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- Mystique
Mystique Pour croire les choses il faut déjà les avoir vues. Moi je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois, c’est vous dire pas grand-chose. Car à part les horreurs diffusées en boucle à la télé je n’ai absolument rien vu. Mais alors rien du tout ! Ou alors à force de voir les choses, on ne les perçoit plus ; c’est comme la violence du reste, on s’y habitue. Non moi je n’ai rien vu et surtout pas les choses venir. Je n’ai rien vu de l’Amour, ni de la Terre promise ni encore moins du Paradis et des rêves que l’on nous a vendus. La retraite méritée, le havre de paix et la félicité dont on nous vante à longueur de journée les mérites semblent une utopie bêtement perdue. À force d’y croire les choses finissent par disparaître d’elles-mêmes il semblerait. S’estomper pour de bon dans les limbes. Je suis comme un ange déchu à qui l’on aurait arraché les ailes et que l’on aurait placé entre les pattes d’un enfant sadique juste pour le plaisir de nous faire (et nous voir) souffrir. L’homme est un loup pour l’homme et surtout pour lui-même, je ne fais que répéter ce que d’autres ont pensé avant moi, je ne fais qu’avaliser cette idée, bien à ma place dans la toute puissante matrice. Quand on voit toutes les horreurs dont il est capable et dont il se rend coupable, toute cette cruauté qui bien souvent atteint des proportions inimaginables, comment penser autrement ? C’est à chaque fois une surenchère ! Cet homme soi-disant doué de parole et de raison, descendrait du singe en une version améliorée 5.0 et qui se dresserait fièrement et marcherait sur ses deux pattes postérieures, la tête droite ? C'est-à-dire sans rien avoir à se reprocher ? Laissez-moi rire ! Je n’ai du reste aucune confiance en l’être humain ni non plus en notre soi-disant humanité. Pour ne pas dire je suis dubitatif, je demande à voir. Prouvez-moi le contraire et alors vous prêcherez un (nouveau) converti ! Le ver est dans le fruit, il faudrait pour cela tout déshumaniser, dératiser, désinsectiser, tout brûler et tout noyer pour repartir de zéro... Ou sans doute une bonne troisième guerre mondiale pour éradiquer tout ça, un bon coup de pied dans la fourmilière ou alors une attaque de zombies sortie de nulle part (et qui du reste, vous verrez dans quelques temps, nous pend forcément au nez). Seulement Dieu avant nous a essayé et il n’en est rien ressorti. Pour ainsi dire, presque aussitôt après nous avoir créés (je veux dire Adam et Eve mais surtout leurs descendants), il a regretté : « mon Dieu (quoiqu’il doive user d’un autre qualificatif en parlant de lui) quelle erreur j’ai encore faite » s’est-il sans doute dit, ou quelque chose s’en approchant. Il fallait nous détruire une bonne fois pour toute, ne pas faire les choses qu’à moitié. Alors pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Pour tout dire, il n'en est pas à son premier galon d’essai. Les sept plaies d’Égypte, l’Atlantide, la tour de Babel, Babylone, le Déluge, l’Arche de Noé, les Cavaliers de l’Apocalypse, la peste, les deux guerres mondiales, l’Holocauste, Hiroshima et Nagasaki ; ça n’a rien changé. L’humanité s’est reconstruite sur des bases pourries et il ne peut sans doute en être autrement. Puisque le seul dénominateur commun c’est nous. Il faudrait pouvoir nous enlever de l’équation pour résoudre le problème. La solution est en nous. C’est une sorte de solution finale à toutes nos interrogations. L’humanité doit disparaître et ne jamais renaître, vous savez, un peu comme les dinosaures avant nous. De toute façon je n’ai jamais vu un être vivant aussi inadapté. Alors à quoi bon continuer ? C’est une attitude sadomasochiste que de vouloir le faire puisque vivre c’est souffrir, puisque respirer c’est douloureux ; d’ailleurs l’enfant nouveau-né pleure en respirant notre air pour la première fois et nous voilà pour de bon rassurés ! Bienvenue parmi nous mon enfant ! Dans notre monde où tout n’est que douleur, souffrance et surtout un immense regret : de ne pas pouvoir retourner dans le ventre de notre mère. Après je ne dis pas, peut-être qu’en grandissant on peut atteindre un certain stade d’autosatisfaction. Mais à quel prix ? Les expériences de la vie, c’est cela qui nous forge réellement. Les voyages, les claques dans la gueule que l’on se prend. Les désillusions, les séparations, les échecs scolaires ou sentimentaux… Les voyages forment la jeunesse dit-on bien souvent. Pour ma part je n’ai pas beaucoup voyagé mais j’ai pourtant l’impression d’avoir vécu mille vies et d’être lessivé par le tambour de la grande essoreuse, usé complètement jusqu’à la corde. Vidé de toute substance intrinsèque. Je ne transpire pas ma pensée, mes idées ; je les dégouline… Il faudrait pour me sécher m’étendre entièrement nu sur une corde à linge. Puisque toute vie ne tient qu’à un fil, et donc a fortiori à quelques épingles près… Il faut savoir s’y accrocher comme on s’accroche à une conviction, à une religion ou bien à un courant de pensée. Alors pour nous donner une raison supplémentaire de vivre on se crée notre propre religion, notre propre perception du réel. On se raccroche à Bouddha, à Jésus, à Mahomet etc. et aux gens qui ont souffert avant nous sur la croix. On se réfugie alors au choix dans le silence, la solitude, le travail, la famille ou bien la nature pour y trouver des explications rationnelles. Chacun d’entre nous pense par lui-même. Plus que tout au monde, moi je crois en la Lune et en ma bonne étoile placée là-haut dans le ciel et qui veille sur moi. J’ai une foi absolue en tout ça. Sinon pourquoi serais-je là ? Je ne vois pas d’autres explications à tout ce cirque, à cette grande comédie que l’on appelle la vie. Mes parents m’ont baptisé (bien que là encore ils ne m’aient pas laissé le choix ni demandé mon avis car j’étais bien trop petit pour décider de quoi que ce soit), je suis donc de fait catholique. J’ai suivi la catéchèse (en prenant ça et là quelques idées et passages intéressants dans la Bible ou bien en en empruntant à d’autres), je me suis penché un peu sur la question (sans pour autant avoir la prétention d’être un spécialiste), j’ai effectué ma première communion, je suis allé de temps à autres à la messe du dimanche matin bien que je n’y trouvais aucun plaisir, aucune joie. Après j’ai préféré laissé tomber. Je me dis que plus tard sans doute j’y retournerai. La religion, la Foi, ça doit être comme le bon vin, ou le whisky, on ne doit pouvoir l’apprécier qu’une fois plus grand, pour en percevoir le sens et toutes les subtilités. Avant ça le palais n’est pas encore formé, la barbe n’a pas encore poussé… De plus je n’avais vraiment pas envie de ressembler moi aussi à une grenouille de bénitier. Enfant de chœur à l’église ? Et puis quoi encore ? Ho grands dieux jamais je n’enfilerai une robe ! Je suis un homme (et donc de fait un humble pécheur) intègre et honnête ! Pourtant plus tard, j’ai rompu ma promesse, je me suis marié devant Dieu pour ses beaux yeux à elle, pour le meilleur et pour le pire (ceci dit en passant ils sont gentils de prévenir). J’aurais sans doute dû me douter de quelque chose à ce moment-là surtout que plusieurs fois Dieu m’avait envoyé des signes que je n’ai su lire que bien plus tard comme un AVC qui semblait vouloir dire : « cours pauvre fou ! Et surtout ne te retourne pas ! » Mes grands-parents étaient catholiques pratiquants. Ils allaient chaque week-end à la messe et se comportaient en bons chrétiens. Le jeûne, le Carême, Noël, les fêtes consacrées, tout y passait. Ça ne leur a pas empêché pourtant de passer de l’autre côté en faisant un long détour par la case souffrance aux allures de purgatoire plus que de prison (et sans toucher les 20 000 francs). J’ai d’ailleurs écrit et lu un joli poème à l’occasion… Pour l’enterrement de ma grand-mère surtout. Pour mon grand-père plusieurs années plus tard je n’y suis même pas allé, honte à moi. J’en avais sans doute assez de toute cette souffrance et de cet état transitoire qui caractérise tant l’être humain. Je crois qu’aujourd’hui elle me manque, je veux dire ma grand-mère et non pas cette foutue mort qui me l’a enlevée ; elle et ses souvenirs. Elle avait les cheveux comme les blés délavés. Couleur gris poivre. Je l’aimais bien ma grand-mère, elle me faisait rire et me sentir moi-même. Pour ainsi dire elle a fait les joies de mon enfance à quasiment elle seule. Maintenant cette époque est hélas révolue. Je n’ai plus que mes yeux pour pleurer, il faudrait le voir pour le croire, moi qui ai le cœur désormais insensible comme de la pierre (et du même nom que l’Apôtre bien évidemment). Je me surprends moi-même. Une sale maladie l’avait touchée, elle ne se rappelait plus qui nous étions, c’était dur quand nous allions la voir. Elle était comme un légume sur sa chaise, l’odeur de la mort et de l’hôpital avec des relents de matières fécales. Elle ne parlait plus beaucoup, et quand elle parlait c’était pour dire des choses sans queue ni tête qui s’étaient passées il y a bien longtemps. Bref nous étions auprès d’elle comme absents. La maladie d’Alzheimer fait perdre toute dignité… J’adorais lui rendre visite enfant (elle était tout pour moi, joie, sourire et bonheur), adolescent il en était tout autrement… C’était une corvée encore pire que d’aller à la messe, mais je me devais de le faire pour tout ce qu’elle avait été pour moi avant. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions existentielles sur la raison de notre présence ici. Sans pour autant y trouver de réponses. Je m’assombrissais jour après jour, nuit d’insomnie après nuit d’insomnie. Je me sentais tout petit et démuni, définitivement perdu dans un univers démesurément grand. Je me représentais tout petit allongé dans un lit aux draps blancs et dans une grande pièce absolument silencieuse et sombre qui devenait à vue d'œil de plus en plus grande. Avec le temps j’alimentais ce chaos qui vivait en moi. Au collège je dessinais des corbeaux, des pendus, mes dessins avaient perdu de leurs couleurs et de leur magie (mais la faute à qui ?). Je me demandais Diable ce qu’il pouvait y avoir après la mort. Ce grand mystère qu’est l’après, oui très sérieusement ça me tarabiscotait, pour ne pas dire ça me minait l’esprit. C’est sans doute de là que viennent mes cernes et ma calvitie. À force de trop y penser… Ne pas tomber dans l’oubli, surtout ne pas plonger dans la Nuit. La vie, la mort et après plus rien ? Définitivement ? La science et la religion bien souvent entraient en contradiction et me confortaient dans l’idée qu’après il n’y avait plus rien, que c’était bel et bien fini… Comment vouloir vivre après un tel constat ? Surtout lorsqu’on est encore qu’un enfant… Je décidais alors de ne plus grandir, à la façon d’un Peter Pan. De rester cet enfant heureux d’autrefois qui faisait la joie de mes parents. Ou bien de toujours garder cette part de lui en moi. Le monde des adultes et le monde réel pourtant ont brisé tous mes rêves. Je suis passé directement de la case enfant à la case adulte sans aucune transition. Le choc a été brutal. Le retour sur terre douloureux… Les ailes définitivement brisées, l'œil hagard et perdu. Mon adolescence justement, ou plutôt son absence, c’est ce qui a fait de moi une fois adulte un être mélancolique et désenchanté qui ne croit plus en rien. Pas même en lui-même… A quoi bon vivre cette vie si elle n’est parsemée que de décès et chagrin ? Je les ai tous vu partir un à un. Mes proches (ma tendre sœur Marguerite qui faisait office de professeur, mes grands-parents), mes amis (bien qu’avec le temps je n’en eus plus beaucoup), et même les voisins, bientôt viendra mon tour je le sais ; la petite aiguille trotte sur l’horloge du salon et le tic-tac du pendule troue le silence de la nuit. À chaque décès on arrête le balancement des horloges, c’est plus qu’une superstition ça doit vouloir dire quelque chose. Et puis on leur ferme les yeux, on leur glisse un bisou humide et chaud sur le front ridé qu’ils ont déjà glacé. C’est le baiser de la mort et rien que d’y penser ça me glace le sang. Moi qui pourtant n’ai plus rien de vraiment vivant à l’intérieur. Je hais les cabinets de médecins, les blouses blanches, les hôpitaux, les maisons de retraite, les décors aseptisés, les cimetières. Ils ont plongé ma joie et mes rêves six pieds sous terre en me laissant en tête-à-tête avec ma folie. Je refuse de m’y rendre à nouveau, à chaque fois ça ne coupe pas, c’est pour nous une mauvaise nouvelle. Un décès, une maladie qui nous laisse en sursis. Ils nous enlèvent toujours injustement ceux que l’on aime. La mort ce n’est pas juste, la vie quant à elle est terriblement injuste... Il faut s’endurcir, se préparer à voir les autres partir avant soi. J’aurais pourtant souhaité être le premier à tirer ma révérence pour n’avoir aucun chagrin en moi. Sentir aucune douleur profonde. Ne laisser couler aucune larme à mes yeux. Seulement c’est une pensée égoïste car ce chagrin on le reporte sur les autres. Aussi me dis-je que le chagrin c’est comme une maladie ou une sorte de flambeau qu’on se passe de main en main. Tout au plus on retarde l’échéance. Le cœur endurcit, je dirais même qu’arrivé à un moment on ne doit plus pouvoir supporter tout ça. qu’on ne doit plus pouvoir supporter aucune mort supplémentaire sinon la sienne. À vrai dire, la seule croyance et certitude que j’ai, c’est que je ne crois en rien. Mais ce n’est en aucun cas de l’athéisme, du pédantisme ou quoi que ce soit. C’est ma conception de la vie bien à moi. Ni politique ni religion ni appartenance à aucun pays, je suis un être magnifiquement libre et apatride, doué de réflexion et tourné sur lui-même. Pas Scientologiste ni d’aucune secte mais Nombriliste profond au sein-même de notre Alma Mater et de notre propre nature. En position fœtale comme avant, à regarder de l’intérieur le nombril du monde. Crédits : photographie d’Eugène Druet (1867-1916), Le Penseur de Rodin devant le Panthéon. Le Penseur de Rodin (1880) est une sculpture en bronze d’Auguste Rodin (1840-1917), 1,80 × 0,98 × 1,45 m, exposée au Musée Rodin à Paris
