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Théâtre
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- Ozone
Il me semblait naturel de te prévenir mon grand d’un danger imminent qui pèse sur nous et qui nous concerne en haut lieu toi et moi. Tu ne vas pas me croire mais je suis toi mais avec quarante piges de plus dans les gencives. Autant dire que je n’ai plus tous mes chicots, tandis que toi a contrario tu n’as pas encore perdu toutes tes dents de lait. Tu sais, celles du fond qui te gênent tant… Tu ne les perdras que dans deux ans. À l’heure où je te pianote sur mon écran digital ces quelques mots, nous sommes en 2031 et nous sommes pris dans une tempête de sable thermonucléaire depuis de longs mois maintenant. C’est Apocalypse Now ! Mais sans les femmes, et sans le napalm… Désormais on se cache derrière des masques pour respirer et pour pas crever en ingérant toutes ces merdes qui flottent dans l’air. Notre humanité et notre monde n’ont pas résisté. On n’aurait pas dû jouer aux fléchettes avec la couche d’ozone en lui balançant à intervalles réguliers des fusées, à lui en trouer la peau et en lui faisant tirer les rides par des milliers de satellites en orbites. Lifting complet ! Paf paf on est refaits ! Bien sûr Hugo tu es en droit de ne pas me croire, d’ailleurs ça me fait tout drôle que je nous appelle comme ça, franchement j’ai pas l’habitude… Papa et maman me disaient toujours de pas parler aux inconnus ni non plus à me fier aux gens et avaler tout cru leurs conneries ; sans oublier de toujours refuser les bonbons que des mecs chelous en imper nous proposent à la sortie de l’école. C’est même un droit fondamental que de douter. Moi encore aujourd’hui je doute de moi-même... Aussi quand j’ai appris que cette nouvelle technologie était possible que de s’envoyer des messages à nous-mêmes dans le passé, j’ai pas hésité une seconde. Putain de moi ! J’ai tant de choses à te dire mais je ne sais même pas par où commencer. Les mots et les idées se mélangent entre eux. Ils restent alors noués au fond de ma pensée et mes doigts n’arrivent pas à tapoter sur mon clavier holographique… Tant pis, je trouverai peut-être les bons mots plus tard. Mais tout d’abord je dois te prouver qui je suis et que je suis vraiment toi. Aussi demain, jour de ton anniversaire, je vais te dévoiler le cadeau que tu recevras des mains de ton parrain : un CD d’O-zone que tu écouteras, réécouteras et feras tourner en boucle jusqu’à ce qu’on ne puisse plus le lire. « Laïlaï hi, laïlaï hou ! » Mais trêve de plaisanterie tu veux bien. Désolé de t’avoir spoilé la surprise ! J’espère que tu m‘en veux pas mais en vérité tu ne m’en as pas vraiment laissé le choix… Bon je te laisse Hugo, alias mon petit moi de dix ans bientôt. Comme tu es grand maintenant ! Je te souhaite en tout cas un très joyeux anniversaire, profite bien de ta jeunesse et de ta journée demain. Je te renverrai un message vers neuf heures lorsque tu auras déballé tous tes cadeaux et quand tu auras compris que j’avais bel et bien raison. Passe le bonjour à Papy et à Mamie de ma part et serre très fort dans les bras maman et papa pour moi. De là où je suis, enfin je veux dire, de l’époque post-apocalyptique où je me trouve ; ils me manquent… J’aimerais tant pouvoir tracer ma route comme ce SMS et revenir en arrière sur l’autoroute du temps. Me fondre en toi, me fondre en nous, ne faire plus qu’un ! Et tout revivre ou bien recommencer de zéro une nouvelle fois ! XK Limoges, le 02-12-21
- L'odalisque
