Quelques idées de mots-clés :
Cinéma
Poésie
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Théâtre
304 éléments trouvés
- Les Vanités
Tout est vain Finitude et Vanité La vie, la mort L’amour, la haine Le début, la fin. Tout se découpe Se mélange Et se rejoint En un seul Et même point. XK (15.03.21, St Flo)
- On The Rocks
On The Rocks Film sorti en 2020 sur Apple TV + « – Peut-être que mon mari ne s’intéresse plus à moi… – Impossible. Sais-tu qu’une femme est au sommet de sa beauté entre l’âge de 35 et de 39 ans ? – Ouais, génial. Donc en fait, il me reste plein de mois. » Laura (Rashida Jones) est une écrivaine qui souffre de la page blanche. Dean (Marlon Wayans), son mari, est très occupé par son travail et est très absent en raison des multiples voyages d’affaires que son boulot lui demande. Malgré son talent d’écrivaine, Laura vit une routine : elle va chercher ses deux filles à l’école, fait semblant d’écouter les autres mères… sauf qu’elle s’ennuie sans Dean et le soupçonne même qu’il la trompe. Felix (Bill Murray), son père, va l’embarquer dans une aventure dans New-York (mais pas que) pour trouver la réponse à cette question : Dean trompe-t-il Laura ? Le retour de Bill Murray devant la caméra de Sofia Coppola était très attendu. Deuxième collaboration depuis l’excellent Lost in Translation sorti en 2003 (troisième collaboration en comptant le médiocre téléfilm Very Murray Christmas disponible sur Netflix), On The Rocks n’est ni une suite spirituelle de Lost in Translation, ni son remake. Néanmoins, quelques plans et séquences nocturnes peuvent faire penser à Lost in Translation. (Ce dernier avait comme idée de montrer comment Bob Harris (Bill Murray) arrive-t-il à se débrouiller dans cette ville étrangère pour lui qui est Tokyo, alors qu’il ne connaît personne et ne parle pas le japonais ; en d’autres termes, comment on se débrouille dans un pays dont on ne connaît aucune notion.) On The Rocks n’a pas cette idée, le film évoque les doutes qu’on peut avoir vis-à-vis de l’autre et c’est ce qu’il fait sa trame narrative pendant plus d’une heure et demie, mais pas que. La relation père-fille est nettement mise en avant contrairement à la relation mari et femme. Le duo Murray/Jones a plus de complicité que celui de Wayans/Jones. Le très bon Bill Murray joue un père encore séduisant pour les femmes mais qui a une vision des femmes, datant des années 50, qui ne peut plus plaire aujourd’hui au 21ème siècle. Un père qui n’a pas été présent dans la vie de Laura et qui cherche à passer plus de temps avec elle d’où la création de cette aventure. Rashida Jones joue une mère et une femme intelligente, hésitante sur des points mais qui veut aller jusqu’au bout des choses malgré les bâtons dans les roues donnés par Felix. Le rôle de Dean, joué par Marlon Wayans, est assez mis en retrait bien qu’il reste l’un des éléments centraux du film, mais laisse un peu sur sa faim et montre finalement que le film a quelques lacunes. Néanmoins, l’atmosphère tendue voire gênante, créée notamment par les collègues de Dean, fait douter sur la fidélité de Dean. Accompagné d’une musique maîtrisée et composée par le groupe rock français Phoenix (dans lequel le chanteur Thomas Mars est le mari de Sofia Coppola), le film transporte le spectateur dans un New-York vivant, magnifique à voir de nuit, visuellement c’est dans la veine de Lost in Translation, c’est-à-dire beaucoup de travelling, beaucoup de séquences se passant la nuit, le jeu des reflets sur les vitres des voitures, de beaux panoramas… Sofia Coppola fait sublimer New-York à travers la musique et les plans à l’instar de Tokyo dans Lost in Translation. Mention spéciale pour la séquence de nuit à New-York dans une Alfa Romeo décapotable des années 50 pour sublimer le tout. Cela dit, pendant une grande partie du film, l’impression de déjà-vu est présente en montrant la routine de Laura qui est limite du métro, boulot, dodo, des discussions entre mères qui sont toujours les mêmes. Mais aussi avec Dean et ses voyages d’affaires limite interminables. Un défaut de montage. Le scénario reste classique et la fin est plus ou moins expéditive, classique dans ce genre de comédie. Malgré ses lacunes, On The Rocks reste un petit plaisir coupable de l’année 2020 en termes de films, Sofia Coppola est dans la continuité de ce qu’elle fait depuis le début (si on ne compte pas l’accident The Bling Ring). Un film qui vaut nettement le coup d’œil.
- Ensemble, la même traversée
“Inquiétant”. Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par ce tableau inquiétant de Balthus. (consigne de Jean-Michel Devésa) Il passe, rassemble les possibles de la rue. De pluie, rosée il fait. Elle chante, et toute sa pensée rêve. Il avance droit sur les routes sinueuses. Elle joue des angles, troue les passages. Son regard balaie mais ne se pose pas. Son regard se pose sur toute chose qui ne le sait pas. Il chante, elle enchante ; elle entre en transe, il traverse. Lequel des deux applique la règle parce qu’il la connaît ? Il passe, il avance sans marcher, droit dans les sinuosités. Elle joue la ville contournant les chemins. Il lève les yeux au ciel et la pluie, un instant, se fait d’or. Elle regarde entre les gouttes d’un Dieu tombé du ciel. Qui es-tu ? Que me regarde celui qui est prêt à savoir. Qui es-tu ? Lequel connaît la règle parce qu’il l’applique ? Qui doit cesser de voir, au temps devenu présent ? Il va dans le mystère des mystères ouvert à ses yeux, À ses cils elle annonce le mystère créé d’une esquisse. Il ne pose son regard que dans le regard prêt à se consumer. Elle fuit et tourne pour ne pas le regarder. Ensemble, la même réalité. Il ne doit voir l’adulte, ne doit voir le vieillard, Elle est dans les yeux de la terre qui nous berce. L’enfant à jamais gardera sa marque brûlante sur le front. Les silences de la lune au plus clair de la nuit. Il avance, ne marche pas, le mystère porté dans sa lumière. Elle frissonne des nuages peints par ses yeux, La vibration au cœur de l’océan primordial d’étoiles, Dieu, qui es-tu ? Il suffit d’un regard, La règle me prévient Tu sais ce qu’il se passera Pourtant c’est mon seul désir Un regard La lumière qui m’embrasse Ils se font face, les yeux vivant dans l’autre et le jour et la nuit, Ils le savaient : le monde s’évanouit, Tout est résolu, ils ne sont plus Rien.