- Les lendemains qui hurlent
Écrire une microfiction à partir du poème Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud, 1888. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Au sortir du gangbang d’un ours sibérien en compagnie d’Assad, Kadyrov et Loukachenko, Poutine a ordonné que l’on assassine le dormeur du val. Quand l’obus est tombé, il défendait Kharkiv à lui tout seul, planqué derrière trois sacs de sable colmatés par les restes de sa famille. Il n’a pas de trous au côté mais rougit tout entier le cratère où ses chairs se disséminent. Peu avant de s’assoupir, il a bercé à la kalash un bataillon de soldats russes, dormeurs du val de pas vingt ans, nostalgiques du temps où le petit père des peuples purgeait l’idéal soviétique de la présence de leurs aïeuls. Tous roupillent désormais sur un chemin de terre où près d’un siècle auparavant des paysans étiques se cannibalisaient, dévorés par l’Holodomor, après avoir consommé tous les chiens errants, minets, taupes et blaireaux qui trainaient dans les champs de blé saisis en prévision des lendemains qui chantent. Après celui de Rimbaud, le dormeur du val s’est fait moutardé dans une tranchée, crachant ses poumons enflammés dans la terre glaise, plié en deux sous le ciel obscurci par le déchaînement de la Grosse Bertha. Ensuite, il a piqué du nez sur une barricade de fortune à la sortie de Barcelone, un bréviaire anarchiste en poche, un pruneau franquiste en plein front et une balle stalinienne dans le dos. Canardé sur une plage normande en 44, son corps inerte a roulé au gré du ressac, empêtré dans les algues, criblé de fientes, envahi par de petits crabes qui l’ont nettoyé jusqu’aux os. Fait prisonnier à Stalingrad, le dormeur s’est assoupi en griffant les parois de béton d’une chambre de Dachau, enfoui sous un amas d’enfants et de vieillards bleuis comme lui aux émanations de la solution finale. L’un de ses frères captifs, ayant survécu jusqu’à la victoire aux diagnostics du médecin-fossoyeur du camp — SS féru d’opéras wagnériens, spécialiste d’Heidegger et épigone de Mengele — a eu l’opportunité de revoir la mère patrie. À peine a-t-il franchi les portes de Moscou, les côtes saillantes et le teint gris, les yeux absents rouges et jaune-pus, que la foule en liesse l’arracha du sol. Incrédule, il contempla les cieux déserts où il fut projeté mille fois de suite, humant dans les hauteurs les fumées crématoires qui planaient encore sous les nuages gris. Insensible aux piquants des décorations épinglées sur sa poitrine, sourd aux vivats, les hourras nos héros de la Grande Guerre Patriotique, il n’entendit que le craquement de son ossature carencée, brisée un peu plus à chaque bond. Le sommeil l’emporta plus tard dans un goulag d’Extrême-Orient, lorsque sa rééducation, jugée plus sûre après son séjour en Allemagne, devint trop assommante. À quatre-vingt-deux ans, le dormeur du val pionce pénard sur un transat de Copacabana. Il est mort d’une insolation, une Caipirinha dans une main l’autre glissée sous l’occiput, découvrant au creux de son bras un tatouage de groupe sanguin maquillé en smiley. En 2016, il s’est éteint d’une OD de viagra dans un bordel des faubourgs de Belgrade, fier de l’épuration pratiquée en Bosnie sur le parquet d’un gymnase de Srebrenica. Non loin de Battambang, dans sa maison bâtie sur une fosse commune où gisent dix-mille traîtres à l’Angkar, le dormeur a sombré au beau milieu d’un rêve où Pol Pot le louait pour son sens du devoir. Un autre, hanté par le regard d’une mère et de ses trois enfants l’implorant au fond d’une case en bambou de la jungle vietnamienne, repose sur le carrelage d’un fast food new yorkais, le canon de son flingue en bouche, baignant dans le ketchup des cinq clients partis avec lui ce jour-là. Au sortir d’un match de hockey sur le permafrost craquelé d’une forêt boréale, Poutine a ordonné que l’on réchauffât la guerre froide. Craignant que sa trace ne fût pas assez visible sur le bol de l’Histoire aux chiottes, il a décidé d’exalter les lendemains qui hurlent.
- Gravité terrestre
Écrire une microfiction en intégrant dans l’ordre que vous souhaitez “blessure”, “lumière” et “pamplemousse” (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Un mois de printemps, il traversa un verger d’agrumes Au tapis d’herbe et au feuillage ébouriffé. Lors de sa balade, il s’arrêta sous un arbre fruitier. Et levant les yeux, il vit un pomélo se balancer Au-dessus de lui, comme une enclume. Le pamplemousse chuta sur sa tête et assomma notre homme. Sonné par le poids de sa pulpe et de sa peau d’acier, Il tomba dans les pommes. Il se réveilla de sa marienne grâce à un visage penché Sur lui, comme celui d’une bonne fée. La lumière le transperça d’un éclair Lui causant une blessure au cœur du nom de la demoiselle. Newton n’était pas le seul à avoir découvert La formule de la loi de l’attraction universelle.
- Miroitement
Perdu dans la mangrove définitivement, les pieds dans l’eau, mon amour partait à vau-l’eau, engloutissant mes rêves à en boire l’amertume et l’hallali jusqu’à tire-larigot ; la gorge sèche comme avait dû l’être celle de Tantale avant moi durant son supplice, l’eau jusqu’au menton et les cheveux constamment mouillés. Me voilà rendu au diable Vauvert ! Et mes yeux verts délavés, comme une aquarelle, lavaient mon âme dans des flots amers. Puisque insensibles étaient les vagues et que ruissellent les rêves... Les mouvements fluides, et passant entre les gouttes et l’ondée fine, je me sentais pousser des ailes et marchais littéralement sur l’eau, je cherchais alors à mettre au sec les souvenirs de toi dans une oasis luxuriante inondée par un tel Déluge qui faisait de moi un nouveau Noé… Je fis trois pas en avant, et me décidai à creuser le sable et à enterrer tout mon précieux trésor en marquant l’emplacement d’une croix. L’amour du reste quand il n’est pas réciproque est comme un pirate manchot et borgne… Pour garder l’emplacement secret, j’assassinai méthodiquement tous les témoins gênants, mes pauvres compagnons d’infortune ; à commencer par moi-même. Seulement la curiosité me poussait à ouvrir la boîte de Pandore et me saisir de la carte au trésor. L’envie et la peur tout à la fois me tenaillaient. Je me rongeais les ongles et me faisais un sang d’encre. Par le sang bleu ! Il n’y a pas de malédiction qui tienne ! Ni de marque noire mais juste des milliers de souvenirs de toi éparpillés sur les sept océans du vaste monde ! Je pris alors mon courage à deux mains et me saisis d’une fine lame pour faire levier sur le mystérieux coffre si longtemps enterré et tenu secret. Des perroquets et autres cacatoès tout autour de moi me rirent au nez et s’écrièrent : Tsuuunaaamiii ! Tsuuunaaamiii ! En insistant de manière aiguë sur les voyelles. Je leur clouai le bec en leur disant tout de go : chut ! Flûte ! Cacahuète ! Outrés et sans doute surpris par une telle insolence, les oiseaux de malheur aux mille couleurs chatoyantes me traitèrent de doux noms d’oiseaux tout en s’envolant à tire-d’aile au loin. Comme Icare, je me brûle la langue sur le Soleil en voulant la tendre à la pluie qui tombe du ciel ou aux sources chaudes spitantes et volcaniques qui jaillissent du sol comme des geysers. Curieusement tous les liquides et fluides inversés s’éloignent de moi, me voilà condamné à errer la bouche sèche, et jamais rassasié. Miroir aux alouettes de notre déshumanité, île perdue au cœur du naufrage, nouveau Robinson Crusoé ou bien nouveau mirage... Mais soudain, malheur à moi ! C’est un véritable raz-de-marée, un ras-le-bol général et voilà le tableau délavé, aquarelle de nos idées. Toutes les couleurs se mélangent, je dilue mes pinceaux et le “plouf” qu’ils font dans l’océan me font revenir en arrière. Je crie ton nom sous les flots, tout part à vau-l’eau, sous des trombes d’eau ; je bois toute mon amertume dans le sel de la mer. À en faire gonfler mon ventre. Je rêve à une oasis paradisiaque tandis que les vagues m’emmènent au loin, perdu, sans bouées ; tel un noyé pris dans des rouleaux marins deux fois trop grands, ballotté par les embruns de-ci de-là comme une coquille vide ou bien encore une feuille morte… Radeau de la Méduse médusé, j’agite ma clochette d’or désemparée et fiévreusement mon drapeau blanc. Je me rends corps et âme, je me range à ton Jugement. Si Dieu existe vraiment qu’il cesse immédiatement cet effroyable châtiment. Je bois la tasse, je prends l’eau de toutes parts, mais toujours ma gorge est sèche de ne pouvoir boire tes lèvres et mon cœur encore plus dur que de la pierre. Je m’imagine en Prométhée, chaque jour damné et enchaîné à son rocher, et qu’un aigle géant originaire du Caucase vient dévorer. Narcisse a ses propres pensées, moi je n’ai fait que me pencher sur ton reflet fugace sur l’onde et je n’y ai vu qu’un affreux fantôme ! À la fois hideux et sombre… Crédits : Le Radeau de la Méduse (1819) de Théodore Géricault (1791 - 1824), huile sur toile, 491 × 716 cm, Musée du Louvre, Paris (France)
- Paris, Londres, Rome...
Écrire une microfiction à partir de l’affiche “Ils ont vu cela !” du premier numéro de la revue L’amour, dirigée par Frédéric Pajak (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Paris, Londres, Rome Berlin, Camberra, Washington D.C, São Paulo, Tokyo, Sofia, Séoul, Pékin, New Delhi, Port Louis, … Ils en ont visité des destinations, bien plus que de raison ! Ils ont voyagé, au-delà même de ce qu’ils s’étaient imaginés ! Devant leurs yeux, les secrets et les Merveilles du monde révélées. Manger des spaghettis avec vue sur la Tour de Pise aussi bancale qu’un p’tit vieux en train de boiter. Ah ! Qu’est-ce qu’ils se sont se marrés ! Flotter sur les eaux du Nil et se laisser porter par la beauté du sable et de ses pyramides dorées. Pleurer Guernica, vestige accroché sur les murs espagnols, d’une énième guerre douloureusement menée. Fouler les pavés français pour y apercevoir la grande Dame de Fer s’y dresser. Regarder les danseuses de Flamenco se trémousser sur un rythme aussi lent que saccadé. Imiter la lambada sous les cocotiers jusque sur les char sbrésiliens colorés qui, devant leurs yeux, sont en train de parader. Ils ont vu cela ! Oui, ils ont vraiment vu tout cela... sur des fichues cartes postales imprimées. Le monde est beau lorsqu’on a les moyens de le visiter, mais cela n’est rien comparé à cette équipe mobilisée venue les trouver au fin fond d’un morceau d’Afrique oubliée. Des victuailles. De l’espoir. Un vrai soupçon d’humanité.