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) Tu m'observes, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que tu regardes ? Mes yeux peut-être ? Ou mon dos, mon dos allongé pour que tu le trouves encore plus beau. Et toute cette peau, toute cette peau au grain serré que je t'offre. Elle est pour toi. Tu en découvres les nuances, la blancheur de mes pieds, les tons plus épicés le long de la colonne, le beige rosé de mes joues, mes lèvres rouges qui te regardent. Tu as vu tous ces petits détails que j'ai ajoutés pour te troubler ? Pour que tes yeux courent partout et ne sachent plus où se poser. Mes bracelets, deux joncs et un anneau plus large, que tu entends s'entrechoquer, de l'or massif pour rehausser ma beauté. Mes jambes qui s'entrecroisent. Mes cheveux noirs enturbannés et l'éventail dans ma main molle, la chaleur moite de ma contrée. Je suis là, face à toi, et je prends corps. L'Orient exhale ses parfums, la brise effleure ton visage. Je suis là et je t'attends. Je te fais de l'effet ? Toute cette chair, toute cette jeunesse que j'étale devant toi, pose lascive savamment travaillée. Légèrement de trois-quarts. Pour que tu puisses profiter de mes jolis seins ronds, laiteux et fermes. Pour que tu puisses deviner mes fesses en partie cachées. As-tu remarqué la fossette entre mes hanches ? Tes yeux cherchent-ils l'ombre, là, sous les draps ? Je suis touchée par ma propre grâce, par mon propre éclat, cette sensualité me bouleverse. J'ai envie de caresser du bout des doigts ma nuque, de descendre plus bas et d'embrasser à pleines mains puis à pleine bouche mon cul. Pas toi ? Je te choque peut-être ? Tu me vois mieux maintenant ? La volupté que j'incarne, la luxure que je te renvoie. Tu pensais pouvoir mater sans être vu mais c'est moi qui te regarde. Je vois au plus profond de toi, au fond de tes entrailles. Je te déshabille et je scrute en toi les moindres détails. Tu es plutôt bel homme, toi aussi, avec tes muscles bandés, ta peau satinée aux reflets cuivrés. Viens t'asseoir, là, sur le banc, face à moi, jambes croisées et dos cambré. Regarde, regarde autour de toi. Toutes les jeunes femmes, toutes les jeunes filles des esquisses, des études et des peintures qui s'avancent vers toi, nues. Elles amorcent leur mue. Elles se décharnent, se désincarnent, c'est une danse macabre qu'elles font autour de toi. Tu pourrais rejeter la tête en arrière et partir d'un grand éclat de rire, ce serait charmant. Quoi ? Tu n'as pas envie de rire ? Pourtant, j'ai bien vu l'étincelle dans tes yeux quand tu me regardais tout à l'heure. Allez, nous ne sommes pas si cruelles. Reprends tes habits, reprends ton regard et va-t’en. Je suis une jeune fille à poil, prisonnière de sa toile, d'une époque, d'une vision. Mais je la brûle cette toile. Je suis le portrait de la jeune fille en feu.
- …4, 5, 6 manger des cerises…
“Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) Perdue. Où suis-je ? Perdue. Il fallait s’y attendre, l’orientation m’est étrangère et c’est la première fois que je viens en forêt depuis fort longtemps, seule de surcroît. Mon panier à la main, je tourne sur moi-même dans l’espoir de reconnaître un arbre remarquable ou une souche identifiable. Même le petit chaperon rouge a plus de talent pour aller chez mère-grand. Moi, je n’arrive pas à rentrer chez mes parents. Mes parents… c’est pour eux que je suis ici. « Ma chérie, peux-tu aller ramasser des châtaignes pour le dîner de ce soir ? » Bien sûr maman, cependant pardonne-moi si je ne reviens qu’avec des tiques voire pas du tout. L’osier au poignet et la bonne volonté à cœur, me voilà partie. Un surplus