- La faucheuse
Écrire une page en appliquant les phrases suivantes « J'adorais la façon dont elle a dit « ballon », elle disait cela comme si elle gonflait des bulles. » et « Elle l'attendait dans le café de l'aéroport. Il était sobre pour une fois. », plus le terme « la faucheuse », plus la sensation du dégoût. J’adore la façon dont elle a dit ballon, elle disait cela comme si elle gonflait des bulles. Je me demandais toujours si elle était consciente de la sexualité qu’elle émettait avec sa manière de parler, ses gestes, son comportement en général ; si c’était une chose bien intentionnelle, parce qu’elle se délectait de charmer les gens, les hommes plutôt, autour d’elle, ou si cela lui venait naturellement, parce qu’elle est un ange simplement. Quoi qu’il en soit, je me suis épris d’elle. Je m’éprends si facilement. Mon cœur est léger. Je me châtie puisqu’il l’est. Mais c’est ainsi. Je ne puis résister au charme. La raison reste chez moi à l’arrière-plan. Je m’en fous. On me dit et c’est ce que j’entends, que l’on devrait être plus pensant, sage… ce n’est pas un cliché, c’est bien vrai qu’il serait nécessaire d’avoir recours à l’intellect, au moins de temps en temps, mais dans les questions d’amour je suis innocent, perdu, emporté, vulnérable… Il était bourré la première fois que je l’ai vu, sans doute, mais il avait quelque chose de captivant dans ses yeux en plus de son extase. Ils étaient… ils étaient pleins de passion, d’enthousiasme, mais reflétaient aussi de la douleur… une douleur émanant d’une, peut-être, trop grande sensibilité que la plupart des hommes cherchent à éradiquer, si les parents, ou la société, ou l’évolution humaine ne l’a pas encore fait. Et lorsque, malgré tout, cette sensibilité persiste, elle devient la source primaire de la beauté masculine. Et il avait cette odeur, non d’un buveur, non, c’était son parfum, un parfum qu’il a si bien choisi, qui allait avec son odeur corporelle et qui, en vérité, m’a ébloui. Ils se sont rencontrés cette soirée d’été, dans un bar comme les autres, sans spécificité. Cette nuit ils ont fait l’amour, l’amour de la nuit, plein d’ivresse, de joie et de bonheur, ils se sont surchargés les cœurs. Pendant des semaines et ensuite quelques mois, ils vivaient dans un monde de fées de Disney et passaient tout leur temps ensemble. L’homme se croyait sauvé, comme s’il avait oublié tout ce qu’il avait vécu avant : autres amours, déceptions, tracas et consolations… La femme, elle était amoureuse, juste amoureuse, sans trop y penser, elle vivait pour le moment et pour sentir ces sentiments si doux et si caressants. Mais deus ex machina ou simplement faillibilité humaine, l’homme s’est repenché sur l’alcool et le dé a été lancé pour lui de nouveau et de même et pour la couple aussi. En premier, c’étaient les compliments qui disparaissaient, puis les gestes sont devenus moins doux, l’attention se détériorait, le regard se détournait, la distance corporelle, puis aussi celle entre les deux âmes croissait. Les premiers mots bruts ont quitté la bouche de cet homme – qui il est – et ont frappé, blessé la femme. La prochaine fois qu’ils se sont rencontrés, elle l’attendait dans le café de l’aéroport. Il était sobre pour une fois, mais avait quand même la gueule de bois. Il s’efforçait de bien se tenir et bien se comporter quand même, après tout, ils partaient en vacances avec ses parents à elle et ses amis, mais pour un tel évènement et après ne s’être vus pendant deux semaines ce n’était pas ce qu’elle attendait. Loin de là. Elle a déjà un peu oublié comment ils s’étaient quittés la dernière fois. Franchement, pour la première fois, elle se sentait blasée, brisée et elle ressentait un dégoût, ce que l’expression de son visage laissait clairement apparaître. L’homme, lui, ne se préoccupait que de serrer les mains et de faire des bises, et ensuite, ne restaient que ses instincts. La faucheuse ne tardait pas, elle est venue, non pas pour couper la file d’une vie cette fois, mais pour rompre un lien, un nœud humain.
- George
“Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) « Lire en levant la tête. C’est comme ça que tu auras des idées, que tu grandiras, que tu deviendras l’adulte voulu. La littérature est un art utilisé dans tous les arts. Tu le retrouves dans les livres certes, mais dans la musique, le cinéma et même dans tes jeux. Viens avec moi et je te montrerai. » Ce sont les mots de mon grand-père, George. Je ne l’ai pas revu pendant six ans. A l’époque, je ne le voyais pas souvent, juste une dizaine de fois par an. On allait très souvent à la médiathèque, c’était à ce moment-là qu’il me disait de lire en levant la tête. Alors je levais la tête et voyais toutes ces étagères remplies de livres de tous genres, de films, d’albums. Les étoiles dans mes yeux brillaient de part cette beauté. Je rêvais, parlais de culture avec lui. C’était ma bulle d’air frais. Il pouvait être fier de son fils, notre séparation brutale venait de lui. Sa couardise a fini par tout réduire en cendre. Je venais de perdre ce qui était pour moi, l’être le plus cultivé de ma famille, celui qui m’a donné cet amour pour la culture en général, mon modèle. J’avais quinze ans. Le jour de mes vingt ans, je feuilletais quelques livres dans une librairie. Tout en lisant, je levais la tête pour voir les autres potentielles acquisitions. Puis un simple mot m’intriguait. Dune. Directement je repensais à lui. Cinq ans plus tard, après m’être fait à l’idée que je ne le reverrai plus jamais, comme si le deuil avait été fait. Voilà que je repensais à lui. Pourquoi ? Il me parlait sans cesse de ce roman. Dune, science-fiction, mille pages, aventure, saga, épique. Ses mots me venaient en tête. Je me rappelais qu’il aimait bien la science-fiction et ce livre qu’il me vendait comme le meilleur livre de tous les temps, alors je décidais de me le procurer. Au fur et à mesure de ma lecture, je le comprenais. J’avais vingt ans. La veille de mes vingt-et-un ans, j’apprenais qu’il n’avait jamais lu ce livre. Cela me brisa le cœur. Il me vendait ce livre à l’aveugle depuis le début, sans même avoir lu une page. La première de couverture avait dû l’intrigué. Ce décor rougeâtre et ces dunes de sable, cette tête humaine aux yeux entièrement bleus qui remplaçait le soleil et qui nous regardait. Il nous envoutait avec son regard. Ce regard qui nous disait « lis moi ». Je voulais y remédier. Alors c’est ainsi que j’avais décidé de lui offrir et d’aller le voir en personne, six ans après. Six ans sans de ses nouvelles, six ans sans qu’il sache ce que je suis devenu. J’avais encore vingt ans. J’avais pris mon courage à deux mains et sonné à la porte. A quoi je pouvais m’attendre ? Serait-il content ? Voudrait-il me parler ? Peut-être qu’il n’était pas là. Toutes les questions les plus difficiles et angoissantes hantaient mon esprit et accéléraient mon rythme cardiaque. La porte s’ouvrait. Une personne courbée, tenue par une canne, paralysée de tout le long de son côté gauche. C’était lui. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Plus tard j’avais appris qu’en six ans, deux accidents cardio-vasculaires l’avaient impacté. Une larme coulait sur sa joue, on ne pleurait jamais dans la famille, mais ne jamais dire jamais. Une larme coulait aussi sur ma joue. Sa dégradation physique en six ans m’avait fait très mal et ses mots dits avec les sanglots. « Je pensais mourir sans jamais te revoir, sans même te parler une dernière fois ». La canne ne l’aidait plus, je le rattrapais par la main et le posait sur son fauteuil. Lui n’avait pas changé, toujours le même. Je lui offris le livre tout en expliquant la raison. Puis deux jours après, j’effectuais une autre visite. Une semaine plus tard un appel venant de lui pour me dire qu’il avait fini Dune. Puis chaque semaine un appel. Quelques visites en un laps de temps, jusqu’à récemment où nous avions vu Dune : Première partie. Première partie pour le film, mais nous grand-père/petit fils, c’était la deuxième partie.
- Le besoin de toi
Il me manque. A chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour qui passent… il me manque. La pluie tombe et il me manque Tombe encore, inlassablement, comme mes larmes… et toujours il me manque. Mon coeur est brisé Et pourtant… C’est moi qui l’ai quitté. Parce qu’il me traitait comme une enfant Et qu’il me faisait sentir comme une île en plein océan Recueillie petite, étant alors orpheline J’ai grandi à ses côtés. Et puis, pendant quelque temps, il a fallu qu’on se quitte Pour partir faire mes études à l’étranger. Quelques années après, je suis finalement revenue à lui Devenu adulte, on s’est enfin mis ensemble Parce qu’unis dans le pire et le meilleur, toujours on s’assemble Bref, la plus douce des vies. Et pourtant… Ça n’a finalement pas marché. A la fin, trop souvent on se disputait Parce qu’il n’arrivait pas à accepter d’aimer une femme beaucoup plus jeune que lui. J’ai le manque de toi A chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour qui passent… j’ai le manque de toi. Je déprime car j’ai le manque de toi Et comment retrouver un jour le sourire puisque j’ai le manque de toi ? Au fond, je sais bien que je l’aime encore Et je garde encore l’espoir qu’un jour, tôt ou tard Il finira par revenir à moi.