- Un amour à travers le temps et l'espace (2/2)
L’angoisse. Telle était l’émotion qu’éprouvait majoritairement Dimitri ces derniers temps. Et pour cela, il avait une excellente raison : Tatiana avait disparu. Au début, le jeune homme n’avait pas voulu y croire : chaque fois qu’il s’était rendu à la maison de sa bien-aimée et qu’il l’avait sans cesse trouvée vide, il s’était toujours dit que Tatiana était absente parce qu’elle était allée faire une course au village ou qu’elle était allé ramasser des fleurs dans les bois. Mais au bout de sa troisième visite, l’être des Ténèbres avait dû admettre l’impensable : son amante n’était plus là. « Serait-elle partie… sans moi ? » avait d’abord songé Dimitri avec douleur, ne pouvant pas croire que celle qu’il aimait aurait pu l’abandonner ainsi. Heureusement pour lui, il s’était vite ressaisi : non, cela ne ressemblait pas à Tatiana de disparaître comme ça, sans au moins prévenir quelqu’un de son absence. Il lui était forcément arrivé quelque chose… mais quoi ? Sa question finit par trouver un début de réponse, une semaine plus tard, à travers les rumeurs du village de sa bien-aimée. Dimitri avait pris l’habitude de s’y promener chaque fois qu’il se rendait à la demeure de Tatiana, son manteau cachant son identité puisque les êtres des Ténèbres n’étaient pas exactement les bienvenus parmi les Anciens. De cette façon, il pouvait facilement écouter les gens parler, surtout ceux qui abordaient le sujet du départ soudain de la fille sans pouvoir. De ce fait, par un bel après-midi ensoleillé, Dimitri apprit au détour d’une conversation que plusieurs personnes avaient repéré une ombre noire, rôdant près du village, le soir de la disparition de Tatiana. Depuis, c’était comme si la jeune fille s’était envolée, évaporée de la surface de la Terre. Comme si elle n’avait jamais existé. Le jeune homme ne mit pas longtemps à deviner qui pouvait se cacher derrière cette ombre mystérieuse : après tout, la seule personne qui aurait pu vouloir attenter au jour de Tatiana… était le comte Vasya, son propre père ! Lui seul aurait pu se faufiler ainsi au village de la jeune fille et s’en prendre à elle d’une aussi cruelle manière. La rage ne tarda pas à s’emparer de Dimitri, une rage furieuse. Sans plus attendre, il se dépêcha de retourner sur sa terre, lieu de nuit éternelle. Là-bas, il ne tarda pas à demander à être reçu par son père, ce que ce dernier finit par lui accorder : et ce fut un Dimitri particulièrement enragé qui fit irruption dans les appartements du comte Vasya, songeant au fond de lui qu’il ne partirait pas tant qu’il n’aurait obtenu de réponses à ses questions. - Fils, l’accueilit le comte d’une voix calme mais froide. On m’a rapporté que tu souhaitais me voir de toute urgence ? - En effet, père ! répliqua Dimitri dans un emportement qui contrastait avec l’impassibilité du comte. Et je crois même que vous savez déjà pourquoi je suis là ! L’être des Ténèbres demeura silencieux, son visage n’exprimant aucune émotion particulière. Cette attitude ne fit que renforcer la colère déjà profonde de Dimitri et s’approchant de son père, il se mit à crier : - Je suis ici pour Tatiana ! Je sais que vous êtes responsable de sa disparition ! Qu’avez-vous fait d’elle ? Je veux la voir sur-le-champ ! CLAC ! La gifle du comte Vasya fut si forte que Dimitri faillit tomber à terre. Cependant, il ne fit que trébucher avant de se tenir la joue, sous le choc de la douleur mais aussi du geste : jusque-là, son père n’avait encore jamais porté la main sur lui. C’était toujours les serviteurs de ce dernier qui étaient chargé de le punir corporellement quand il se comportait mal… et c’était bien la première fois que le comte Vasya osait frapper son seul héritier. - Tais-toi donc, Dimitri…, gronda l’être des Ténèbres d’une voix sourde et chargée de colère. Tu as été manipulé par cette maudite humaine depuis que vous vous êtes rencontrés ! Tu as fait honte à mon nom et à la Tribu des Ténèbres toute entière ! Le jeune homme ne parvenait pas à croire ce qu’il entendait. Oh bien sûr, il savait que son père n’appréciait guère les humains et qu’il n’avait jamais vu sa relation avec Tatiana d’un bon œil, vu comment il s’était attaqué à elle la première fois… Mais jamais Dimitri n’aurait imaginé que son père verrait cette relation comme une véritable déchéance pour tous les êtres des Ténèbres ! C’était complètement ridicule ! Lui et Tatiana s’aimaient, tout simplement, et il était connu que l’amour était un adversaire auquel on ne pouvait faire face longtemps. - Cela m’est égal ! répondit donc courageusement le jeune homme, au risque de recevoir une nouvelle correction de la part de son paternel. Tatiana est tout pour moi ! Rien d’autre n’a d’importance ! - Dans ce cas, répliqua le comte Vasya d’une voix plus calme mais aussi teintée de déception, je dois te dire que ton amie n’est plus de ce monde. Au son de ces paroles, Dimitri eut l’horrible impression de sentir son sang se glacer dans ses veines, bien qu’il refusa d’abord de croire au pire : - Que… Que voulez-vous dire ?! bredouilla-t-il d’une voix tremblante. - C’est le prix que doivent payer ceux qui rejettent leur destin mon fils, répondit le comte en ouvrant sa main gauche et laissant tomber au sol une poignée de pétales de rose séchés ainsi qu’un ruban fuchsia ô combien familier à Dimitri. Le jeune homme faillit s’évanouir face au ruban que Tatiana aimait tant porter dans ses cheveux. Son père avait donc mis ses menaces à exécution contre la femme qu’il aimait et il l’avait… Il l’avait… - Elle est… non… Je ne peux pas y croire ! C’est impossible ! clama-t-il en tombant à genoux, les premières larmes commençant à couler en cascades sur ses joues, les yeux fixés sur le ruban de son amante. - Un jour, tu réaliseras, mon fils, déclara le comte Vasya, prêt à quitter la pièce. Nous ne pouvons vivre avec les humains… Et tu ne feras pas exception à la règle. Ce fut sur ces mots que l’homme quitta ses appartements, abandonnant son fils à la plus atroce des douleurs possibles : celle du chagrin d’amour… et le plus abominable dans cette histoire, c’était que son propre père fut responsable de la perte de sa compagne tant aimée. Soudain, ce fut affreux : Dimitri se mit à hurler, d’une telle force que ses cris résonnèrent partout dans la demeure et terrifièrent les serviteurs. Nul n’osa aller l’importuner, chacun comprenant que le fils de leur maître était en proie à de grandes souffrances… La seule chose qu’ils espéraient était que leur jeune seigneur puisse être capable de surmonter sa douleur et de continuer à vivre comme auparavant. Cependant, personne ne se douta qu’en intervenant de façon indésirable dans la vie privée de son fils et le privant de la seule chose qui comptait réellement à ses yeux, le comte Vasya venait d’enclencher la procédure de toute une tragédie à venir. Oui… Une tragédie qui affecterait non seulement la vie du seigneur Dimitri, mais aussi celle de la Tribu des Ténèbres toute entière. Un an plus tard… Bien des mois s’étaient écoulés depuis le drame ayant touché le couple de Dimitri et Tatiana. Le jeune seigneur avait depuis lors sombré dans un intense désespoir qui lui avait fait perdre l’envie de vivre. Dans un premier temps, l’être des Ténèbres n’avait pas voulu abandonner l’espoir que Tatiana puisse être encore en vie, quelque part. Après tout, le comte Vasya n’avait pas clairement indiqué à son fils qu’il avait tué la jeune fille, juste qu’elle n’était plus de ce monde. Dimitri avait donc parcouru bien des royaumes, loin de sa terre natale, pour essayer de retrouver celle qu’il aimait. Mais tous ses efforts n’avaient servi à rien : où qu’il soit allé, par monts et par vaux, le jeune homme n’avait pas retrouvé Tatiana. Finalement, il fut obligé de se résoudre à l’abandon et à la défaite, tous deux au goût amer. Cette décision ne fit que nourrir un peu plus son chagrin de la perte de sa compagne, chagrin qui se transforma en amertume puis en haine. Oui, la haine de la joie et du bonheur : pourquoi le monde pouvait-il continuer à être heureux alors que lui ne l’était plus ? À partir de là, de sombres sentiments commencèrent à dévorer le cœur de l’être des Ténèbres, à tel point que Dimitri finit par prendre une décision radicale : se venger ! Non seulement contre son père, responsable de la disparition de Tatiana, mais aussi contre la Tribu des Ténèbres, intolérante aux humains, à défaut de vivre ensemble sur les mêmes terres. Oui, Dimitri allait se venger contre son peuple tout entier… et pour cela, il savait comment il allait faire. Dans la Tribu des Ténèbres, il existait un livre nommé l’Opus Ténébrus qui renfermait de terrifiants secrets ainsi que des pouvoirs d’une puissance inimaginable. Nul ne savait qui avait écrit cet ouvrage, mais une chose était bien connue de tous : celles et ceux qui avaient un jour ouvert ce livre n’avaient ensuite jamais trouvé le bonheur. C’était pour cette raison qu’il avait été scellé avant de tomber dans l’oubli collectif. Mais Dimitri, pour son malheur, n’avait jamais oublié cette sinistre histoire. Finalement, un an jour pour jour après la disparition de Tatiana, son amant se décida définitivement à commettre l’impensable : alors que la lune brillait de mille éclats dans le ciel nocturne, Dimitri descendit dans la crypte contenant tous les livres interdits - considérés comme trop dangereux à être manié pour un être des Ténèbres normal - et se mit à la recherche de l’Opus Ténébrus. Au bout de quelques minutes, il trouva enfin ce qu’il cherchait : l’ouvrage reposait sur un socle en pierre noir, la couverture brillant d’une lueur sombre et maléfique. Lentement, le jeune homme approcha ses mains du livre avant de le saisir avec précaution. Il haleta légèrement en sentant le choc des pouvoirs diaboliques émerger des pages et parcourir son corps ; pourtant, sa détermination demeura intacte et il garda l’ouvrage serré entre ses doigts. Cependant, alors qu’il était sur le point d’ouvrir l’Opus, il entendit une voix familière et inquiète l’interrompre : - Dimitri, arrête ! Même nos ancêtres n’ont su maîtriser le pouvoir de ce livre ! Si jamais tu l’ouvres, qui sait ce qui arrivera ? Le jeune être des Ténèbres se tourna lentement vers son père qui avait visiblement découvert ses mauvaises intentions. De son côté, le comte Vasya fut un peu plus angoissé en constatant que l’ouvrage était déjà en train d’agir sur son fils : les yeux bleus de Dimitri, d’habitude d’un azur très pur, étaient à présent d’un rouge luisant de dureté. - Ça m’est égal, père ! cracha-t-il avec venin. Vous ne le comprenez donc pas ? Le monde n’est rien sans elle ! Ma VIE n’est rien sans elle ! Puis, sans que le comte n’eut le temps de l’arrêter, Dimitri ouvrit grand le livre : - Parle Opus Ténébrus ! ordonna-t-il d’une voix tonnante comme un orage. Dévoile-moi ta sombre légende ! J’attends tes ordres ! Soudain, ce fut un véritable chaos qui s’abattit dans la pièce : une lumière aveuglante jaillit de l’ouvrage et sembla dévorer Dimitri tout entier. Aveuglé, le comte Vasya fut obligé de se protéger le visage pour préserver sa vue et lorsque la lueur disparut, il rouvrit les yeux avant d’haleter d’horreur : - Dimitri… Qu’as-tu fait ! s’écria-t-il en voyant l’aura ténébreuse entourer le corps de son enfant, son regard désormais rouge sang. Mon fils… - Silence ! répliqua le jeune homme, visiblement enivré de puissance maléfique. L’Opus a parlé : je vais effacer ce monde… JUSQU'À LA DERNIÈRE PIERRE ! La plus grande peur du comte Vasya devint réalité lorsqu’il entendit les terribles paroles de son fils : l’Opus Ténébrus avait facilement eu raison de lui, du jeune homme innocent qu’il était autrefois… Comment cela pouvait-il être possible ? Soudain, Dimitri claqua des doigts et aussitôt, une tige couverte de trois crocus violets apparut dans sa main tandis que des liens de magie noire vinrent s’enrouler autour des poignets du comte Vespasien, l’empêchant de se défendre, et autour de son cou. L’être des