de bonne volonté m’aura perdue. À la lisière des bois de l’après-midi, aucun marron ne m’apparaissait à l’horizon. Je dus m’aventurer au milieu des grands arbres qui perdaient peu à peu leurs feuilles en feu. C’est alors que j’avançais prudemment que j’entendis ce son salvateur ; non pas celui de la branche brisée qui me fit plus d’une fois sursauter mais celui plus doux de la chair écrasée. Une châtaigne rencontrait ma semelle, enfin ! Ses sœurs étaient toutes éparpillées autour de moi. Elles n’attendaient que ma main pour les ramasser. Je ne m’aventurai toutefois pas à m’approcher de leurs comparses pas encore écloses aux bogues aussi piquantes que la pointe d’un rouet. Accroupie sur l’humus, des petites trompettes jusque là invisibles m’apparurent. Une, deux, trois puis des dizaines et des dizaines de chanterelles. C’est en suivant leur chemin, telle une enfant gourmande, que je me suis perdue. Peut-être qu’en avançant encore un peu plus je trouverai une maison en pain d’épice. Heureusement que je n’ai plus l’âge d’être dévorée par une sorcière car la nature a repris ses droits sur mes traces que je ne peux plus suivre en sens inverse. J’ai tellement peur de prendre la mauvaise direction que je préfère rester sur place. N’est-ce pas ce qu’on entend toujours ? « Ne bouge pas et quelqu’un te trouvera. » Mais comment peut-on me trouver si personne ne me cherche ? Je m’adosse à ce qui doit être un chêne si j’en juge aux glands qui parsèment le sol. Le lichen me démange la nuque et va sûrement laisser des traces sur ma veste. Tant pis, ce n’est qu’un désagrément parmi d’autres. Au loin, les nuages s’amoncellent et s’obscurcissent. Le soleil, lui, a décidé de partir se coucher. Moi qui rêvais d’une nuit à la belle étoile… Mais, attends… si le soleil se couche, c’est que l’Ouest est par là ! Et le lichen… ce ne doit pas être une légende qu’il pousse toujours sur la face nord des troncs d’arbres. Donc, je suis toujours à l’Ouest et je ne dois pas perdre le Nord tout en ayant une vague connaissance de l’Est pour trouver la route qui, elle, est au Sud. La marche peut reprendre. Je n’ai pas le temps de douter que, déjà, je suis sortie du bois. À mon soupir de soulagement répond en écho dans le ciel le cacardement d’oies du Canada. Elles font partie des migrateurs comme les hirondelles, mes oiseaux préférés. Ces dernières me rappellent mon père qui les pointait du doigt lorsque j’étais petite : « Regarde, le printemps arrive en même temps que Poucette et son amie l’hirondelle. Profite avant qu’elles ne repartent vers les pays chauds à l’automne. » La cheminée de mon salon est ce qui se rapproche le plus des vagues de chaleur de ces contrées lointaines. La formation en V des oies semble me flécher la direction à suivre. Je les remercie en mon for intérieur. Le ciel me répond en un éclair qui illumine les nuages. Un, deux, trois… le tonnerre gronde. D’après mes savants calculs, la foudre est tombée à un kilomètre d’ici. La pluie, quant à elle, me donne un avant-goût du bain brûlant qui m’attend et un arrière-goût amer de la douche froide qui me surprend. Courage, il ne me reste plus qu’à descendre la route sur quelques centaines de mètres. Je reconnais au loin les lumières du village et presse le pas jusque chez moi. Au seuil de la porte, je me retourne vers la forêt ne sachant si je dois la haïr ou l’adorer pour m’avoir fait découvrir ses charmes. Je préfère m’en remettre au ciel. Je lève les yeux et vois pour la première fois l’étoile du Berger me faire un clin d’œil et la Grande Ourse se refléter sur ma peau.