- Le sac à puces et le roquet
“Inquiétant”. Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par ce tableau inquiétant de Balthus. (consigne de Jean-Michel Devésa) Passage du commerce Saint André, Balthus Ce sont les dimanches que je préfère, quand les magasins sont fermés et qu’il n’y a pas un chat, seulement le petit chien, la plante qui me connaît mieux que personne, et la petite Greta Thunberg qui sort s’aérer les idées pour trouver des punchlines béton en vue du prochain sommet climatique. En semaine la ville est un enfer, et le samedi c’est encore pire. Ça klaxonne ça se pousse au cul, pare-choc contre pare-choc, des piétons surbookés déferlent par rangées de trois, de cinq, décanillent tout et moi avec, sur nos trottoirs largeur d’épaule. Moi je suis tout petit, même Tyrion Lannister me prend une tête. Alors du lundi au samedi, assis comme ça à hauteur de pot d’échappement, on m’asphyxie on me piétine, j’étouffe à petit feu sous la semelle des gens visibles. Le dimanche au contraire, tout ce que je risque c’est que ce type qui sort acheter son pain à l’heure du déjeuner, celui que j’appelais Christophe à l’époque où nous étions collègues de bureau, m’écrabouille les orteils. Chaque fois que ça se produit il s’excuse poliment. Et je l’ai dit je suis petit, je traîne à ras de terre, lui a toujours eu ce maintien guindé, le menton haut le regard conquérant, il ne le fait pas exprès un jour il a même marché sur le petit chien, preuve que ça n’a rien de personnel. Je me souviens que ce jour-là, quand le petit chien a couiné, Greta Thunberg a accouru et Christophe a essuyé une pluie de punchlines cinglantes. Il est reparti sur la pointe des pieds, et depuis il n’oublie jamais de saluer Greta, qui ne lui répond pas elle prépare son G20, et il prend toujours garde de ne pas abîmer le chien, lui donnant une caresse à l’occasion, un quignon de pain que l’animal dédaigne. Avant ça allait un peu mieux, j’avais des bottes Petit Bateau et des chaussettes Armani Kids. Je les avais piquées à un gamin, cinq ou six ans c’est ma pointure, rencontré par hasard dans les bois à la sortie de la ville. Quand je suis tombé sur lui, le pauvre gosse était tout affolé. Il sanglotait et gémissait en tirant son papy par le manteau, lequel gisait moitié conscient au pied d’un chêne, un panier de cèpes tout frais cueillis renversé près du tronc. À première vue c’était un AVC : j’ai pris ma chance. Le môme n’a pas opposé de résistance quand je l’ai déchaussé, il était sage il m’implorait papy papy. J’allais filer, botté-chausseté à la bourgeoise, mais j’ai vu le panier et j’ai réfléchi qu’à son âge l’enfant ne saurait pas préparer une poêlée de cèpes, et que même s’il en réchappait, le papy n’aurait plus la motricité nécessaire pour se mettre aux fourneaux. Chez moi, une tente deux secondes sous les arcades du métro aérien, j’ai un réchaud et un vieux wok qui fait cuisine et self-defense, de l’huile en veux-tu en voilà, le patron du kebab m’adore il me met toujours un bidon de côté quand il vide ses friteuses. Et puis j’ai repensé à la petite Greta que le gaspillage indigne, et comme plus que la fin du monde ce sont ses punchlines que je crains, j’ai ramassé les cèpes et j’ai embarqué le panier. En plus c’était mon jour : plus loin dans les poubelles du Super U j’ai mis la main sur une boîte de six œufs intacts et une gousse d’ail pas trop pourrie. Je les ai rincés dans une flaque pour déjavelliser, et le soir-même je me suis préparé une omelette cinq étoiles. En ce temps c’était la belle vie, jusqu’à ce que le petit chien me pique les bottes. C’était un dimanche justement, je les avais ôtées pour retirer les derniers bris de verre, copeaux et gravillons incrustés dans ma voûte plantaire. La petite Greta aiguisait ses punchlines, Christophe était déjà à table et moi, comme chaque dimanche, je débattais avec la plante qui est une fine rhétoricienne. Je crois avoir perçu le cliquetis des griffes sur le trottoir. Quand je me suis retourné c’était trop tard, le petit chien détalait à toute blinde, l’une de mes bottes entre les crocs. Il a tourné au coin de la rue et je me suis lancé à sa poursuite en claudiquant. Je n’ai pas pu le rattraper il est rapide et mieux nourri que moi. Au loin je l’ai vu se glisser dans la maison de ses maîtres, par une trappe minuscule au bas de la porte d’entrée. Je me suis embusqué derrière la haie, attendant qu’il ressorte, et quand enfin il a pointé le bout de son museau il n’avait plus la botte. Ça m’a mis hors de moi, j’ai bondi pour lui flanquer un coup de pied nu mais une fois de plus il m’a déjoué. Il s’est enfui en sens inverse, j’ai boité comme un dératé pour le chopper mais impossible de refaire mon retard. On a fait le tour du pâté de maison, et en repassant près de la plante et de Greta qui me surveillait d’un œil mauvais, il en a profité pour me subtiliser la botte restante. La petite Greta était prête à me tomber dessus alors je me suis résigné. Il me restait bien les chaussettes mais hors des bottes elles se sont effilochées en peu de temps. Je suis retourné plusieurs fois au bois, mais tous les enfants que j’y croise sont accompagnés d’aïeuls bien-portants. Qu’importe. Je continue de venir le dimanche car je suis marié à une plante et en amour je suis fidèle. C’est le dimanche que je préfère. Greta médite, Christophe promène son pain le petit chien renifle. Ma femme en pot prend le soleil en me racontant ses fantasmes de jardins botaniques. Le macadam brûlant me chauffe la plante des pieds, sans dégeler mon cœur.
