Rémi. Le monde noircit peu à peu. Le ciel s’éteint à jamais. Là-haut, ils sont.
- De rouille et d'os
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) Tu incarnes la beauté pure ! Ô toi la belle Odalisque Jusqu’à la désincarnation même ! Te voilà à jouer aux osselets Avec mes propres os Sur ta paume blanche Le corps Entre quatre planches La tête Entre quatre murs A crier A crier A crier ton nom ! Comme un écho lointain Ou plutôt comme une écholalie Sans début ni fin Échographie de l’encéphalogramme Des taches noires Des taches brunes Calme plat sur l’électrocardiogramme « Hum, pas bon signe... » Me fait un docteur En blouse blanche Qui fait grise mine Diagnostique vital engagé Ma bouche subitement Recrache du sang Ton déhanché endiablé ne peut hélas Étancher ma soif Entité démoniaque Ange cruel Tu troubles ma vision Me voilà soudain jeté dans une prison de verre Aseptisée et blanche En pleine incarcération Le cœur Les poumons Ou bien dans une carcasse brûlante Attendant avec trouble et anxiété ma désincarcération Prochaine Ou bien ma mise en bière C’est la vision horrible d’un charnier Charmants corps à la scie découpés La peau presque transparente Totalement décharnée Le dos lacéré par des griffes invisibles A la fin même Il ne reste plus rien de nous Sinon de la poudre à savon De la cendre Et des sentiments... XK
- Amour brisé
"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa) Maria Callas sings "Casta Diva" (Bellini: Norma, Act 1) Dieu, désolée pour les péchés que j'ai faits, même si c'est du passé. Cet amour m'a brisée, oui j'ai essayé, j'ai essayé de mettre fin à ma vie, mais je n’ai pas réussi. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai plus envie ni de pleurer, ni de parler, ni de rire. C’est lui qui m’a abandonnée, c’est lui qui m’a détruite. Cher Dieu comment ferais-je sans lui ? Je veux du bonheur, de la bonne humeur, de la joie mais comment avancer ? Je ne peux pas continuer cette vie dans laquelle je ne suis plus qu’un reflet, un reflet de moi-même. Comment vais-je faire, comment réagir, pour sortir de cette bulle qui m'enferme ? Ô cher Dieu comment ferais-je sans lui ? Je veux voir la lune et ses cratères, la mer et ses dunes. Je veux ralentir le temps juste pour un moment, assise sur un banc, sans la présence de mon amant. La vie est dure mais l’amour que je ressens est pur. Comment mon cœur va-t-il survivre avec toute cette horreur qui me rend ivre ? Ô cher Dieu comment ferais-je sans lui ? Il me blesse, il me brise et me méprise. Comment dois-je faire ? J’ai connu l’enfer dans ses bras de fer, j’ai connu le froid dans sa maison de bois, j’ai connu la souffrance, mais tout cela n’a plus d’importance. Lui, il est parti, et moi je reste dans l’ombre sans un rayon de soleil. Ô cher Dieu comment ferais-je sans lui ? Dieu, pardonne-moi encore une fois. Je n’ai pas pu l’oublier alors je vais vivre cette vie en marchant vers l’inconnu. Vais-je survivre ? Je ne sais pas.