- L'étoile du loup (2/3)
Je n’ai pas eu à attendre longtemps avant d’avoir la réponse à cette question qui m’a pris la tête pendant un certain temps. Quelques jours après le meurtre de mon proxénète, j’ai décidé d’aller m’entrainer au tir au sous-sol du QG. Bien que j’étais très douée pour tirer avec les deux mains, j’avais par contre plus de mal avec la main droite seule, ce qui était évidemment un peu ennuyeux… Et alors que je me concentrais pour viser la cible au mieux, malgré ma main légèrement tremblante, Clive est arrivé juste à ce moment-là. Il s’est très vite rendu compte de mes difficultés… et a tenu à m’aider. Je crois que je me rappellerai toujours de ce moment : lui derrière moi, sa poitrine contre mon dos, une main posée sur mon épaule, l’autre m’aidant à tenir correctement mon pistolet. Sa voix n’était plus qu’un chuchotement à mes oreilles ; il me donnait quelques conseils pour atténuer les tremblements, me corrigeait ma posture… puis, un coup de feu est parti. Et comme par hasard, je venais enfin de réussir à mettre une balle au niveau de la tête de ma cible en papier. J’étais heureuse du résultat, heureuse aussi que les conseils de Clive aient porté leurs fruits… Mais je ne m’attendais pas du tout à ce qui a suivi juste après ! J’ai tourné mon regard réjoui vers Clive, m’apprêtant à le remercier pour son aide… et là, après quelques secondes d’échange des yeux, il m’a soudainement embrassé avec fougue. Au début, j’ai été tellement surprise que j’ai laissé mon pistolet s’échapper de ma main et celui-ci est tombé au sol dans un bruit sourd. Puis tout de suite après, dans une sorte de réflexe que je ne m’explique toujours pas, j’ai crispé des poings alors que les tremblements me reprenaient. Mais n’allez surtout pas vous imaginer que j’étais sur le point de frapper Clive ! Non, en fait, c’était même plutôt le contraire : sous l’assaut impérieux de sa bouche, j’avais l’impression de fondre littéralement de passion… et je ne voulais surtout pas qu’il s’arrête. Après un an de sexualité mise de force en sommeil, voilà que celle-ci s’éveillait par un simple baiser. Franchement, j’avais l’impression que j’allais jouir sous l’effet de ses lèvres sur les miennes, des gémissements s’échappant de ma bouche pour faire écho à la sienne… Et puis finalement, par faute de souffle, on a dû arrêter de s’embrasser et éloigner nos visages pour pouvoir respirer. Là, je l’ai regardé avec attention. Il avait les joues rouges et les yeux brillants d’une lueur… une lueur différente de celle qu’il affichait habituellement pour moi. Oh bien sûr, j’éprouvais encore sa séduction et son intérêt émanant de lui… mais ce n’était pas ce qui se reflétait principalement dans ses yeux. Non, je vis dans son regard bleu sombre une fureur d’érotisme sans nom, accompagné d’un ballet d’intenses émotions : douleur, faim, envie et désir. Ce seul regard a suffi à faire tomber mes derniers doutes, mes dernières barrières. Dans un gémissement presque désespéré, j’ai attrapé son visage entre mes mains avant d’unir à nouveau et presque violemment mes lèvres aux siennes. Inutile de dire qu’il a répondu avec délice à ce nouveau baiser… Notre second baiser. Il fut assez différent du premier… Moins impulsif peut-être. Néanmoins, il fut tout aussi exquis dans le domaine de la passion et du désir que nous ressentions alors à ce moment-là. Pendant un moment, j’ai même pensé qu’on allait faire l’amour ici, dans ce sous-sol, tant on se dévorait l’un et l’autre avec frénésie… C’était tout dire de l’acceptation que je m’étais faite de l’idée de faire librement l’amour avec un homme ! Ainsi, lorsque Clive m’a finalement pris dans ses bras, me soulevant du sol, et m’a porté jusqu’à sa chambre, je n’ai pas émis la moindre protestation. Peut-être qu’inconsciemment, j’ai ressenti de la peur à l’idée que les choses puissent tourner au désastre, comme cela était arrivé avec Jared… Mais sur le coup, mon besoin d’avoir Clive à mes