- Gilbert le chat
Décrire une journée d'un chat de dix-sept ans. Je m’appelle Gilbert. C’est ce que mon, je veux dire mes humains m’ont donné comme nom. Mais ça, c’était il y a très longtemps. J’étais encore un petit chaton avec une fourrure toute douce qui flottait dans l’air lorsque je trottinais. J’avais des gros yeux vifs de couleur bleu, un peu grisâtre dans lesquels se reflétait tout un monde de gros sourires et d’émerveillement de ces géants nus à deux pattes. Je ne comprenais pas comment ils pouvaient se déplacer si aisément alors que moi je devais me concentrer même à quatre pattes si je voulais m’élancer pour attraper quelque chose. Ma mère, je ne l’ai pas vraiment connue, encore moins mon père. En réalité, avant d’arriver chez ces deux humains qui m’ont, je dois avouer, toujours vraiment adoré, j’appartenais pour quelque temps à une autre famille. Je sais que ma mère leur appartenait et elle y est restée sans doute pour toujours. Je ne l’ai jamais visité. Je vais faire ma confession sur ce point parce que c’est une chose que je regrette aujourd’hui. Quand j’étais petit, c’est-à-dire que je n’avais même pas un an, je me souciais pas d’elle, ni de ma famille antérieure : on m’aimait, flattait, caressait, gâtait infiniment, je jouais, jouais, jouais et dévorais les plats les plus délicieux du monde. Jamais de ma vie je n’ai réussi à avoir une proie qui aurait eu un goût semblable à ce que mes humains me procuraient. Mais le fait qu’après un temps je suis devenu capable de me servir tout seul, plus l’excitation de la chasse et la faim que ça a pu me donner faisait que j’ai décidé d’alterner entre ces deux options. Aujourd’hui je préfère aller voir mon assiette. Ensuite, je commençais à courir après les femelles, bon sang, cette période a duré longtemps. Surtout les printemps, je ne pouvais, mais je ne pouvais rester à l’intérieur. Et des fois je ne rentrais même pas. Sur ce point, nous nous sommes quelques fois embrouillés avec mes humains, ils avaient tendance à trop s’inquiéter. Ce que je veux dire par tout cela, c’est que toute ma vie, j’ai tellement été comblé que je n’ai pu me soucier de rien. J’avais toujours de la compagnie si j’en avais besoin. Je m’en fichais de mon passé, c’était de toute façon si court et si flou et si lointain après un temps que je n’y pensais plus. Mais, est venu un temps, où le sommeil me parut plus favorable que d’aller voir le jardin, ou ceux des voisins. Je n’allais plus monter les toits la nuit. J’avais la flemme de me battre pour quelques secondes de soulagement. Je n’avais donc ni besoin d’acérer mes griffes ni de soigner ma fourrure aussi souvent. Je ne trouvais plus d’intérêt à cartographier les environs. Je connaissais déjà tout dans un rayon de cent mille pas de chat au moins. Bref, il me restait du temps à faire autre chose qu’avant. Et là, les souvenirs de ma mère commençaient à revenir lorsqu’elle m’allaitait. Et j’ai eu l’envie d’aller la voir, mais toute de suite j’ai réalisé deux choses : que jamais lors de mes errances je n’ai senti son odeur – et cela, je l’aurais reconnu –, donc que je ne la retrouverais probablement pas, et que, en pensant à mon âge et mon état, elle n’est de toute façon surement plus en vie. Aujourd’hui c’est mon anniversaire. Je viens d’avoir dix-sept ans. Je le sais parce que chaque été on me sers quelque chose de nouveau, que je n’ai pas encore goûté et qui dépasse la quantité ordinaire que je reçois et qui est absolument sublime. À ça, il n’y a jamais eu de faute. C’est un rituel aux humains dont je n’ai guère cherché le sens. Mais honnêtement, que m’importe ? Je suis gourmand. C’est une qualité que je perdrai en dernier. Bon, je vais aller voir si j’ai quelque chose. Il serait temps.
- Le jardin
“Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) Je suis un magnifique jardin immense et verdoyant Qui s'étend au milieu des immeubles et des tours de béton. Cerné d'avenues bruyantes et entrecroisées, Je me cache derrière un portail et une longue allée. Je suis une clairière de conte de fées perdue dans la modernité. J'accueille en mon sein un corps de ferme depuis longtemps oublié, Des chênes et des châtaigniers, Un petit potager le long du muret, Et Walid et Anna qui viennent de se marier. Je porte les premiers pas d'Ilyès tanguant avec la grâce fragile des tous jeunes enfants. Je souffle sur la brise, je joue avec les feuilles qui filtrent le soleil, J'éveille à la beauté des sens la petite Lila, blottie dans son couffin. Je suis les rires des enfants qui jouent, De leurs copains qui vont qui viennent, De cette marmaille vivante qui me traverse, Je bois la joie de leurs parents. J'ouvre les champs de l'imagination, Je devins labyrinthe ou océan, Bois peuplé d'ogres ou terre vierge. Mais qu'un petit s'ouvre le genou, Le sang, les larmes qui se répandent, Quand mes cailloux deviennent des armes, Je me rétracte et baisse la tête. Je déteste la pluie ou le soleil de plomb Qui me vident des miens et me renferment sur moi. Je m'embellis de roses et me pare de lys, je fais monter le figuier, j'étoffe le camélia, Je suis l'amant d'Anna qui prend bien soin de moi. J'offre les grandes tablées d'été, la famille et les amis, Qui entourent la bonne humeur et les chants de Walid, Tous en mon sein, dans une grande liesse, réunis. Les ballons rouges s'envolent pour rejoindre Lila. Je ne reçois plus que des larmes et un silence de mort. Tous les soirs Anna s'installe mais ne me regarde pas Ilyès et Walid ne peuvent plus rester là. J''ai de la peine pour eux, j'ai de la peine pour moi. L'hiver me traverse, froid cinglant et tristes silhouettes. J'attends chaque année la neige qui ne veut plus tomber, Les pieds qui crissent et les hurlements ouatés D'Ilyes et de Lila, d'Anna et de Walid, Qui se bombardaient de boules et se couraient après. Je suis un immense jardin dévoré par les arbres, plongé dans les ténèbres, englouti dans une forêt d'immeubles et de tours de béton.
- L'étoile du loup (3/3)
En réalité, la majorité de ma grossesse se déroula dans un calme étonnant ; dans un premier temps, Cassidy n’osa pas m’attaquer à nouveau. Mais elle ne resta pas inactive, loin de là ! Je la surpris plusieurs fois discrètement, durant mon temps libre, lors de promenades matinales dans le quartier. À chaque fois, elle semblait toujours furieuse de me voir, sachant pertinemment que je ne l’avais pas écoutée et que j’étais toujours avec Clive… Mais durant mes sept premiers mois de grossesse, elle demeura passive, me laissant une paix royale qui me convenait. Malheureusement, à partir du huitième mois, tout dérapa… Ce soir-là, j’étais parti passer mon week-end dans l’une des petites propriétés de campagne que Clive possédait ; j’avais vraiment besoin d’un peu de tranquillité… J’arrivais bientôt vers la fin de ma grossesse et je me sentais de plus en plus fatiguée, mon bébé ne cessant presque plus de me donner des coups de pied. J’étais sur le point de préparer mon repas dans la cuisine quand tout à coup, j’ai entendu un bruit suspect qui m’a fait tressaillir. Me retournant lentement, je fus immédiatement assaillie : une main a bloqué ma vue en me couvrant les yeux tandis que l’autre m’a appliqué un mouchoir au niveau du nez. Plaquée contre la cuisinière, j’eus tout juste le temps de reconnaître l’odeur du chloroforme… avant de m’évanouir. En me réveillant, j’ai tout de suite compris que j’étais attachée à une chaise : je ne pouvais plus bouger les poings et les pieds. Et devinez qui me faisait face ? Oui, vous l’aurez compris : Cassidy. C’était elle qui m’avait attaquée ; c’était elle qui m’avait attachée ; et c’était elle qui m’insultait pour ne pas avoir pris ses menaces au sérieux. Très