Ténèbres haleta sous la pression tandis que son fils serrait le poing autour des fleurs, étranglant lentement son père à mort. - Vous n’auriez jamais dû vous en prendre à Tatiana…, grogna Dimitri en ignorant les halètements étouffés de sa future victime. Plus rien n’a d’importance pour moi depuis qu’elle est partie ! Tout cela à cause de vous ! - Di… Dimitri ! Ne fait pas ça ! Dimitri, je t’en supplie ! cria le comte alors qu’il ne parvenait presque plus à respirer. - Dimitri n’est plus ! Je suis le comte Demetrio désormais, et nul ne peut plus s’opposer à ma volonté ! répliqua la jeune homme avant de partir dans un ricanement empreint de folie. Serrant le poing à s’en enfoncer les ongles dans la peau jusqu’au sang, Dimitri - à présent devenu le comte Demetrio sous l’influence de l’Opus Ténébrus - finit d’achever son père qui émit un dernier râle avant de mourir. Une fois son corps libéré des liens magiques qui le retenaient, il s’effondra au sol, inerte, une vilaine marque sombre imprimée sur son cou. Le tout nouveau comte en avait fini avec son père. Mais à présent, c’était à la Tribu des Ténèbres entière à laquelle il fallait s’attaquer. Il allait à nouveau se servir des pouvoirs de l’Opus Ténébrus pour mener sa sinistre besogne à bien… Quelques instants plus tard, de véritables flèches de magie noire s’abattirent partout sur les terres des êtres des Ténèbres, aboutissant en de terrifiantes explosions. La stupeur du peuple laissa très vite place à la panique et la fuite, dans des tentatives de survie désespérées. Mais personne ne fut épargné : hommes et femmes, enfants et vieillards, tous furent attaqués de plein fouet par les nouveaux pouvoirs du comte Demetrio. Environ une heure plus tard, la Tribu des Ténèbres n’était plus : ils avaient tous été exterminés jusqu’au dernier. Son unique survivant était aussi le responsable de leur fin, le comte Demetrio, anciennement connu sous le nom du seigneur Dimitri. Sa demeure étant désormais en ruine, comme le reste du village, le jeune homme finit par quitter sa terre natale, déterminé à s’offrir une demeure digne de lui. Oui, il se construirait un palais à l’image de sa nouvelle identité, à la fois sombre, froid et puissant. Il se retirerait là-bas avec ses crimes enfouis dans sa conscience et la douleur constante de la perte de son grand amour. Au fond, le comte Demetrio pensait qu’il n’était pas né pour le bonheur, mais bien le malheur. Puisqu’il en était ainsi, il ne voyait pas pourquoi il ne mettrait pas sa plus grande menace à exécution, comme il l’avait annoncé à son père : celle de détruire son monde… Quatre ans plus tard… Cinq ans. Cinq ans maintenant que Tatiana avait disparu, ayant conduit le comte Demetrio à faire appel aux pouvoirs de l’Opus Ténébrus pour exercer sa vengeance contre son père, son peuple et bientôt, sur le monde entier. Cela avait pris du temps mais le comte était désormais près de son dernier but : créer l’Étoile du Chaos, un artefact magique qui lui servirait à anéantir toute forme de vie sur Terre. Or, depuis tout ce temps, l’être des Ténèbres ignorait une vérité absolument choquante concernant Tatiana : en réalité, celle-ci était toujours en vie. Le soir où le comte Vasya l’avait attaquée, la jeune fille aurait facilement pu mourir, dormant au moment où le père de Dimitri s’était lâchement faufilé dans sa maison. Mais quelque chose - son instinct de survie, sans doute - lui avait permis de rester en vie, malgré ses nombreuses blessures. Face à la résistance de Tatiana, le comte avait rapidement changé de tactique : au lieu de la tuer avec sa magie, risquant d’attirer sur lui l’attention des villageois proches, il lui avait jeté une malédiction. Pas n’importe laquelle : l’être des Ténèbres avait maudit l’amante de Dimitri en la condamnant à errer entre les dimensions jusqu’à sa mort, sans espoir de retour chez elle. En quelques secondes, Tatiana avait sombré dans le noir, perdant toute maîtrise de son corps. C’était comme si elle était morte… mais avec un esprit bien vivant. Un cauchemar permanent, sans cesse en éveil. Durant tout ce temps qu’elle avait passé, consciente, Tatiana avait prié intérieurement de toutes ses forces, prié pour sa sécurité mais aussi pour Dimitri, espérant qu’il finirait par découvrir où elle avait disparu. Et puis, sans qu’elle ne comprenne comment cela était arrivé, Tatiana était brusquement réapparue dans son village natal, au cœur d’une grande lumière blanche. Les Anciens l’avaient retrouvé avec stupeur, et dans un état si grave qu’ils avaient dû faire appel à toute leur puissance magique pour la sauver in extremis. Pendant une année entière, la jeune fille était restée en convalescence chez elle, soignée par les habitants de son village qui se révélèrent d’une grande solidarité envers elle. Néanmoins, la malédiction du comte Vasya n’avait pas eu que des conséquences physiques sur Tatiana, mais aussi psychologiques : les Anciens ont rapidement découvert qu’elle était devenue totalement amnésique lors de son retour surprise au village. La seule chose dont elle se rappelait était son nom ; le reste semblait avoir été effacé de sa mémoire. Avec du temps et de la patience, les Anciens avaient aidé Tatiana à retrouver ses souvenirs de sa vie d’antan. Cependant, ignorant tout de son histoire d’amour avec Dimitri, ils ne purent aider la jeune fille à se rappeler de son grand amour et la promesse qu’ils s’étaient échangés, il y a bien longtemps. De plus, les Anciens ont vite découvert une autre raison pour qu’ils fassent particulièrement attention à Tatiana : contrairement à ce qu’on avait toujours pensé, la jeune fille possédait en fait des dons magiques comme tous les autres gens de son village. Et pas n’importe quels dons : elle était capable de manipuler l’Opus Luminus, un livre empli de secrets et de pouvoir, comme l’Opus Ténébrus. Mais contrairement à lui, l’Opus Luminus avait été écrit dans le but de contrecarrer la fin du monde et seul un être au cœur pur, dénué de toute mauvaise intention, pouvait le manipuler. Pendant les quatre années qui suivirent sa guérison, Tatiana s’entraîna jour après jour avec ses nouveaux pouvoirs conférés par le livre. Sa tenue vestimentaire avait également changé pour s’accorder davantage avec sa magie : elle avait troqué sa robe rose et son ruban fushia pour une robe blanche et un ruban multicolore évoquant la forme d’un papillon, symbolisant la pureté de son cœur. Tatiana n’avait également pas tardé à apprendre qu’un certain comte Demetrio s’était emparé de l’Opus Ténébrus et l’avait utilisé pour anéantir la Tribu des Ténèbres. Comme il était évident qu’il allait continuer sur sa lancée en détruisant le monde, la jeune fille s’était mise en devoir de contrecarrer ses projets tout en ignorant - et quelle ironie ! - que c’était en fait son ancien grand amour qu’elle combattait, désormais. Tatiana et le comte Demetrio avaient ainsi tendance à s’affronter dans des duels que la jeune humaine remportait toujours, bien qu’elle en ressortait toujours plus ou moins blessée. À cause de son amnésie, elle n’avait, bien entendu, pas reconnu Dimitri à travers le comte. Ce dernier, de façon assez étonnante, n’avait pas non plus reconnu Tatiana - qu’il surnommait railleusement la « sauveuse de lumière » - alors qu’elle était restée la même personne qu’autrefois. Cela pouvait s’expliquer par l’emprise sournoise qu’avait l’Opus Ténébrus sur lui, brouillant à présent sa vision des choses. Puis il advint qu’au cours d’un de leur dernier duel, Tatiana fut violemment jetée au sol par le comte Demetrio, sa tête venant se cogner contre une grosse pierre. Heureusement pour elle, elle se remit rapidement de sa blessure… et pourtant, ce fut à partir de ce moment-là que d’étranges choses commencèrent à lui arriver. Des rêves déconcertants se mirent à tourmenter ses nuits. Ils étaient toujours trop flous pour qu’elle puisse distinguer des personnes, mais elle n’eut aucune difficulté à reconnaître sa propre voix lorsqu’elle parlait. En ce qui concernait ce mystérieux Dimitri, Tatiana eut vite fait de comprendre qu’elle était tombée amoureuse de lui et réciproquement. Pourtant, une chose la dérangeait : s’ils s’aimaient autant, pourquoi n’avait-il pas été à ses côtés lorsqu’elle était devenue amnésique ? La réponse se trouvait dans les rêves suivants qu’elle fit : elle se rappela de son dernier rendez-vous avec Dimitri, sous les étoiles, avec l’espoir de vivre leur amour loin de leurs peuples ; puis elle entendit la conversation entre lui et son père, le comte Vespasien, le jour où ce dernier avait admis à son fils d’être responsable de la disparition de Tatiana. Enfin, une nuit, la jeune fille rêva de ce jour fatal où Dimitri s’était servi de l’Opus Ténébrus pour tuer son père, anéantir sa tribu… et devenir le comte Demetrio. Horrifiée, Tatiana se réveilla en hurlant de terreur, le corps en sueur. Enfin les pièces du puzzle s’assemblaient : si Dimitri avait disparu de sa vie, c’était parce qu’il avait sombré dans les ténèbres… par désespoir ! Le comte Demetrio n’avait donc pas toujours été mauvais : c’était seulement la perte de celle qu’il aimait qui l’avait conduit à changer du tout au tout. Le souffle court, sa mémoire à présent débloquée de tous ses souvenirs perdus, Tatiana n’arrivait pas à croire à la constatation à laquelle elle devait à présent faire face : son unique amour émanait en fait de son unique haine ! Depuis tout ce temps, c’était en fait son ancien amant qu’elle affrontait ! « Il est grand temps de mettre un terme à tout ceci. » songea-t-elle avec une détermination soudaine. « Je dois sauver Dimitri de l’influence de l’Opus Ténébrus et pour cela, l’Opus Luminus pourra me venir en aide… » Le lendemain, les Anciens furent surpris en découvrant que Tatiana avait disparu, ainsi que l’Opus Luminus. Ils supposèrent rapidement qu’elle était partie affronter le comte Demetrio, comme à son habitude. Or, ils ignoraient que cette fois-ci, la jeune fille ne reviendrait pas parmi eux… Environ une heure plus tard, Tatiana arriva au château du comte Demetrio, l’Opus Luminus serré contre sa poitrine. Bien que cet endroit la terrifiait en raison de son obscurité absolue, elle demeura calme et mit ses peurs de côté, déterminée à sauver Dimitri des ténèbres qui le dévoraient depuis trop longtemps. Traversant les couloirs de la demeure du comte, Tatiana repoussa ses ennemis avec la barrière de lumière, une arme redoutablement efficace. Elle ne tarda pas à se retrouver face à son adversaire de toujours et celui-ci fut contrarié de voir que l’humaine avait réussi à pénétrer son château si facilement. Le combat dura un certain temps puis soudain, Tatiana ouvrit grand son livre de magie et récita une incantation : - Opus Luminus, chasse le mal et les ténèbres qui nous entourent ! Dimitri, il est temps que tu reviennes à la raison ! Le sort frappa le comte Demetrio de plein fouet et en l’espace de quelques secondes, tous les souvenirs heureux qu’il avait partagé auprès de Tatiana ressurgirent de sa mémoire et il comprit enfin qu’il s’agissait de la femme avec qui il était en train de se battre ! - AAAAAAAH ! hurla-t-il de douleur avant de disparaître lentement. Son amante savait qu’il n’était pas mort : elle l’avait seulement affaibli pour qu’il puisse redevenir l’homme qu’elle avait connu auparavant. En effet, il réapparut au sol, non loin d’elle, son monocle brisé et ses vêtements froissés. Plus important encore : ses yeux avaient perdu leur sinistre couleur rouge et retrouvé leur bleu azur d’antan. - Dimitri… ! l’appela-t-elle à voix basse tout en se précipitant vers lui. Au fond, elle espérait que son sort n’ait pas infligé trop de dommages à son bien-aimé. - Tatiana…, eut la force de murmurer ce dernier, n’arrivant pas à croire au miracle qui était en train de lui arriver : celle qu’il aimait était vivante, lui faisant face, ses grands yeux verts brillant d’amour et d’angoisse mêlés. Cependant, lorsqu’il vit qu’elle commençait à se servir des pouvoirs de