côtés, m’embrassant, me caressant, me faisant l’amour, a pris le pas sur ma peur. Et lorsqu’on s’est finalement retrouvés dans son lit, plus rien ne nous a arrêté. Nos corps embrasés par l’effet de nos baisers, nos vêtements ont rapidement volé un peu partout dans la chambre, jusqu’à ce qu’on se retrouve tous les deux mis à nu. On se caressait l’un et l’autre avec avidité, nous enflammant mutuellement la peau, nos mains devenant de plus en plus audacieuses… Et enfin, nous nous sommes unis l’un à l’autre avec tout le déchaînement des sentiments qui nous habitaient alors. Ce fut un véritable maelstrom d’émotions et de sensations fortes ; c’est pourquoi je peux avouer sans honte avoir éclaté en sanglots au moment où la jouissance m’a envahie. Et de mon point de vue, je pourrais dire sans hésitation que ce jour-là, comme l’a écrit un célèbre poète français, j’ai aimé Clive avec toute la fureur de mon âme. Quant à lui, je pense que les sentiments qu’il portait secrètement pour moi ont finalement fait surface en lui, libérant une sauvagerie sexuelle inattendue. Pas que j’ai eu à m’en plaindre, d’ailleurs ! Bien au contraire, j’ai adoré chaque minute de notre toute “première fois”… Car grâce à cet évènement, nous nous sommes sauvés mutuellement d’une certaine manière : 1- Grâce à Clive, je suis parvenue à me guérir définitivement de mon traumatisme sexuel lié àJared, et à découvrir que j’étais capable de faire l’amour comme n’importe quelle femme. 2- Grâce à moi, Clive a enfin pu trouver une certaine stabilité dans le domaine du sexe, mais aussi dans celui des sentiments… Ce jour-là, nous nous sommes enfin dit ces mots que nous avions au bord des lèvres, chaque fois qu’on se retrouvait ensemble : “Je t’aime.” Je l’avais trouvé et il m’avait trouvée ; désormais plus rien ne pouvait nous séparer. Et cet amour-là, j’étais déterminée à ne plus le lâcher. oOoOoOoOoOoOoOoOo Une autre année s’est écoulée depuis l’aveu respectif de nos sentiments, entre moi et Clive ; et comme je l’avais prévu, on ne se lâchait plus. En fait, c’était très simple : on s’aimait à la folie. Entre le travail, les missions du gang et les nuits passionnées, nous étions rarement séparés. On se donnait l’un à l’autre tout notre amour, toute la force des sentiments qu’on portait chacun en nous. Moi, j’étais son soutien dans les moments difficiles ; lui était mon bouclier dans les instants menaçant mon intégrité physique ou morale. Et quand on faisait l’amour… Eh bien on ne se retenait pratiquement jamais. De la nuit, on a aussi appris à apprécier le goût des joutes amoureuses en plein jour, mais toujours dans l’intimité. De cette façon, ma vie sexuelle s’est peu à peu épanouie tandis que Clive y avait gagné une certaine stabilité, lui qui se contentait avant des fameux “coups d’un soir”. Et puis forcément est arrivé ce qui devait arriver dans chaque couple à ce point passionné par les plaisirs de la chair… Je suis tombée enceinte de Clive. Quand je l’ai découvert, j’ai d’abord été complètement paniquée : qu’est-ce que le père de mon enfant allait dire de cet évènement ? Heureusement pour moi, Clive a été fou de joie ; apparemment, cela faisait maintenant plusieurs années qu’il rêvait d’avoir un enfant avec la meilleure compagne possible. Rassurée sur ce point, je me suis ensuite posé une autre question, tout aussi angoissante : est-ce que je serais une bonne mère alors que j’étais à peine dans la vingtaine ? Encore une fois, Clive est venu à mon secours : il m’a promis d’être toujours là pour moi et notre enfant, et m’a rassurée sur mes futures capacités de maman. De cette manière, j’ai décidé que je garderais librement le bébé. Pas que j’aurais pu décider d’avorter, d’ailleurs ! Non, je n’aurais pas eu le courage d’aller au bout de cette démarche ; j’aurais eu trop peur des conséquences finales de mon geste non seulement pour l’enfant, mais aussi pour moi. Alors soit, les dés ont été jetés : je serai une mère gangster contre