vite, son discours me parut incohérent, sans queue ni tête, accompagné d’un visage totalement ravagé par une évidente perte de raison… Ah, quand je disais que cette fille était complètement détraquée ! Cependant, dans sa folie, Cassidy avait aussi commis une terrible erreur : les cordes qu’elle avait utilisées pour m’attacher étaient trop fines, et ses nœuds bien sommaires. C’est pourquoi je n’eus aucune difficulté à me détacher discrètement les poignets, m’occupant ensuite de mes chevilles alors qu’elle était partie dans la cuisine. Mais alors que j’avais fini de m’occuper de la corde retenant mes pieds, j’entendis à nouveau les pas de Cassidy résonner dangereusement dans la maison. Quelque chose - mon instinct, sans doute - m’a soufflé de rester sur ma chaise, de faire semblant d’être encore attachée. Combien j’ai eu raison d’écouter ma petite voix intérieure… Lorsque Cassidy est revenue dans la salon, elle avait un immense couteau à la main, à la lame brillante et interminable. Une lame pouvant provoquer de sérieux dégâts. J’ai immédiatement commencé à trembler ; si Cassidy avait l’intention de m’attaquer avec cette arme, je risquais inévitablement de subir quelques coups avant de parvenir à la maîtriser. Mais celle-ci m’a rapidement détrompée : elle n’avait aucune envie de me tuer, car elle savait que le vengeance de Clive n’aurait aucune limite… “Non, je ne vais pas te tuer : je vais plutôt te défigurer.” Au début, j’ai cru avoir mal entendu : me défigurer ? Mais pour quoi faire ? Et c’est là qu’elle m’a expliqué son choix : si j’étais défigurée et donc insupportable à regarder, plus aucun homme n’aurait envie de s’encombrer d’une femme comme moi ! “Clive surtout ne pourra plus te regarder sans se sentir horrifié ; et peu importe que tu attendes son enfant, il te jettera hors de sa vie comme il l’a fait avec moi !” En entendant cela, j’ai senti une rage intense m’envahir en seulement quelques secondes. Comment osait-elle me comparer à elle ? Comment pouvait-elle croire que Clive pourrait nous abandonner, moi et notre fils à naître ?! À partir de cet instant, mon esprit ne fut centré que sur une seule chose : faire taire cette sale garce ravagée par sa propre folie. Calmement, froidement, j’ai attendu le bon moment avant de passer à l’attaque. Et finalement, Cassidy a abaissé son couteau juste en-dessous de sa poitrine, laissant son visage et ses épaules libres… Je n’ai pas hésité longtemps. Comme une chatte furieuse, j’ai brusquement bondi hors de ma chaise, une main saisissant le cou de Cassidy, l’autre le manche de son couteau. Celle-ci fut si surprise de ma réaction qu’elle est lourdement tombée en arrière, dans un vacarme assourdissant. Elle a bien essayé de se débattre, mais mon ventre de femme enceinte eut l’avantage de bloquer tout mouvement. Dès les premières secondes, je me suis efforcée de la débarrasser de son arme ; et très vite, le couteau a volé dans la pièce, loin de nous. Quand ce fut fait, j’aurais pu m’arrêter là, me contenter d’assommer Cassidy et de l’attacher pour la mettre hors d’état de nuire… Mais ce n’est pas ce que j’ai fait. J’étais totalement hors de moi, hors de contrôle de corps comme d’âme ; une seule chose me guidait encore dans ce moment de fureur incontrôlable : faire taire Cassidy pour de bon. C’est pourquoi j’ai resserré mes mains autour de sa gorge, appuyant de toutes mes forces pour étouffer sa voix, tandis qu’elle s’agitait comme une diablesse sous moi. Et je lui hurlais… Oui je m’en souviens encore très bien : “Crève sale chienne, crève !” Oui, il n’y avait rien de raffiné dans mon discours… Mais comprenez-moi : j’étais tellement enragée contre cette femme qui voulait gâcher le bonheur tout neuf que j’avais patiemment construit avec Clive ! Et puis, peu à peu, le brouillard rougeâtre qui recouvrait ma vue s’est estompé ; et je suis enfin revenue à moi. Au sol, Cassidy avait cessé de bouger ; son corps était encore chaud mais commençait déjà à se refroidir progressivement. Sur son cou, on voyait encore les traces violacées de mes mains sur sa peau… Mais c’était surtout son visage qui était effrayant : les yeux exorbités, la bouche grande ouverte, les traits figés, elle semblait tout aussi grotesque dans la mort que de son vivant. Lentement, je me suis relevée, incapable d’en croire mes yeux : je venais de tuer quelqu’un par pure colère… Bien sûr, j’avais déjà tué avant ; mais c’était toujours pour le compte du gang. Là, je venais de tuer pour moi et uniquement pour moi… Ce fut à ce moment-là qu’une violente douleur m’a prit le bas du ventre, manquant de me faire perdre l’équilibre. À la seconde douleur, je tentai de m’asseoir sur le canapé ; mais à la troisième, je perdis à nouveau l’équilibre et me retrouvai par terre, non loin du corps de Cassidy. Et tandis que les douleurs - en fait des contractions - s’enchaînaient violemment, la panique commençait à m’envahir… Mon Dieu, est-ce que j’allais accoucher ici, dans la solitude la plus complète, avec un cadavre pour seule compagnie ? Dans mon désespoir, j’ai appelé à l’aide, n’ayant pourtant aucun espoir d’un potentiel secours providentiel : “Clive, aide-moi ! Viens à moi, je t’en supplie !” oOoOoOoOoOoOoOoOo Il faut croire que cette nuit-là, Dame Fortune était avec moi : non seulement j’ai échappé à la mort mais en plus, j’ai également réussi à éviter un accouchement prématuré. Non vraiment, j’ai eu une chance inouïe : alors que je pensais de plus en plus sérieusement que j’allais accoucher à la maison, quelqu’un est arrivé à ce moment-là. Vous devinez qui ? Eh oui, c’est facile à prévoir : Clive ! Mais pourquoi est-il donc venu me voir ? En fait, c’était assez simple : il voulait me faire la surprise d’une visite tardive à la campagne et m’annoncer qu’il allait passer tout le week-end avec moi… Une surprise qui s’est largement retournée contre lui. Imaginez un peu la tête qu’il a fait en découvrant la scène : une chaise renversée, un couteau à terre, moi au sol et tremblante de douleur, et le cadavre de Cassidy totalement rigide… Mais comme tout bon chef de gang qu’il était, il a rapidement repris ses esprits et a pris les choses en main. D’abord, il s’est occupé de moi, me ramenant au QG pour me confier aux soins d’Elena, la chirurgienne du gang des Deux Roses. Ensuite, avec quelques membres du gang, il s’est chargé du corps de Cassidy et a réussi à faire en sorte qu’on croit à une mort accidentelle, après une chute de falaise… Absolument ersonne n’a soupçonné que le cou brisé de Cassidy l’avait été après sa mort, et non pas avant… Mais quoi qu’il en soit, la famille proche a finalement récupéré le corps et a rapidement procédé à l’enterrement, trois jours après le décès. Bon débarras ! Voilà une autre personne - en comptant Jared - que je ne regretterai pas et ce, même si j’étais à nouveau responsable de sa mort… Et cette fois, je l’étais de façon directe : je l’avais tuée de mes mains. Ma seule crainte, dans ce cas-là, c’était que Clive m’en veuille d’avoir tué son ex, sa toute première petite-amie officielle, sa première relation amoureuse de longue durée… Mais encore une fois - et heureusement ! - j’ai eu tort. Clive était devenu parfaitement clairvoyant au sujet de Cassidy : il savait qu’elle me haïssait et qu’elle était très suceptible de me faire du tort… Il avait donc compris très rapidement que j’avais dû me défendre face à elle, puisqu’il avait constaté que la porte de la maison avait été fracturée. Je ne l’avais pas détrompé ; la seule chose que je lui avais cachée, c’était le fait que Cassidy n’avait plus son couteau à la main quand je l’avais étranglée… Hors de question d’avouer que j’avais donné la mort dans un simple accès