l’Opus Luminus pour le soigner, il la repoussa doucement, sachant qu’il était temps pour lui de payer pour les crimes qu’il avait commis : - Non Tatiana, il est trop tard… Tu as gagné ce duel… Alors achève-moi… La jeune fille ne put se retenir d’haleter d’horreur en entendant la demande de l’homme qu’elle aimait. Pourquoi lui ordonnait-il une chose pareille ?! - Dimitri ! Pourquoi devrais-je faire ça ? Pourquoi ? Nous venons enfin de nous retrouver ! - Je le sais Tatiana…, grimaça le jeune homme avec douleur. Mais j’ai commis l’impardonnable… Je… Je l’ai créée… - Créé ? Qu’as-tu créé ? Attends… Ne me dis pas qu’il s’agit de… - Si, mon amour : j’ai créé l’Étoile du Chaos. Tatiana demeura sans voix face à cette abominable nouvelle : maintenant que l’artefact avait pris vie, il allait tout détruire sur son passage ! - Dimitri ! Est-ce qu’il n’existe aucun moyen pour détruire l’Étoile ? s’exclama la jeune fille d’une voix suppliante, ne voulant pas voir son monde disparaître. - Il n’y en a qu’un seul…, répondit l’être des Ténèbres dans un soupir. Le détenteur de l’Opus Ténébrus doit ordonner au livre d’annuler ce qui a été fait. Mais il devra payer ce souhait de sa propre vie… Comprenant ce que cela impliquait pour Dimitri, Tatiana ravala un sanglot, ne voulant pas voir mourir celui qu’elle venait à peine de retrouver. Mais une idée lui vint alors à l’esprit : - Attends mon amour ! Je viens de penser à quelque chose… Les Anciens m’ont raconté que celui ou celle qui détenait l’Opus Luminus, avait le droit de faire un vœu et un seul. Si tu ordonnes à l’Opus Ténébrus de détruire l’Étoile du Chaos, alors je pourrai demander à l’Opus Luminus de nous unir à jamais, même à travers la mort, l’espace et le temps. - Tatiana… Tu crois vraiment que c’est possible ? Nous pourrions à la fois sauver notre monde et vivre enfin ensemble, comme nous l’avions autrefois espéré ? - Je le pense, Dimitri. De toute façon, nous n’avons plus le choix, il faut le faire : pour le bien de notre univers… mais aussi de notre amour. Convaincu, le jeune homme hocha la tête, sachant que la situation devenait extrêmement urgente. Se faisant face à face, les amants tendirent chacun leur livre devant eux, ouverts, les faisant presque se frôler. - Que ce qui a été fait par l’Opus Ténébrus soit défait sur-le-champ ! récita Dimitri d’une voix forte et claire. Aussitôt, l’Étoile du Chaos apparut au-dessus du couple et commença à trembler et luir d’une violente lumière noire, tout comme l’ouvrage dans les mains de l’ancien comte Demetrio. Tatiana ne perdit pas de temps pour réciter sa propre incantation : - Que l’Opus Luminus exauce le souhait des amants perdus en leur permettant de vivre ensemble éternellement ! Immédiatement, une intense lumière blanche illumina l’ouvrage de Tatiana, s’opposant à la lueur sombre de l’Opus Ténébrus. Les deux livres s'élevèrent au-dessus des deux jeunes gens, alignés avec l’Étoile du Chaos, et tous se mirent à trembler avec une violence redoublée. Comprenant que l’inévitable était proche, Dimitri et Tatiana se rapprochèrent pour se blottir dans les bras de l’un et l’autre avant de fermer les yeux. Et puis, ce fut la déflagration : l’Opus Luminus et l’Opus Ténébrus s’unirent à l’Étoile du Chaos et tout explosa en une gigantesque lumière blanche mêlée de noir, envahissant la pièce ainsi que les maîtres des livres qui disparurent dans cet éclatant embrassement… Les ouvrages avaient respecté la demande de Dimitri et Tatiana : l’Étoile du Chaos n’était plus, sauvant ainsi le monde de la destruction. Cependant, l’explosion de l’artefact n’avait pas tué les amants, comme le leur avait accordé l’Opus Luminus. Non, ils étaient toujours en vie, enlacés, perdus dans un tourbillon de fleurs de myrte blanches et de chatoiement lumineux… Certes, Dimitri et Tatiana ignoraient ce qui allait advenir d’eux, mais ils étaient persuadés d’une chose : désormais, quoi qu’il leur arriverait, ils y feraient face, ensemble. - Tatiana… Te rappelles-tu la promesse que nous nous sommes faites ce jour-là ? demanda doucement Dimitri à l’oreille de sa bien-aimée. - Oui, je me souviens…, lui répondit la jeune fille, se replongeant momentanément dans le passé. S’il existe un endroit où nous serons heureux ensemble, alors nous le trouverons. Soudain, le tourbillon autour d’eux se calma et à la place, ils virent un grand escalier en cristal qui semblait monter droit vers le ciel. Se pourrait-il que leur monde idéal puisse se trouver en haut des marches ? En tout cas, Dimitri en fut persuadé. Se tournant vers les escaliers, il tendit ensuite la main vers celle qu’il aimait, son regard débordant d’un amour sans nom : - Tatiana… Le temps est venu pour nous d’honorer cette promesse. Me suivras-tu ? - Dimitri… Bien sûr…, murmura-t-elle en prenant sa main dans la sienne. Où que tu ailles, je serai toujours avec toi… Sur ce fait, les amants autrefois perdus montèrent les marches et disparurent bientôt dans une brume de nuages vaporeux. Nul ne les a jamais revus. En ce qui concernait l’Opus Luminus et l’Opus Ténébrus, les Anciens les avaient retrouvés dans l’ancien château du comte Demetrio, vraisemblablement abandonnés. Tandis que l’ouvrage maléfique avait de nouveau été scellé - et cette fois-ci définitivement pour qu’il ne tombe plus jamais entre de mauvaises mains - les Anciens avaient fait appel au pouvoir du livre lumineux pour découvrir ce qui était arrivé à Tatiana et au comte Demetrio. L’Opus leur avait alors dévoilé la tragique histoire d’amour unissant les deux jeunes gens et le sacrifice qu’ils avaient accompli pour sauver leur monde. Aujourd’hui encore, tout le monde au village de Tatiana connaît la légende des amants maudits, dont l’amour avait été suffisamment fort pour vaincre l’Étoile du Chaos et ainsi empêcher leur monde de disparaître. Beaucoup étaient aussi persuadés que le couple était encore vivants, quelque part, ayant enfin trouvé leur lieu de vie tant espéré. Et quelque part, au sommet de leur propre paradis, Dimitri et Tatiana vivaient heureux, enfin réunis à jamais. Fin.
- Une vie
Réécrire la microfiction Slogans de David Thomas (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Karine était une femme simple et calme, elle avait rencontré James durant un rencard arrangé par sa mère. Il était si doux et gentil qu’elle était toute suite tombée amoureuse de lui. Ils avaient fini par se marier deux mois après leur première rencontre. Karine avait sacrifié tout son temps pour son mari, cet homme politique charmant et séduisant, celui que toutes les femmes souhaitaient avoir. Elle voulait qu’il la trouve toujours jolie, qu’il ne la laisse jamais, alors elle se levait avant l’aube pour se maquiller et se coiffer, puis elle retournait au lit pour qu’il ne voit pas ses défauts. Elle avait toujours cherché à l’impressionner, préparait à manger, faisait le ménage, elle pratiquait même du sport pour garder sa taille fine : elle faisait tout pour être la femme idéale et pour garder sa beauté. Le jour de son anniversaire, elle avait décidé de lui faire une surprise, une petite fête entre eux dans le bureau de travail de son mari, car il lui avait dit qu’il allait rentrer tard à la maison, à cause d’une réunion avec une cliente. Elle avait ouvert la porte de son bureau et elle l’avait surpris en train de la tromper avec sa cliente. « La perfection d’une femme ne fait pas la fidélité d’un homme . » Elle avait quitté la maison le lendemain même. Elle avait le cœur brisé, se disait qu’elle n’allait plus jamais faire confiance à un homme ; elle pleurait pendant des jours et mangeait à peine, mais elle savait que son cœur ne battrait jamais pour quelqu’un d’autre car c’était lui qu’elle aimait malgré tout ce qu’il lui avait fait. Un jour, James était venu taper à sa porte pour s’excuser : il avait fait son discours de politicien, la suppliant de lui pardonner. Ce qu’elle avait fini par faire, sans savoir qu’elle avait fait une erreur irréparable. « Une faute commise peut coûter une vie entière . » Cinq mois après, aucun problème, il n’y avait pas de disputes entre eux. Il rentrait tôt à la maison et ne ratait jamais le dîner. Karine avait cru qu’il avait bien changé. Plus tard, ce fut la plus belle journée de sa vie quand elle apprit qu’elle était enceinte. Elle était folle de joie et son mari aussi : d’ailleurs, il avait même commencé à acheter des vêtements pour le bébé sans même connaitre son sexe. Quelle vie heureuse, il ne manquait que l’arrivée de cet ange qui avait transformé son père même avant qu’il ne soit né ! Ils comptaient les heures pour le jour J… mais l’inattendu est arrivé : elle lavait les vitres de ses fenêtres quand soudain, elle a perdu l’équilibre et est tombé, provoquant une fausse couche. « Entre le bonheur et la tristesse, une fraction de seconde .» Son mari la blâmait sur la perte de leur bébé, il s’était avéré qu’il avait changé juste pour lui, retournant désormais à son ancienne, stupide et fatigante vie : le retard tous les soirs, les disputes et les trahisons. Le seul espoir de Karine était d’essayer une autre fois d’avoir un bébé mais même cela, c’était impossible : le médecin lui avait annoncé qu’elle ne pourrait plus avoir d’enfants à cause de la chute qu’elle avait faite. Elle ne pouvait plus rien supporter, elle se blâmait pour sa perte et même pour les trahisons de son mari parce qu’elle ne pouvait plus lui donner un fils. Elle n’avait plus rien qui la retenait à la vie. Un soir, son mari rentrait du travail. Dans ses mains, il tenait un bouquet de roses, les préférées de Karine. Il la chercha partout, ne la trouva nulle part, jusqu’à ce qu’il ouvrit la porte de la salle de bain : il la découvrit baignant dans une mare de sang. James tomba à genoux et soudain, le flash-back de tout ce qu’il avait vécu avec Karine passa devant ses yeux et il éclata en larmes. « Pourquoi le regret, si le mal est déjà fait ? »
- Insurrection
Rien n’est dû au hasard. Cette histoire s’est passée il y a bien longtemps à Paris, lors de la canicule printanière de l’année 2028 qui a réduit la population des EHPAD de moitié et par effet domino embouteilla les crématoriums, les cimetières parisiens et autres fosses communes, ce qui donna du travail aux services funéraires pour les dix années à venir. Pour ne pas vous cacher les pompes funèbres et les croque-morts s’en frottèrent les mains. Les températures atteignirent des pics record sans précédent. Réchauffement climatique oblige, le baromètre ne descendit pas en-dessous de 40°C ce printemps-là. En attendant on congelait ou on cryogénisait (pour les plus fortunés d’entre nous) à tout va, les défunts étaient entreposés dans des vestibules pour ceux qui n’avaient pas encore pris leur billet pour la file d’attente mortuaire. Ce n’était pourtant que le cadet de nos soucis car quelque chose de bien plus inquiétant se tramait en coulisse. Je vais vous relater les événements en remontant pour vous les aiguilles de la grande horloge. Nous voilà à l’aube évanescente de cette année tournant. Paris est en proie à de graves tourments, c’est la guerre civile. Pour couronner le tout, la France n’a pas passé la phase de groupes à la coupe du Monde de football (elle qui pourtant l’a été à trois reprises en 1998, 2018 et 2022). Les réformes budgétaires sont huées partout, elles ne passent pas, la pilule est dure à avaler. Enlevez les jeux au peuple et soyez-en sûr, il ouvrira les yeux et il se révoltera. C’est peu ou prou ce qui s’est passé à ce moment-là. Faites avec moi je vous en prie ce bond dans le temps… Comme la pauvre Pénélope avant moi renouez les fils du Destin nuit après nuit jusqu’au lendemain. C’est l’émeute, nous étions moutons nous voilà devenus loups, d’un seul coup, sans transition ! Ça court soudain de partout, ça part dans tous les sens, comme si quelque géant avait posé le pied sur une immense fourmilière. Ou mis le doigt dans la prise à nous les faire sortir définitivement du cul. L’accent est mis sur quelque chose, la main de Marianne pointe