vents et marées. Et c’est justement ma grossesse qui m’a permis de découvrir l’un des plus choquants secrets de la vie de Clive… Si je m’étais un jour attendue à faire face à une révélation pareille ! oOoOoOoOoOoOoOoOo Alors voilà : je venais de sortir d’un rendez-vous chez le médecin (j’en étais à trois mois de grossesse et j’avais appris que j’attendais un garçon) et je rentrais tranquillement chez moi… Et puis tout à coup, alors que je traversais une ruelle plutôt étroite, j’ai entendu une voix de femme qui semblait m’apostropher. Intriguée, je me suis retournée pour faire face à la personne qui m’appelait comme ça. Comme je l’avais deviné, il s’agissait bien d’une femme, qui semblait avoir quelques années de plus que moi. Grande, brune, très belle… Ce sont les premières pensées qui m’ont traversé l’esprit pour décrire cette personne qui ne passait vraiment pas inaperçue. Une chose était sûre : je ne connaissais pas cette étrangère sinon, je m’en serais souvenue ! Un physique pareil, ça ne pouvait pas s’oublier comme ça. Puis, la mystérieuse inconnue s’est de nouveau adressée à moi : elle m’a demandé si j’étais bien la petite-amie de Clive Parker. Surprise, j’ai acquiescé en silence ; peut-être s’agissait-il d’une connaissance de mon petit- ami que je n’avais encore jamais rencontrée ? Mais ensuite, tout est allé très vite : la femme s’est approchée de moi avec la vitesse d’un félin, m’a attrapée par ma chemise et m’a violemment plaquée contre le premier mur venu. J’ai été si surprise que j’ai d’abord crié de douleur sans amorcer le moindre geste de défense, exactement comme une débutante dans les combats au corps à corps ! C’est alors que la femme s’est de nouveau adressée à moi, sa voix dégoulinante de menace : “Si tu es une fille raisonnable et que tu tiens à la vie, tu vas quitter Clive au plus vite et sortir définitivement de sa vie ! Car il est à moi, et à moi seule !” Sur l’instant, j’ai pensé avoir affaire à une cinglée ; et avec ses yeux exorbités et ses lèvres rageusement retroussées, cette femme semblait effectivement folle à lier. Reprenant un peu mes esprits, j’ai sèchement ordonné à l’inconnue de s’éloigner de moi, mettant une main dans ma poche pour essayer de lui faire peur. En fait, je voulais lui faire croire que j’allais sortir mon pistolet de la poche de mon jean alors qu’évidemment, je ne l’avais pas pris pour ma consultation… Mais malgré tout, ça a marché : la fille m’a lâchée et s’est éloignée de moi si vite que j’ai eu tout juste le temps de la voir disparaître de ma vue. Le souffle coupé, je suis ensuite rentrée au QG en courant, des larmes d’angoisse me perlant aux yeux. Lorsque Clive m’a vue dans cet état, il m’a immédiatement demandé ce qui n'allait pas ; est-ce que c’était le bébé ? Avait-il un problème ? Secouant la tête, j’ai alors relaté à mon homme ma courte mésaventure avec la mystérieuse inconnue brune. En apprenant que j’avais été menacée, les yeux de Clive ont affiché une de ces colères ! Pas qu’il était le genre de personne à entrer dans des états de rage démesurée. Non, Clive, c’était plutôt le genre des colères froides qui ont de quoi vous glacer le sang ; seuls ses yeux affichaient vraiment l’étendue réelle de sa rage. Mais ensuite, j’ai vu comme une lueur de doute briller dans son beau regard bleu… et là, il m’a demandé de lui décrire la femme avec plus de précision. Ce que j’ai fait, bien entendu. Au fil de mes mots, je l’ai vu devenir de plus en plus pâle et décomposé… Visiblement, il connaissait cette femme et ce n’était clairement pas une amie. Il m’a alors fait asseoir à côté de lui sur le canapé… avant de m’avouer ce qui n’allait pas. Et c’est là que j’ai fini par découvrir l’affreuse vérité : je n’étais pas la première liaison amoureuse durable de Clive… Il y avait eu quelqu’un d’autre avant moi. En apprenant cela, j’eus une envie soudaine et irrépressible de me mettre à pleurer de désespoir et de dépit… Fichues hormones de