de colère ! Autant laisser Clive dans ses illusions pour qu’il continue à croire que Cassidy était morte car elle voulait désespéremment me tuer avec son arme… Mais en tout cas, cette attaque n’avait pas été complètement sans conséquences pour moi. Comme je l’ai déjà dit, j’avais failli accoucher prématurément à cause du stress que j’avais ressenti durant la situation. Néanmoins, j’avais été prise en charge juste à temps au QG du gang, les contractions s’achevant finalement sur une fausse alerte. Mais désormais, l’accouchement était imminent. Un seul mot d’ordre me fut donné après l’épreuve : repos, repos, REPOS. Un avertissement que j’avais suivi à la lettre, sachant que mon bébé serait encore trop fragile pour arriver dans le monde des vivants. Mais là, je commençais à en avoir vraiment assez… Non mais c’est vrai quoi : j’étais énorme, j’étais épuisée et j’avais mal absolument partout ! Je n’aurais jamais pensé que la fin de la grossesse puisse être aussi pénible… Je souffrais même à des endroits de mon corps que je ne connaissais pas, c’était tout dire ! Cette douleur… Si seulement je pouvais l’oublier d’une façon ou d’une autre… Oh bon sang, je croyais que je donnerai n’importe quoi - genre, vraiment n’importe quoi - pour un bon massage, ou même éprouver un orgasme ! “N’importe quoi ? Vraiment ?” me demanda alors Clive d’une voix taquine. Oups ! Visiblement, j’avais exprimé ma dernière pensée à voix haute… Mauvaise habitude de ma part : j’avais souvent tendance à laisser filtrer mes réflexions dans les conversations, même sans le vouloir… J’avais donc rougi à cette remarque mais je n’avais pas osé répondre. Il faut dire que dans la situation actuelle, Clive m’avait rejoint dans mon lit, sachant pertinemment que je n’allais pas très bien, ces derniers temps… Couchés côte à côte, ma tête posée contre sa poitrine, c’était la meilleure position qu’on avait trouvé pour qu’on soit confortablement installés. Mais là, je voulais autre chose… Je voulais plus. Or, comment pouvoir l’avouer en face de lui ? Néanmoins, Clive sembla percevoir mes désirs profonds - d’autant plus que je m’étais exprimée à voix haute sur ce dont j’avais besoin ! - Pour preuve, je sentis l’une des mains de mon homme se perdre sur mes seins, par-dessus ma chemise de nuit… J’en eus le souffle coupé ; mince, comment j’arrivais encore à être aussi sensible dans l’état où j’étais ? Petit tentateur… Il savait très bien à quel point ma poitrine était sensible, surtout au contact de ses doigts… Il attarda ses caresses durant un bon moment, m’arrachant plusieurs gémissements sourds. Mon Dieu, il me rendait folle… complètement folle… Folle de désir mais surtout, folle de lui… Puis, toujours en silence, seulement rompu par nos respirations haletantes, on se redressa tous les deux en position assise pour prolonger la séduction de nos corps. J’avoue qu’avec le poids de mon ventre, j’eus du mal à me relever… Heureusement, les mains fortes de Clive m’aidèrent à me positionner, quoiqu’en restant toujours très tendres. Et une fois installées, les caresses recommencèrent. Peu à peu, je me laissai aller entre les bras de mon homme, me perdant dans la douceur de ses doigts qui descendaient toujours plus bas sur mon ventre… Je ne pus retenir un halètement en ressentant le contact de Clive sur la zone la plus sensible de mon corps, entre mes cuisses… Bon sang, il osait donc vraiment le faire ! Il voulait me donner un orgasme ! Et mince, il se débrouillait tellement, tellement bien… Oh non, je n’allais pas pouvoir résister bien longtemps face à ces assauts si sensuels… Son pouce caressant mon petit bouton de nerfs déjà humide et gonflé, son index tourmentant mon entrée luisante de cyprine, il me fit gémir et trembler sans relâche. “Clive… Clive…” l’appelai-je d’une voix rendue un peu plus rauque par le désir, ne parvenant pas à prononcer d’autres mots. Je crus le sentir sourire contre moi, le connaissant suffisamment pour savoir qu’il aimait quand je prononçais son nom de cette façon. Lui aussi ça le rendait fou de me sentir frémir contre lui et par lui… Finalement, il devait arriver ce qui arriva : la pénétration de la main de Clive dans mon antre acheva rapidement de me faire perdre la tête. Une fois, deux fois, trois fois… et à partir de la quatrième, je sus que je m’étais enfin perdue. Le souffle rapide, le dos cambré, les orteils recourbés, la tête penchée en arrière, je laissai l’orgasme m’envahir, se propageant à une vitesse affolante dans tout mon être. Sur l’instant, je ne ressentis que du bien-être ; la douleur s’était évaporée. Et comme à chaque fois que je jouissais, je vis comme des taches blanches éclater devant mes yeux pendant quelques secondes avant que le plaisir ne s’alanguisse. Je m’effondrai sur Clive, à bout de souffle, lui m’aidant à traverser l’orgasme par des caresses plus douces. Je sentis alors nettement une petite bosse révélatrice au niveau de mon dos… Ainsi, je n’étais pas la seule à profiter pleinement de ce moment : Clive aussi était excité que moi par ce qui venait de se passer. J’aurais aimé pouvoir m’amuser avec lui à mon tour, comme nous le faisions avant… Mais là, un épuisement inattendu me prit ; ce fut si soudain que je sombrai rapidement dans le sommeil, sans pouvoir résister, blottie contre mon homme. La dernière chose que je ressentis, ce fut la main douce de Clive qui caressait mes longs cheveux blonds, répandus en désordre sur l’oreiller. oOoOoOoOoOoOoOoOo Environ une heure plus tard (c’est apparemment le temps que j’avais passé à dormir, après mon orgasme), je me réveillai en sursaut, secouée par une violente contraction au bas-ventre. Et en ressentant un flot intense d’humidité au niveau de mes cuisses, je sus ce qui m’arrivait. L’accouchement commençait et cette fois, ça n’avait rien d’une fausse alerte. C’était si douloureux… Bien plus encore que la dernière fois ! Mais j’eus la chance d’être parfaitement prise en main par le corps médical du gang. Et de façon assez curieuse, les choses se déroulèrent très vite. Il faut croire que ma jouissance aurait contribué à accélérer la venue au monde du petit… De mon côté, je pensais, un peu naïvement sans doute, que j’allais devoir pousser durant des heures et des heures… Or, en seulement deux heures, les dés furent jetés : mon bébé se glissa enfin hors de mon corps et se mit aussitôt à pleurer. Je le suivis rapidement… et Clive aussi. Il était resté avec moi, me serrant la main et soutenant ma tête, durant ces deux longues heures d’accouchement. Désormais, on était parents de notre magnifique petit garçon… Notre petit Matteo… Matteo Parker. Mon fils dans mes bras, il reposait doucement sur ma poitrine, encore si petit et fragile face à la vie. Clive avait entouré mes épaules de son bras, son autre main m’aidant à soutenir Matteo et effleurant sa peau si douce… Oui, pour moi, ce moment-là, c’était l’incarnation du bonheur. Un bonheur simple et doux, mon bonheur à moi. oOoOoOoOoOoOoOoOo Comment pouvoir achever concrètement le récit de ma vie ? Cela fait quelques jours que j’ai accouché et nous allons tous très bien : Matteo, tout comme Clive et moi. Nous sommes sans doute de jeunes parents, mais je sais que nous y arriverons. Nous saurons élever notre enfant ensemble ; il suffit que nous restions aussi unis que nous le sommes devenus depuis le jour de notre rencontre. Une dernière chose : dans les gangs, chaque membre reçoit un petit surnom pour pouvoir communiquer dans certaines situations délicates. Pour Clive, c’est “le Loup” ; et moi, j’avais choisi “l’Étoile” en référence à mon prénom. Je peux donc achever mon histoire en clamant mon amour et ma fidélité haut et fort. Je suis l’étoile d’un loup.