volontairement du doigt quelqu’un, et ce quelqu’un est forcément coupable. Comme le mauvais élève de la classe ou bien le vilain petit canard dont on ne veut plus. Vite ! Un bonnet d’âne ! Un échafaud et que les têtes décapitées roulent sur le billot ! La guillotine, les royales têtes coupées, c’était le bon vieux temps tout ça, où est-il désormais ? Qu’en reste-t-il au juste ? Du reste partout dans le monde, les nations étrangères nous raillent. Nous voilà subitement devenus la risée de l’humanité toute entière qui se rit de notre pitoyable inhumanité, de notre médiocrité. L’accumulation des grèves en guise de spécificité française nous a fait perdre de notre crédit. Nous qui cependant, il n’y a pas si longtemps encore, étions le berceau des Lumières et portions cette flamme bien haut très fièrement. Répandant nos idées à toute l’Europe embrasée. Mais ça c’était avant… Bien avant qu’un papillon n’agite ses ailes et détraque tout irrémédiablement et nous entraîne comme Icare dans sa chute. On est en droit de se poser la question : est-ce un mal pour un bien ? Les Français pourtant sont enfin sortis de leur longue hibernation. C’est la fin de l’hiver. Gueule de bois, démarche et bouche pâteuses. Les barricades se dressent de partout, le drapeau rouge et noir flotte de nouveau, et les camarades entrent en rébellion tout comme moi qui suit docilement le mouvement. C’est l’effet de masse bien connu par Hitler et Goebbels. Telle la Liberté guidant le peuple sur le tableau de d’Eugène Delacroix, nous ne voulons plus de toutes ces corvées et de toutes ces taxes totalitaires. Le citoyen français n’est pas un mouton que l’on tond et corvéable à souhait. Car sans notre laine il ne restera de nous plus que des os. La faim et la misère font monter la gronde, en un mot c’est une nouvelle Fronde, contre cet insolent qui se tient fièrement aux manettes du pays et de manière effrontée prétend ne pas entendre nos revendications. Ce n’est pas seulement un pavé dans la mare que l’on jette, loin de nous cette idée. Le peuple en a marre, marre de ne pas être entendu, de ne pas être écouté ; c’est la triste réalité. Il a l’impression d’être un éternel incompris… Mais la foule harangue, la foule harangue, elle hurle son état exsangue ! Tout augmente sauf les salaires, on veut plus de pouvoir d’achat, plus de retraite et moins de taxes et d’impôts ! Ce n’est pas une vulgaire poissonnière qui vend son poisson sur l’étal du marché ou une vulgaire putain qui écarte bien docilement les cuisses et que l’on trousse à son aise entre midi et deux. Subitement c’est un mouvement de foule, encore plus dangereux que la houle. Il était temps que le pays des droits de l’homme et des libertés tire la sonnette d’alarme. La cloche du navire ivre résonne, les récifs et la Bastille sont à portée de fusil ; tout le monde est sur le pont, prêts à écoper ou bien à en payer les pots cassés. Marchandise, cargaison et trésor public, tout est ruiné. Puisque le bateau avec à la barre son despote Lion est en train de couler, définitivement sombrer. En creusant un peu plus la dette mondiale et notre tombe, et en s’en mettant au passage plein dans les poches ainsi qu’aux îles Caïmans. Tragique comédie, notre destin est sans appel. Il ne fallait pas voter pour lui et il est trop tard désormais pour se rebeller contre ce tyran. Mon pauvre pays, tes bonnets rouges, tes gilets jaunes, tes cagoules noires ! La matraque est de sortie, les vitrines se brisent nous entraînant un peu plus dans le malheur. C’est le grand cirque, le zoo sans aucun humains ni animaux. C’est la grande ménagerie, ou même, pire que ça, un nouvel arche de Noé qui se prépare la mort dans l’âme au naufrage prochain. Nous voilà alors désespérés. Les rats quittent le navire une fois qu’il est en train de couler. Ils s’agitent, ils montrent leurs dents farouchement, font entendre leurs voix et sortent des égouts de la ville. La chaleur étouffante est sans pareille. Le soleil nous tape sur la tête et sur le système tandis que nous simples citoyens c’est sur le système tout entier qu’on a envie de taper. Le bitume sur les routes a fondu. Les voitures et les camions partout dans le pays sont immobilisés. Les roues sont enfoncées de moitié dans la glu du macadam. Les clims ne marchent plus, faute d’électricité que les éoliennes, les panneaux solaires ou même les centrales nucléaires ne peuvent plus fournir. Les coupures d’électricité sont monnaie courante, elles ont lieu quatre à cinq fois par jour, et durent plusieurs heures, plongeant tout un pays dans la nuit et un peu plus dans le chaos… Ça n’est pas sans rappeler le massacre de la Saint Barthélémy le 24 août 1572, la Révolution française le 14 juillet 1789, la Terreur, les soubresauts de l’histoire de 1848 durant le Printemps des Peuples qui se répand à travers toute l’Europe et la Commune de Paris entre 1870 et 1871, la nuit des longs couteaux de 1934 ou même encore mai 68 ; les voitures brûlent, les klaxons sonnent l’hallali près des Tuileries tandis que tonnent leurs canons à eau et résonnent leurs bottes sur les pavés et les trottoirs délavés. Les escadrons nous chargent, les paintballs, les balles traçantes, les gaz lacrymogènes, les tasers et les fumigènes. Nous, nous n’avons que nos poings à leur offrir, nos barres en fer, nos battes de base-ball et des cocktails Molotov bon marché dévalisés à l’épicerie du coin. C’est la dure loi de la rue. On joue à qui perd gagne, c’est d’autant plus facile quand on n’a plus rien à perdre… Les keffiehs, les cagoules et les foulards protègent nos yeux et nos poumons. Tout part en fumée, les meutes de loups sont sorties des sombres forêts et ont gagné les villes, tandis qu’à chaque intervention au journal télé (contrôlé par l’État policier) le Lion perd de son crédit, protégé par tous ses gorilles et une armada de poulets remplumés. Mais nous on n’en a rien à foutre ! On leur vole dans les plumes et plutôt deux fois qu’une. Sous les pavés la plage, morts aux flics ! Morts aux cons ! C’est le diktat de la matraque. Tout est noir de monde, c’est la cohue et sans aucun doute la collusion. La foule scande ton nom. Démission ! Démission ! Nous étions agriculteurs serviles et gentils travailleurs à l’instinct grégaire et soudain nous voilà devenus comme fous, abeilles féroces vociférant et tapant du pied dans la ruche. Prêtes à piquer le premier venu. Fourmis travailleuses refusant de courber une fois de plus l’échine, pour le profit d’une ou quelques personnes. Nous voulons couper la tête de la reine mère. Du sang, de la justice dans toute cette injustice, une nouvelle Révolution ! Qui se rapprocherait un peu plus de l’évolution, dans la suite logique des choses. Mais surtout ce que nous voulons, c’est un changement profond d’opinion. Il y a comme je vous ai dit un air de déjà vu. C’est un semblant de vérité dans tout ce chaos. Et que surtout on la prenne en compte notre foutue opinion. Nous errons sans antennes, désorientés. Paris brûle, Paris surtout délivrée ; c’est un incendie qui se propage à toutes les villes de province comme une immense traînée de poudre. On chante de nouveau la Marseillaise un peu partout, dans les campagnes, ce sont des cris de liesse comme un nouveau Débarquement, une nouvelle Libération ! Le drapeau rouge et noir flotte à côté du drapeau bleu blanc rouge. Je me rappelle ce soir-là, nous avions beaucoup bu toi et moi. Nous avions refait le monde. Avec des si tout est possible… Nous avions l’ivresse des choses follement impossibles et difficilement réalisables, mais tout du moins nous y croyons. C’était alors le seul espoir auquel nous nous accrochions. La lutte finale, la cinquième et la sixième Internationale. Les camarades du Parti. La fête de l’Huma… Tous ces souvenirs dansent comme des ombres devant moi. Les feux de Saint-Jean se sont éteints. Te souviens-tu mon ami, l’époque insouciante où nous criions au loup ? Les meutes de chiens galeux que nous sommes, les émeutes, les bataillons de la mort. Puis soudain un voile noir. Le grand vide... À mon réveil c’est la migraine, j’ai du sang plein les mains, sur le visage et une bien vilaine entaille sur le crâne. Mes habits sont déchirés. Mes poches sont vides. Me voilà sans papiers, sans pays et sans idées, comme apatride. Les sirènes bleues s’en vont au loin. Elles s’estompent peu à peu. Je fais alors l’état des lieux et constate avec amertume que tout à coup c’est l’hiver, mon sang se glace d’effroi, me voilà de nouveau plongé en pleine forêt sans les miens, sans ma meute et sans ma louve contre qui me lover. Désespéré je hurle alors au loup sous la lune pour battre le rappel à défaut de tambour et pour la prendre à témoin. Mais cette dernière fait la sourde oreille et ferme les yeux, elle est comme la justice, froide et implacable. De plus, je suis définitivement perdu ici, personne ne m’entend, je tremble de froid, je me recroqueville sur moi-même et dors en chien de fusil. La nuit peut bien venir me chercher, je la laisserai me caresser dans le sens du poil ou bien sans doute à rebrousse-poil… La meute de loups s’est éparpillée juste après l’émeute et après avoir tout pillé. Les produits de consommation, les consoles de jeux, les Iphones dernier cri, les télés, les boutiques des rêves, nos idées, en un mot notre humanité. Je me sens sali, trahi, abandonné par mes semblables. Blessé dans ma chair, mon Dieu pourquoi toute cette folie ? Nous sommes tous frères humains mais certains frères ont plus de privilèges que d’autres il semblerait... Le Lion vainqueur m’a poussé à l’exil. Comme Victor Hugo avant moi. Me voilà seul désormais, loup solitaire et condamné à le rester. Je répète sans cesse cette phrase comme une sorte d’incantation pour moi-même et comme pour me donner du baume au coeur : Homo homini lupus est ! Homo homini lupus est ! Homo homini lupus est ! Il est vrai que l’homme est un loup pour l’homme. Mais hélas il est fait pour vivre en société, il est donc condamné lui aussi à se faire du mal indéfiniment, ce qui est fort regrettable… Toutefois hors du groupe les chances de survie sont amoindries, voire quasi nulles. Le rusé Lion le sait, tout comme moi je le sais. J’ai grillé mes dernières cartouches ici, allumé mes dernières allumettes, il y a de quoi se faire un sang d’encre. La nuit pose ses mains gantées et lourdes sur moi. Avé Maria ! La flamme vacille, me voilà dans la rue définitivement perdu comme la petite fille aux allumettes avant moi. Je ferme les yeux, je prie même s’il n’y a plus rien à prier ici, plus rien à espérer. Ça va faire couler beaucoup d’encre, ou bien sans doute ça ne fera même pas trois lignes dans le canard enchaîné (ou non) du lendemain. Mon sang se fige et me pétrifie comme une antique statue grecque (pays premier et inventeur de la République) qui aurait été le fruit de ma rencontre avec Méduse. Je ressens le manque de toi. Je dérive sur un radeau (sans doute celui de la Méduse de Géricault), je navigue dans des eaux profondes usées et des mers obscures. La flamme s’éteint. Tout doucement... Je vois Charron et le Styx non loin. Dans mon rêve mortellement gelé j’entends descendre des plaines alentour et se rassembler tout autour des meutes nouvelles de loups. Les louveteaux d’hier qui sont devenus de fiers et braves loups aux dents longues pour remplacer ceux qui sont morts au combat en héros. Ils marchent flanc contre flanc et guidés par la faim répondent de nouveau à l’appel de la forêt. C’est ce que le jour doit à la nuit. Comme le Yin et le yang à jamais en harmonie et réversible de n’importe quel point de vue. La part de Mal ou de Bien enfermée profondément en nous. Non définitivement, dans cette vie terrestre rien n’est hasard. Puisqu’un jour crois moi, la mort viendra ; et elle aura tes yeux... Crédits : photographie d'Eugène Disdéri (1819–1889) prise en mai 1871, Corps des combattants de la Commune de Paris disposés dans des cercueils. Ces hommes ont été fusillés par l'armée Versaillaise au mois de mai 1871. Musée Carnavalet, Histoire de Paris.