grossesse ! Cependant, Clive m’a rapidement calmée et m’a demandé de le laisser s’expliquer, afin que je comprenne bien toute la vérité sur cette relation passée. Il avait 18 ans et venait juste de commencer l’université quand il avait rencontré cette fille - nommée Cassidy - pour la première fois. Très vite, il était tombé sous le charme de celle-ci et ils avaient commencé une histoire d’amour… qui avait duré 4 ans. 4 ans ! J’ai eu l’impression de recevoir un méchant coup de poing dans l’estomac ; bon sang, comment avait-il pu rester 4 ans avec la même femme et ne jamais en avoir fait mention ? Il fallait vraiment que cette Cassidy ait fait beaucoup de mal à Clive pour qu’il ait gardé un souvenir aussi amer d’elle, ai-je pensé. Et j’avais raison… Mon homme m’a ensuite avoué que c’était seulement au bout de ses 4 années de relation qu’il avait fini par comprendre que leur histoire était un peu à sens unique. Car voyez-vous, si Clive était réellement fou amoureux de Cassidy, ça ne semblait pas aussi réciproque de l’autre côté… En fait - et ça, Clive ne l’a découvert que beaucoup plus tard - elle était surtout avec lui à cause de l’argent. Oui, vous avez bien compris : l’argent ! Comment peut-on manipuler les autres juste pour obtenir davantage de richesses ? C’est quelque chose qui m’a toujours dépassée ; ne peut-on pas se satisfaire de ce que l’on a ? Bref, quand il a découvert la vérité, Clive s’est senti trahi de la pire des façons possibles… et il l’a fait comprendre à Cassidy d’une manière très particulière. Il l’a battue ; et il l’a battue si fort que s’il ne s’était pas arrêté, il aurait fini par la tuer. Je peux imaginer que vous soyez choqués ; je l’ai été aussi lorsque Clive m’a fait cet aveu. Après, je crois pouvoir comprendre son geste, même si je ne suis sans doute pas impartiale : la trahison est une chose qu’il ne peut pas tolérer, encore moins chez ceux qu’il aime. Qu’on essaye d’abuser de sa confiance et il le fera chèrement payer. Et c’est exactement ce que Cassidy a fait : elle lui a avoué, lors d’une dispute, n’être avec lui que pour sa fortune… et qu’elle voyait aussi d’autres hommes derrière son dos. Et ça, Clive ne l’a pas supporté : fou de rage, il a alors donné une telle correction à sa petite-amie que son visage était presque méconnaissable à la fin de cet assaut violent. Ensuite, elle est définitivement sortie de sa vie et n’est plus jamais revenue ou réapparue… jusqu’à aujourd’hui. Dire que j’étais abasourdie par toute cette histoire serait un euphémisme : j’étais en fait complètement assommée par toutes ses révélations. Tout d’un coup - et c’était très bête - j’ai eu peur de me sentir abandonnée par Clive au profit d’une autre femme, plus agréable que moi. Cependant, mon homme a immédiatement vu mon air troublé et m’a serrée fort dans ses bras, mais de façon très tendre ; il m’a ensuite rassurée sur notre lien. Après tout, m’avait-il dit, j’étais la seule femme qui avait réussi à vouloir lui faire commencer à nouveau une relation amoureuse stable ; en plus, je portais son enfant en moi. Son enfant… L’une des choses fondamentales que Cassidy lui avait refusée et qui l’avait profondément peiné. Non, c’était sûr et certain : jamais il ne reviendrait vers cette femme qui lui avait causé tant de chagrin et qui avait fait naître en lui une certaine méfiance envers les filles de mon âge. Mais à ce moment-là, je ne savais pas encore qu’avec l’arrivée non-désirée de Cassidy dans notre vie, c’était le début de sérieux ennuis qui m’attendaient…
- T comme Truffaut