- Après la pluie
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) Il était une fois une maison dans un lieu reculé où les nuages ne cessaient de s’amonceler. Dans cette maison vivait seule une jeune femme qui passait sa vie à répéter les mêmes gestes. Malgré la pluie qui tombait presque inlassablement, elle devait partir chercher de l’eau à la rivière tous les matins pour alimenter son foyer. Un jour, elle vit un poisson échoué sur la rive boueuse, là où ses seaux de bois étaient posés. Elle se demanda comment cette créature aquatique avait pu atterrir dans un endroit où il n’était pas censé être et qui le mettait à l’agonie. Elle attarda son regard assez longtemps sur le petit poisson pour le voir cligner de l’œil. Il était encore vivant. Délicatement, elle le prit dans ses deux mains et le rendit à la rivière. Le poisson sembla se réveiller d’un sommeil de cent ans et d’une pirouette, il plongea. La jeune femme eut juste le temps de voir ses écailles argentées s’effacer sous l’eau dans un éclair. Elle sourit puis reprit sa tâche initiale. Elle venait de reposer à terre ses seaux désormais remplis qu’un léger mouvement se forma à la crête de l’eau. La tête du poisson argenté apparut à la surface. Il se dirigea vers la rive et déposa aux pieds de la jeune femme une perle aussi laiteuse que sa peau. Elle la fit rouler sur sa paume et découvrit le chatoiement de la nacre. De retour dans la maison, elle fit de la perle une broche qu’elle glissa dans sa brune chevelure pour en retenir ses cascades. Le mois suivant, la pluie se déchaîna en tempête et l’orage éclata dans toute la vallée. Alors qu’elle revenait de la rivière, la jeune femme vit des flammes s’élever d’un mûrier blanc que la foudre avait frappé de son ire et que la pluie incessante ne suffisait pas à éteindre. Elle lança l’eau de ses seaux sur les feuilles et les branches pour les préserver de la destruction. Comme l’incendie persistait encore, elle prit de la terre à pleines poignées dans l’intention d’étouffer le feu. Après des heures de travail acharné, elle ne sentait plus son corps mais l’arbre respirait encore. A son retour dans la maison, la jeune femme dormit le reste de l’après-midi et la nuit jusqu’au lendemain. C’est là qu’elle découvrit sur le pas de sa porte une grande quantité de cocons que les vers à soie qui vivaient dans le mûrier lui offrirent pour la remercier de les avoir sauvés. Grâce à ce présent, la jeune femme confectionna un tissu ocre aux mêmes échos que les reflets du soleil d’autrefois qui jouait dans ses cheveux. Elle cousit ce tissu en une large tunique qu’elle enfila pour couvrir son corps nu. La semaine suivante, pendant qu’elle balayait la poussière dans la lumière déclinante du soir, elle entendit le chant blessé d’un oiseau qui traversa sa fenêtre, son aile droite brisée. Émue par son infortune, elle le recueillit dans sa maison, le nourrit de graines de sésame, de tournesol et de sucre et lui fabriqua une attelle pour l’aider à se rétablir. Le temps qu’il puisse de nouveau s’envoler, la jeune femme et l’oiseau s’apprivoisèrent l’un l’autre par le chant et les soins. Doucement, il sifflait des airs tristes ou joyeux qui résonnaient entre les quatre murs de la maison. A ces sons, elle se surprit à esquisser un pas de valse. Mais vint le jour auquel l’attelle devint plus un empêchement qu’une aide. Libéré de sa blessure, l’oiseau battit des ailes, monta jusque sous le toit, redescendit se percher sur l’épaule de sa compagne puis s’envola par la fenêtre par laquelle il était arrivé des semaines plus tôt. La jeune femme resta là, seule comme avant, sans mélodie pour accompagner le bruit de la pluie. Les gouttes s’infiltrèrent à l’intérieur et sortirent de ses yeux en grosses larmes qui coulèrent le long de ses joues et s’écrasèrent sur le plancher. Le lendemain, elle ne remarqua ni la danse du poisson gris dans la rivière, ni le bruissement des vers à soie dans le mûrier blanc. Pourtant, après le coucher du soleil, allongée dans son lit, elle entendit les trois coups frappés à sa porte. Un jeune homme, un inconnu, se tenait là, un bouquet de plumes vert-azuré des mêmes nuances que celles de l’oiseau à la main. Ils passèrent la nuit à parler d’eux et des terres que le jeune homme avait parcouru dans le ciel. Grâce à ses longs vols, il avait pu établir des cartes du monde entier. Au terme de leur conversation, la jeune femme et l’oiseau réincarné décidèrent de s’en aller, loin de la maison isolée. Les nuages s’organisèrent en secret pour célébrer leur départ. Il laissèrent filtrer des brins de soleil dans la bruine du matin. Pour la première fois depuis une éternité, toutes les couleurs s’alignèrent pour dessiner un arc dans le ciel qui allait du violet qui pulsait dans les veines de la jeune femme au rouge carmin qui rosissait ses joues. La jeune femme et le jeune homme, main dans la main, prirent ce chemin pavé de couleurs en direction d’un nouvel horizon.
- À Elsa (Triolet)
À Elsa, ce doux triolet, Gente Dame et gent Damoiseau ; Vilain, gentil et gentillet ; À Elsa, ce doux triolet. Oyez donc ce rondeau parfait, Au long cou fin comme un oiseau ! À Elsa, ce doux triolet, Gente Dame et gent Damoiseau ! XK (01.04.19, Angers)
- L'au-delà ne vainc l'amour
“Le Mépris” Écrire une page "déclenchée" par la scène d'anthologie du Mépris de Jean-Luc Godard réunissant Brigitte Bardot et Michel Piccoli (adaptation du roman d'Alberto Moravia). Ne pas dépasser un feuillet A4. (consigne de Jean-Michel Devésa) La scène culte de Brigitte Bardot dans « Le Mépris » (avec Michel Piccoli en 1963) Au milieu d’une pièce sombre, une femme est à même le sol, sur les genoux. Son ton calme contraste avec la récente perte de son compagnon. Femme : Avant même que tu ne tombes, je l’ai sentie. Cette maudite intuition féminine. Celle que je redoutais le plus à ce stade du combat. Elle a fait rage dans ma poitrine. Je te surveillais du coin de l’œil ; la tienne était encore intacte. Une seconde d’inattention. (Bref silence.) C’est tout ce qu’il a fallu pour que tu agonises. (Elle se relève.) Pour que cette ordure de Diable t’enlève et te traîne de force dans ses bas-fonds brûlants ! (Elle réfléchit, puis a un déclic.) Mais je comprends mieux pourquoi il te convoitait tant… tes défauts ! (Désespérée.) J’ai désiré tellement de fois qu’on te les arrache ! (Elle pointe le vide du doigt.) Ton aberrant recourt à la cigarette, par exemple : RI-DI-CULE ! Tu ne jouais même pas dans la cour des vrais fumeurs… (Elle lève les yeux au ciel.) Toi, tout ce qui t’attirait, c’était la fausse compensation que tu pouvais en tirer. (Elle met les mains sur les hanches.) Monsieur était triste ? En colère ? Désespéré ? (Elle écarte les bras.) BAM ! Trois clopes en moins. Et puis jamais de feu sur lui, hein ! Trop tête en l’air ! (Elle se retourne, fait les cent pas.) Et puis ta fâcheuse manie de toujours tout dramatiser… Au moindre problème, à la moindre difficulté, tu t’isolais en grande pompe. Tu tapais une crise pour quoi, une seule petite remarque ? (Découragée.) Et tu mettais des heures à la digérer dans ton coin ! (Elle s’arrête de marcher. Silence.) Mais tu réussissais très bien tes sorties claquantes… (Elle lève un doigt, sûre d’elle.) Ça, je m’en souviens ! (Elle rit légèrement.) Et notre porte-monnaie aussi… Combien de murs a-t-on dû réparer ? (Silence. Les souvenirs de son compagnon défilent.) Eh oui, ça coûte cher, un tempérament impétueux… (Silence.) Mais tu prenais les choses tellement à coeur, aussi. Monsieur modération n’existait pas pour toi ; il fallait absolument que tu prennes un reproche avec dépression et un compliment avec euphorie… Mais ce côté lunatique, moi, je ne le détestais pas tout à fait. De même que tous tes défauts. Je les aimais. Tu sais, ta façon de tout vivre à 200%, ta façon de me communiquer ta bonne humeur… Tu suffisais à rendre ma journée meilleure. Tes attentions n’y étaient pas non plus étrangères… Outre tes cadeaux répétés, tu étais le roi de l’écoute. Pourtant, tu connaissais mon caractère de pipelette… mais ça ne t’arrêtait jamais ! (Silence.) Alors oui, je t’aime encore. (Elle se laisse tomber à genoux.) Mais tu représentais l’amour avec le plus de ressources que j’ai connu… (Elle pose la main sur son cœur.) Je crois que, si aujourd’hui j’étais capable de regarder quelqu’un d’autre, personne ne t’arriverait à la cheville. Pas parce qu’il n’aurait ni ta personnalité ni ton physique, non. Je crois plutôt que pour mon cœur, t’aimer a requis tellement de force que s’il aime à nouveau, il ne ressentirait plus le piment que tu rajoutais à ma vie.