- Doctorant ès marivaudage
Consigne : Écrivez un texte de la forme de votre choix sur la citation suivante : « La parole doit sortir du cœur et non de la bouche » Colette Magny Je suis ce que certains appellent carriériste Ne comprenant pas ou trop peu l’intérêt du Vœu que peuvent faire des individus : Pas de luxe, ni d’éclat. L’être idéaliste Mourir n’est pas à craindre au contraire, afin D’aimer la vie, disent les fans d’Épicurismes. Mais quelle idée de penser au romantisme ? Simplement Cartésien, suffit à mon instinct ! Apprendre les mathématiques et être terre À terre. Loin de moi ce discours de la pei- Ne de mon cœur qui, ainsi, ne participait Pas au plaidoyer élogieux de mes lèvres. Me suis-je trompé, en pensant à ne pas me Torturer l’âme d’un discours du cœur ? Serait-ce L’esprit d’MAGNY qui m’agite et m’embarrasse ? Pour ‘quoi me poser des questions si c’est pour ne T’aimer que comme j’aime une équation ? La Clef du succès est le choix que je fais certaine- Ment. Le choix unique du travail sans haine. Ce choix fait de cette stéganographie-là. Jérémy DRON
- Arrache-moi le cœur ! - PPL FABLI
Mention spéciale du Petit Prix Littéraire FABLI ⭐️ Consigne : Écrivez un texte de la forme de votre choix sur la citation suivante : « Nous traversons le présent les yeux bandés. » - Milan Kundera Mon présent est par trop anxiogène, les informations à la télé me filent la nausée si bien que j’ai fini par la débrancher. J’ai comme un flingue posé en permanence sur les tempes. Je décompte les secondes dans ma tête et je joue à la roulette russe en remettant ma vie en jeu à chaque fois, à quitte ou double. Ça cogne et ça cogne encore plus fort à l’intérieur de moi. Cri de douleur. Je ferme les yeux et dans le noir artificiel prodigué par les portes closes de mes paupières, je vois de façon subliminale le tableau de Munch du même nom. Je tends l’oreille coupée d’un tableau dalinien et dans le poste radio j’entends hurler Gaëtan Roussel : Arrache-moi les yeux Que je ne puisse plus voir Arrache-moi les... La douleur jusqu'au bout de moi Arrache-moi le cœur Que je ne puisse plus avoir peur Kof kof kof ! Putain je vais y rester sérieux ! Je suis là au-dessus de mon évier et je crache mes poumons. Même l’air que je respire m’est douloureux. Quelle chiotte ! Cette saloperie de Covid22 m’a pas loupé. Je recrache littéralement du sang par filets visqueux entiers, mélangés à des glaires. Ou bien est-ce ce sirop que je prends en automédication qui me met dans cet état-là. Ou bien l’abus de sirop... À force d’avoir peur de tomber malade, on finit parano, on se frotte les mains toutes les cinq minutes à s’en arracher la peau. jusqu’au sang et jusqu’aux os. Et même quand on finit par l’apercevoir on se dit qu’on a sans doute pas assez frotté. Moi je fais de la prévention, ce n’est pas de l’eau de javel que j’ingurgite par bidons entiers mais des litrons de pinard. Du bas de gamme en plus, à m’en retourner l’estomac et à en tacher mes T-shirt devenus à force un peu trop crades. Je tombe en totale décrépitude, je me fonds dans le décor et il n’est pas bien brillant. Au plafond des volutes de fumée entrent en lévitation. Elles semblent hésiter sur la direction à prendre et sur la suite des événements. Le Cancer peut bien attendre, même s’il frappe à la porte, ce n’est pas aujourd’hui qu’il m’emmènera. Sa petite sœur la Faucheuse a pris son ticket avant lui. Chacun son tour enfin ! Un peu de discipline que Diable ! Ma voisine du dessous qui tire les cartes et lit dans les lignes de la main, m’a expliqué que ce n’était plus qu’une question de temps. Elle a même refusé que je la paye vue la mauvaise nouvelle. Je me suis alors contenté de la payer en nature. Comme toujours. Ça nous rend service à tous les deux. Des étreintes charnelles et furtives ça réchauffe un tant soit peu nos corps froids, gélatineux et flasques comme de la viande morte. D’ailleurs j’ai perdu l’appétit depuis quelques jours, je n’ai plus le goût à rien. Le médecin qui me suit m’a prescrit des compléments alimentaires en sticks liquides car je me liquéfie à vue d'œil. J’en deviens presque transparent. Je ne rentre plus dans mes vêtements, j’ai dû faire des trous dans le cuir de ma ceinture afin de ne pas me retrouver le cul à l’air dans la rue. De toute façon j’ai même plus envie de sortir, si je sors c’est pour m’acheter ma bibine et faire le verre. Le médecin m’explique que c’est bien, ça me fait prendre l’air. Moi je dis que c’est qu’un con. Mais bon. Chacun s’en fera sa propre opinion. À chaque fois que j’y vais il me dit que j’ai rien du tout, et que ça doit sans doute être dans ma tête ! Mais quel con bon Dieu ! C’est qu’il doit pas m’entendre tousser et siffler comme un asthmatique ou un cancéreux des poumons en phase terminale. Je lui dis que je ne dors plus, que j’ai des cernes de panda, que je suis essoufflé, ne serait-ce que pour me lever du lit, il me répond mais non, mais non, levez-vous et marchez ! C’est à force d’efforts que vous vous relèverez. Aidez-vous et Dieu vous aidera ! Et patati et patata, il me débite son chapelet de conneries qui pendent de sa bouche comme des saucisses knacki industrielles. Je le vomis ! C’est à peine s’il m’envoie pas marcher sur l’eau cet ahuri ! Et le pire dans tout ça, c’est que s’il me le demandait j’irai, même si je ne sais pas nager. J’ai besoin d’un putain de miracle. J’en ai marre de brûler des cierges à l’église. La fumée qu’ils font en se consumant noircit d’autant plus mes poumons, et les encrasse de façon invisible à l’œil nu ! Les radios et autres scanners n’ont rien donné ! Mais moi je sais ! Je sais putain que je suis en train de crever ! Y a vraiment que moi pour m’en rendre compte ? Hypocondriaque qu’ils m’ont dit, ras-le-bol de le voir cet homme-là, il prend la place de patients vraiment malades et atteints de la Covid22. Mon œil ! Je vais y laisser ma peau vous verrez ! Sinon pourquoi je tousse mes bronches à chaque bouffée d’oxygène que j’avale. Les yaourts ultra protéinés ne passent plus. Mon tube digestif s’est rétréci de façon drastique et ça me brûle de l’intérieur. J’ai envie de m’arracher tout ça ! M’arracher la peau et jouer au Docteur Maboul avec moi-même, sans prendre de gants et de pincettes, jouer du bistouri et du cutter. M’éventrer sans anesthésie et bidouiller là où ça ne va pas là-dedans. Cette petite partie de moi qui me fait atrocement souffrir et que je suis seul à ressentir. Cet organe douloureux comme disait Paul Éluard dans son recueil de poèmes Capitale de la douleur, comme l’a chanté un peu plus tard Daniel Darc dans son album Crève-Coeur avant de réussir sa TS, ou encore comme l’a prophétisé Kama Datsiottié atteint des mêmes symptômes et donc du même mal dans XXI. Oui abréger mes souffrances, c’est ce que je voudrais pouvoir faire. Mais encore faut-il qu’on m’en laisse toute latitude et liberté. Les médecins refusent de me voir m’en aller. Ils ne désespèrent pas de me sauver. Tu parles ! Ils en veulent à mon portefeuille, voilà tout ! C’est de l’acharnement thérapeutique, ni plus ni moins. Je suis tout au plus un cobaye pour eux, une bête curieuse dans un vivarium, une anomalie médicale à leurs yeux qu’il faut étudier plus en détail, afin de la diagnostiquer et d’y apposer leur joli nom de famille pour la postérité ! Comme les Alzheimer, les Tourette, les Parkinson, les machins choses avant eux ! Putain mais alors, c’était Covid comment le gars qu’il s’appelait déjà ? Marc non ? Marc Covid ? Non ça c’était Dorcel ou Dutroux, là où on va tous aller du reste. Au fond du fond, à bouffer les pissenlits par la racine ! Ha bon sang, voilà que je perds la boule maintenant ! Ramenez-moi de toute urgence à l’hospice, à l’hosto ou à l’asile, afin que je puisse jouer à Docteur Maboul avec tous les autres ! Tous les dégénérés du bulbe comme moi, et que j’opère enfin ma transformation ! Que je me taillade le visage, que je m’arrache le sexe pour en changer ou que je me taille les veines pour mieux me tailler. Ou passez-moi donc la camisole de force ! Afin que je ne puisse pas me faire du mal, ou bien sans doute aux autres. Il est vrai que ça pourrait être tentant. Voire amusant. Ce n’est pas comme si l’idée ne m’avait pas effleuré. Quitte à partir, autant pas partir seul. Les princes vikings et les pharaons égyptiens faisaient grand bruit et grand massacre autour d’eux avant de toucher l’éternel. Ça ouvre les portes comme on dit, ça soulage l’âme là où ça fait mal. De toute façon la morphine, la C et l’héro n’ont plus sur moi aucun effet. Le shit et la beuh non plus. Le LSD, c’est pas mieux. La picole encore, ça adoucit mes ganglions quelque peu. J’ai mis un bandeau mouillé autour du crâne et sur les yeux pour faire baisser la fièvre. Mon thermomètre a rendu l’âme cette nuit et je vais pas tarder à le rejoindre. J’ai l’air d’un Van Gogh pété au crack. Je pourrai me couper le bras que je ne le sentirai même pas. Je suis dans une autre dimension. Je débloque complètement et j’évolue avec grande lassitude dans ce monde-ci, où tout va trop vite. La vie, la médecine, les avis des médecins, la maladie. Tout est obsolescence programmée et nous allons pauvres de nous vers notre propre déliquescence ! Chienne de vie que cette vie, Louise Attaque voudrait s’arracher les couilles et le cœur, moi pour ma part, ce sont les yeux que je voudrais pouvoir m’arracher. Je suis même à deux doigts de le faire, regardez ! Pour accompagner mon verre de Martini et les glaçons qui flottent dedans, car hélas pour moi je n’ai plus de citron. L’est passé dans la cuillère au-dessus des flammes du briquet. À danser une valse avec le Diable en Enfer ou à chevaucher un Dragon de feu. Ce n’est pas vraiment du Martini du reste, mais une sous-marque bon marché de chez Lidl, et à dire vrai, je ne suis pas vraiment malade. Et vous ?
- Une amie - PPL FABLI
Consigne : Écrivez un texte de la forme de votre choix sur la citation suivante : « La parole doit sortir du cœur et non de la bouche » Colette Magny J’étais amoureux d’elle depuis longtemps. Depuis que je l’avais rencontré, peut-être. La 1ere chose que j’avais vue chez elle, c’était ses longs cheveux roux. Quand elle était entrée dans le bureau, hors d’haleine, un peu en retard, pour son entretien d’embauche. Elle m’avait abordé, me demandait où était le bureau du directeur. J’avais compris de quoi il s’agissait : je savais qu’il devait rencontrer une possible nouvelle employée aujourd’hui. Je m’étais levé et je l’avais conduit voir le directeur. Pendant les quelques secondes du trajet, je l’avais observée à la dérobée : de taille moyenne, à peu près mon âge, bien habillée, de longs cheveux roux. Je l’ai trouvée très belle. On est arrivée au bureau, j’ai toqué, le directeur a répondu. Je l’ai donc laissée entrer, et après m’avoir remerciée, elle a fermé la porte derrière elle. J’ai hésité, puis je suis retourné à mon bureau. Je n’avais pas été très productif par la suite, j’avais la tête ailleurs. Mais j’ai malgré tout été bien surpris quand une main s’est posée sur mon siège, environ 1h après. Elle était venue me remercier à nouveau. Son rendez-vous s’était très bien passé, et elle espérait me revoir dans quelques semaines, cette fois en tant que nouvelle collègue. J’ai souri, lui assurant que ce n’était rien. Elle m’a également donné son nom. Églantine. Je lui ai donné le mien, Julien. Elle a souri, et juste avant qu’elle ne parte, je les ai remarqués. Ses yeux. Verts. Un magnifique vert émeraude, comme ceux d’un chat. Le lendemain, le directeur nous a informés qu’il était très satisfait de son entretien de la veille, et qu’a priori, nous aurions bientôt une nouvelle collègue. Et quelques jours plus tard, elle était de retour. Elle s’est présentée à tous et, quand elle m’a vu, elle a eu un grand sourire. C’était il y a de cela trois ans. Depuis, les choses ont évolué. Elle a rapidement monté en grade dans l’entreprise. Elle était d’une grande gentillesse, mais très naturelle, sans arrière-pensées. Cela lui a beaucoup servi. Et je suis devenu son ami. Ça a été très naturel. Elle a rejoint mon service, et on a rapidement été amené à travailler ensemble. On s’est découvert des intérêts communs dans la littérature, le cinéma… Quand j’ai appris qu’elle venait d’arriver en ville et qu’elle la connaissait peu, je lui ai fait découvrir la médiathèque. Nous y sommes allés ensemble quelques fois, et peu après, elle m’a invité chez elle, et vice-versa. Mais il ne s’est rien passé entre nous. Je n’osais pas lui dire ce que je ressentais, je me sentais trop honteux. Mes expériences amoureuses étaient très limitées, et je ne voulais pas risquer notre amitié naissante, pour un solitaire comme moi, sans amis proches. Et puis… Je ne me faisais pas d’illusion sur moi. Sans être véritablement laid, je n’étais pas particulièrement beau, sans rien de remarquable. Simplement un jeune trentenaire brun, sans traits distincts, comme il en existe des millions. Tandis qu’elle était une jeune magnifique femme rousse, solaire et pleine de vie, que tout le monde adorait. Je me suis donc complais dans ce rôle de l’ami fidèle. J’ai cependant été assez atteint quand j’ai appris, quelques temps plus tard, qu’elle s’était mise à sortir avec un collègue de travail, Robin. Je comprenais qu’elle ait été attirée par lui. C’était un très bel homme, intelligent et cultivé. Et l’un des meilleurs employés de l’entreprise, ce qui ne gâchait rien. Je n’ai donc rien dit. Cela a duré quelques mois, pendant lesquels je m’étais un peu éloigné. Elle m’en a fait la remarque, j’ai prétexté des problèmes personnels, elle m’a cru. Je ne voulais pas lui dire que je ne souhaitais pas m’imposer, et aussi que c’était plus facile pour moi ainsi. Et un jour, en fin d’après-midi, elle m’a appelé, au bord des larmes. Robin avait rompu, et elle avait besoin d’un ami. Je suis allé chez elle, et j’ai essayé de la consoler du mieux possible. Je ne l’avais jamais vue aussi triste. J’ai dormi chez elle ce soir-là, dans son canapé, après avoir réussi à la faire s’endormir dans son lit. Le lendemain matin, elle était plus en forme. Elle s’est excusée de son état de la veille et m’a remercié d’être venue. Quand j’ai demandé ce qui avait provoqué la rupture, elle m’a répondu qu’elle ne savait pas, que Robin lui avait juste dit qu’il préférait terminer leur relation. Elle avait perçu quelques signes précédemment, mais avait quand même difficilement encaissé. Elle a pris un jour de congé ce jour-là, et quand je suis allé travailler, je suis allé voir Robin. Il savait que nous étions amis. Il m’a dit qu’il avait réalisé que ça n’allait pas marcher sur la durée entre eux, et n’avait pas voulu prolonger leur relation inutilement. Il n’avait pas souhaité la faire souffrir. Je l’ai cru. Les semaines suivant la rupture avec Robin, j’ai passé beaucoup de temps avec Églantine. Nous sommes allés voir plusieurs films, j’ai dîné chez elle et inversement. Je voulais lui redonner le sourire, et j’ai réussi. Cependant, rapidement, j’ai réalisé que mon amour n’en faisait que grandir. Elle restait la femme la plus belle que j’avais jamais connue. Je n’avais eu aucune relation depuis son arrivée dans l’entreprise, ni bien avant d’ailleurs. Mais je sentais que je ne pourrais plus être juste un ami pour elle. J’ai donc commencé à réfléchir à m’éloigner, et à me renseigner sur une éventuelle mutation. Et puis, ce soir, elle m’a invité. Elle venait d’être augmentée et souhaitait que l’on fête ça ensemble chez elle. J’y suis donc allé, et nous avons passé une très bonne soirée, même si je savais que c’était peut-être un de nos derniers moments ainsi. Tard dans la soirée, après le dessert, j’étais assis dans le canapé. Je me préparais à la remercier pour cette soirée et à rentrer chez moi, quand je l’ai entendue : – Julien ? – Oui ? – Tu sais, ce n’est pas seulement pour mon augmentation que j’ai voulu t’inviter ce soir.. Il y avait autre chose… – Ah ? Quoi donc ? ai-je demandé, surpris. Elle n’a pas répondu et s’est avancée vers moi, en me rejoignant sur le canapé. Je restais silencieux, attentif. J’avais bien une idée, mais je l’ai rapidement repoussée. – C’est aujourd’hui, il y a 3 ans, que je suis arrivée dans l’entreprise, en retard, pour mon entretien. Je suis resté silencieux, sous le choc. Je m’en souvenais, bien sûr, mais je n’aurais jamais cru qu’elle aussi. – C’est ce jour-là que je t’ai rencontré. Tu travaillais à ton bureau, et tu t’es interrompu pour m’aider, en m’emmenant voir le directeur. Je… Je dois encore te remercier pour ça. – Oh, ce n’était rien, c’était bien normal… Je n’aurais pas cru que… Que tu t’en souvenais autant… Elle est restée silencieuse à nouveau, puis, lentement, elle s’est rapprochée de moi. – Je… Je suis vraiment très heureuse de t’avoir rencontrée. J’étais seule dans une ville que je ne connaissais pas, et tu m’as énormément aidé, en me permettant de m’intégrer à mon poste, et à découvrir la ville. Sans… Sans toi, ça n’aurait pas été possible. J’ai rougi, flatté. Et en même temps, je me sentais très gêné de la voir si proche de moi… Cela n’était jamais arrivée depuis que je la connaissais. – Julien, je… a-t-elle repris, après un nouveau silence, en cherchant ses mots. Quand j’étais avec Robin, j’ai été un peu triste que tu t’éloignes de moi. Tu parlais de problèmes personnels, et depuis, j’ai compris que tu voulais me laisser mon intimité. Mais, depuis que cela s’est…Terminé entre Robin et moi, j’ai été très heureuse que nous redevenions proches, comme auparavant. Et… J’ai réalisé que… Cette amitié m’avait manqué, et que… Je souhaitais plus. Et, si je ne me trompe pas… Je crois que toi aussi. J’ai presque sursauté en entendant cela. Je l’ai regardée, lentement. Elle était rougissante, plus belle que jamais. – Églantine, je… Je n’aurais jamais pensé que tu… Je veux dire, je ne suis… – Depuis que je te connais, j’ai vu que tu as un sentiment d’infériorité. Mais tu n’as pas à te dénigrer. Tu es quelqu’un de généreux, gentil et honnête. – Je… Comment… Comment as-tu su pour… – Je te connais… Et puis, parfois, certains gestes en expriment plus que les mots… Je l’ai alors regardé intensément. Puis elle a penché la tête, a fermé les yeux et, lentement, a posé ses lèvres sur les miennes. Quand je me suis réveillé dans un lit inconnu, le lendemain matin, pendant quelques secondes, je n’ai pas reconnu où j’étais. Puis, la mémoire de la soirée précédente m’est revenue, et j’ai regardé à ma droite. De l’autre côté du lit, sous les couvertures, dépassait une chevelure que je connaissais très bien… J’ai hésité, puis j’y ai passé ma main. Quelques secondes plus tard, j’ai entendu : – Bonjour… - Bonjour… Tu… Tu vas bien ? – Oui, a répondu Églantine en se rapprochant de moi. J’ai passé une très bonne nuit… J’ai penché ma tête vers la sienne, et alors que j’allais lui répondre que moi aussi, et ajouter bien d’autres choses, je me suis contenté de la regarder, puis de l’embrasser délicatement. La parole doit sortir du cœur et non de la bouche.
- In Road for Nowhere
My car is driving me nowhere The road has no end My body has no hand And my brain Still remains The innocent thin boy I was before Lost between childhood And Eternity But now My foot is heavy The car is too fast And I have a big smile On my face Because I know Since I’m a child That my crazy car Is driving me nowhere The road has no end And my body has no hand… XK (Limoges, le 06.05.22) Crédits : Photo de Martin Bove (Pinterest), “Car Stories” por Elena Melnikova
- Ne crois pas
Ne crois pas que j’ai oublié Ces moments d’amertume Ma confiance envolée Ton sourire d’enclume. Jeunesse n’excuse rien Faire du mal c’est tuer Le cœur, la douceur et l’entrain Que je t’avais confiés. Je l’accepte, cependant, Tu ne briseras pas Ma force et mon vivant Qui t’écrasent et te noient.
- Life in a Bottle
Life in a Bottle I was born as a man And I will die as a poet Because Poetry is all my life And I grow old in pain XK (Limoges, le 09.05.22) Crédits : L’Absinthe d’Edgar Degas (1876), huile sur toile, 92 x 68,5 cm, Musée d’Orsay (Paris)
- Femme Torquigener
Réécrire la microfiction No-kill de David Thomas. (consigne de Milena Mikhaïlova) Des mains sur le sable. Les grains qui impriment leur relief sous la peau. Les doigts virevoltent et creusent des dunes. La paume en suspens laisse s’échapper un filet blond. Elle enfonce à nouveau la main dans la cuve, juste pour le plaisir de le sentir se glisser entre ses doigts et se presser dans ces interstices. Il est chaud, la lampe placée sous le plateau de verre irradie jusque là. Elle sait qu’elle devrait changer l’ampoule trop enthousiaste, qu’elle risque de se brûler, mais si elle ferme les yeux, si elle se concentre sur cette main lézard des sables, le voile de sa blouse se gorge de vent. La bourrasque plaque contre sa poitrine le tissu rêche. La poussière soulevée tapisse sa gorge sèche et elle ne goûte rien quand sa langue effleure les lèvres gercées. Sa peau est sable, les craquelures qui semblent pourtant si palpables se dissolvent au toucher, ne laissent qu’une impression, elle est insaisissable. Elle est un ensemble, forte et compacte. Elle est un grain qui échappe. Les paupières toujours closes, elle continue son voyage, court dans son pays natal. Le public émerveillé voit les mains accélérer leur ballet. Le sable vole, semé par le geste expert, se pose en une couche juste assez fine pour que la lumière la traverse, reflets d’or sur le plateau, la toile prend forme. Le visage apparaît peu à peu, le lin recouvre la bouche qu’on devine sous le tissu. Les yeux puits de soleil semblent fixer chacun des spectateurs tandis que l’artiste n’a toujours pas rouvert les siens. Elle lâche le dernier grain, la dernière dune arbore son arête tranchante. Elle jette un dernier regard alentour, voit sa mère devant la tente, les yeux brûlant du même bleu que celui du foulard. Le vent qui dessine le sourire derrière le voile. Elle peut regarder à nouveau. Légèrement éblouie par les spots, il lui faut quelques secondes pour retrouver le visage face à elle. Ses mains ne l’ont pas trahie, recréant comme chaque soir les images, réminiscences épinglées dans du sable. Elle parcourt le public d’un regard, la foule se lève pour mieux applaudir. Ils ont tous vu sa mère et son désert, il est temps. D’un geste leste, elle racle le plateau de verre. Le portrait s’efface, les grains retombent dans la cuve. Le souvenir repart, il ne pouvait rester qu’un instant. Elle sourit amusée au son des cris de la salle. Son art ne vit que dans l’éphémère, si le mouvement cesse, il meurt avec lui. Elle a grandi là où un souffle transforme le paysage, là où le sol n’est jamais le même. Elle n’est pas fixe mais éphémère, n’a pas plus de poids que le grain de sable que ses mains de géante minuscule déplacent une seconde avant le retour du constant changement.