- L'évènement : Le film français de l'année ?
Lion d’or à la Mostra de Venise Adaptation du roman L’événement d’Annie Ernaux Dans les années soixante, Anne (Anamaria Vartolomei), jeune étudiante, tombe enceinte. Ne voulant pas le garder, elle décide de tout faire pour avorter dans un monde où l’avortement est interdit et puni. La performance d’Anamaria Vartolomei est l’une des plus grandioses qui a pu être faite au cinéma cette année. Tout passe par le visage et par le corps. Anamaria Vartolomei, à travers son personnage d’Anne, réussit à faire ressentir les douleurs que peut avoir une femme pendant les premiers temps d’une grossesse et lorsqu’elle tente à plusieurs reprises d’avorter avec des procédés illégaux. Les plans séquences renforcent l'interprétation dans une France des années soixante où tout n’était pas rond. Le montage simpliste peut être reproché, la composition des plans éclipse ce montage ou la facilité de certains plans. Les actions sont viscérales, perturbantes voire dérangeantes. Une sortie de salle est garantie pour certains et certaines. Le choix de faire le film avec un ratio 1:33, soit un format 4/3, ajoute une immersion supplémentaire, encore plus intimiste, comme si on était avec Anne à travers ses douze semaines de grossesse. Audrey Diwan, à l’aide du roman d’Annie Ernaux, a confectionné un film qui restera comme un grand film d’auteur du cinéma français. Il n’est pas exempt de défauts, mais laisse une trace indélébile au spectateur/spectatrice tellement l’action, l’immersion ainsi que la performance d’Anamaria Vartolomei sont puissantes. Un film qu’il ne faut pas mettre à portée des yeux des personnes les plus sensibles, même si c’est un chef-d'œuvre pouvant adopter un statut de film modèle, à la limite de l’engagé dans les prochaines années.
- Le livre
“Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) En ma qualité d’enseignant en histoire des textes sacrés, je me trouvais dans une position singulière, qui me poussait plus souvent que d’ordinaire à entamer des travaux de recherches pointilleux. Ainsi, j’entrai en contact avec un étranger qui selon ses dires possédait un genre de Bible pour le moins étonnante, qui sans nullement ressembler au livre des livres, possédait quelques traits en commun avec cet ouvrage. J’apprenais qu’une population mystique proche de New York vénérait cet ouvrage et l’estimait grandement, lui attribuant des propriétés miraculeuses. Cela me plut immédiatement. Mon contact, du nom de Victor Grant, m’avait promis la restitution dudit livre dans les plus brefs délais. Je ne le connaissais qu’au travers de quelques lettres que nous nous étions envoyés, et n’accordais que peu de croyance en cet ouvrage, qui s’il était effectivement réel, aurait dû me revenir en mémoire, au lieu que je ne le connaissais pas. J’en fut intrigué, et donc d’autant plus motivé à le posséder. L’échange se fit rapidement, de nuit, devant le parvis de l’église la plus proche de chez moi, qui se trouvait tout de même à plus d’une demi-heure de marche. Monsieur Grant avait insisté pour que cela ne se fasse pas en plein jour, aussi craignais-je une escroquerie de sa part. J’étais sorti avec mon revolver, sans doute pouvait-il me servir. Fort heureusement, l’homme que je rencontrai, s’il avait l’air préoccupé, ne paraissait pas dangereux. Sa tête partait tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en arrière, comme si un démon l’avait suivi, et qu’il craignait lui-même un coup dans le dos. Assurément, il ne paraissait pas sûr de lui, mais je ne reculai pas, déterminé à obtenir le mystérieux ouvrage. En me voyant, sa mine d’abord se décomposa, sans doute crut-il avoir affaire avec quelqu’un d’autre. Mais finalement, le voilà qui se trouvait soulagé de reconnaître mes traits. C’est en le voyant que je reconnaissais un ancien étudiant d’une vieille promotion, son nom m’avait dit quelque chose. Sans plus de cérémonie, il se présenta, me donna le livre alors que je lui versai une coquette somme en échange, et le voilà reparti, manifestement soulagé. Il sautillait de joie, comme s’il évitait quelques malheurs. Le titre indiquait Cnolda D’Ekambruru. Je ne connaissais pas la langue de ce livre, mais commençais malgré tout à le feuilleter le soir-même. La première nuit ne me fit rien, je la passai à lire les lignes manuscrites de l’ouvrage. Une phrase revenait souvent, « Ctuliss na Dandre Ctuliss », sans que je ne sache ce que cela voulait dire. Je tachai de lui trouver un sens, et consultai des collègues en linguistique pour percer les mystères du livre. Aucun ne put me répondre, la langue était parfaitement méconnue. Bientôt, tout mon esprit fut englouti par ces pages jaunes, tant la lecture me prenait. Trois jours de suite, je me retrouvai à lire les yeux en l’air, tant ces lignes dévoraient mon esprit, comme si l’incompréhensible attendait de moi que je le saisisse. Bien sûr, cela n’arriva pas, mais les phrases revenaient dans mon esprit, de manière cyclique. « Ctuliss na Dandre Ctuliss ». Mes yeux ne quittaient plus le plafond à mesure que je lisais, absorbé par les mots, je réfléchissais, de sorte que je ne regardais plus les pages, et même lorsque je ne les lisais pas, les mots s’imprimaient au plafond que je fixais. J’entrai alors dans un état d’ébullition furieux, qui m’empêchait de dormir. La nuit, des monstres tentaculaires venaient me voir pour ôter le sommeil de mon esprit, c’était pire encore de jour, je les voyais en toute ombre qui s’offrait à moi. Il me fallait me débarrasser du livre, ou j’allais perdre définitivement la raison. Je comprenais à présent pourquoi mon ancien élève voulait tant le quitter. Je saisissais également une autre information : il ne m’avait pas indiqué sa provenance. Tout ce qu’il contenait, parfaitement incompréhensible, appartenait à un autre âge, à un autre monde que je ne saisissais pas, et que jamais je ne pourrai saisir. Un soir, je préparai un feu de cheminé, et y jetai l’ouvrage. Il brûla bien, mais aussitôt, des volutes de fumée noirâtres emplirent la pièce. J’ouvrai les fenêtres en catastrophe, puis me mis au lit une fois le danger écarté. Les monstres ne vinrent pas me déranger cette nuit-là. Mais le lendemain, je retrouvai le livre sur mon étagère : il n’avait pas voulu disparaître de ma vie. Dépité, je le conservai, quoique les monstres ne vinrent plus. Mon élève m’avait eu, et à présent, je recherche activement un héritier pour cette œuvre du diable.