“Inquiétant”. Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par ce tableau inquiétant de Balthus. (consigne de Jean-Michel Devésa) J’étais dans les rues de Paris, avec mon fils François. Il n’allait pas tarder à faire nuit. Le dernier métro allait arriver dans une vingtaine de minutes, juste le temps que François et moi terminions notre promenade dominicale en me remémorant quelques souvenirs. François avait dix ans, il était en pension à Deauville et y repartirait le lendemain de cette promenade. Je n’allais pas le revoir avant plusieurs semaines. Il ne me ressemblait pas, il était très calme, tout le contraire de moi. À son âge, je faisais les quatre cents coups. Je séchais les cours de pension et réussissais à m’y échapper en mentant. Qu’est-ce que j’avais menti, une fois j’avais dit que maman était morte. Elle avait aussitôt répliqué à coup de gifles avec mon beau-père. Plusieurs fois je m’étais trouvé au piquet parce que je n’arrivais pas à me contrôler. J’étais l’enfant sauvage de la classe. Tellement que je ne me gérais pas et dérangeais le cours, on m’emmenait chez le concierge de la pension. Nous passions devant un cinéma, je dis à François que ce cinéma était particulier pour moi. Quand j’avais son âge, on entrait par l’arrière du bâtiment, et on avait accès aux salles en passant par des couloirs labyrinthiques. On ne payait pas la séance, et lorsque la nuit tombait, malgré les grilles du cinéma, je m’amusais à détacher des affiches de films, des photos de tournage et les volais. Aujourd’hui, les affiches sont sous des plaques de plexiglas, ce qui rend le vol comme un défi corsé. Puis nous passions vers mon premier véritable logement. La femme d’à côté était Colette à l’époque, ma première idylle, mais Antoine et Colette, c’était sans succès. Mais j’avais passé plus de temps avec Christine. Nous avions fait une partie de notre chemin ensemble mais avec un échec cuisant à la fin. J’avais tout ruiné… J’étais l’homme qui aimait les femmes. Plus loin dans la rue, je voyais une librairie. Je disais à François que son papa avait écrit un livre. Je lui montrais du doigt le livre écrit par Antoine Doinel qui était exposé en vitrine juste à côté de Fahrenheit 451. Ce livre racontait toute ma vie, jusqu’à la rencontre avec Sabine, sa mère. François me demandait comment j’avais rencontré Sabine. C’était dans un bistrot, j’avais trouvé une photo déchirée en plusieurs morceaux. C’était elle sur cette photo. Apparemment, l’individu rompait avec elle. J’avais alors reconstitué la photo et je l’avais trouvée. Elle était vendeuse de vinyles chez un disquaire. Disquaire qui se trouvait juste en face, mais désormaisil y avait une brasserie à la place qui se nommait Tirez sur le pianiste. On s’embrassait dans la boutique sur la chanson d’Alain Souchon, L’amour en fuite. On l’aimait cette chanson. On rayait, craquelait, usait le vinyle tandis que le diamant se détériorait tellement on mettait ce 45 tours en boucle. Dans le métro, François regardait avec des étoiles dans ses yeux ce qu’il avait acheté avec l’argent de poche, le 33 tours d’Oxygène. Tandis que moi, je regardais le paysage avec cette nuit bleutée, telle une nuit américaine en me remémorant ces paroles de la chanson de Souchon écrite par Laurent Voulzy. Ça faisait : Nous nous on a pas tenu le coup. Bou bou ça coule sur ta joue. On se quitte et y a rien qu'on explique. C'est l'amour en fuite. L’amour en fuite. Des paroles tristes mais qui résumaient ma vie.
- On me dit liberté
On me dit liberté… dans la rue, au travail. Mais je crois qu’on me roule. On n’respecte pas le bail. Dans le métro lillois, j’étais là, à la barre ; Autour de moi, des gens discutent, se taisent, se marrent. Je me tenais debout et, derrière moi, un homme Prenait la barre plus haut car il était plus grand. Beaucoup trop proche de moi et sans prendre de gants, De son sexe aux aguets, il reluquait mes formes. Je n’savais pas quoi faire et j’n’osais pas bouger. J’ai pourtant essayé de m’écarter. Une fois. Deux. Il revenait sans cesse. – Qu’on me dise pourquoi ! Quand je suis descendue, il m’a suivie. – C’est vrai ! Peu importent mon nom, mes habits, mes manières. Toi qui regardes. Tu sais. Je le vois à ton air. Ça a duré longtemps ; presque une éternité. Trois stations de métro ; pourquoi n’as-tu rien fait ? On te dit liberté… et toi-même, t’obéis. T’obéis à tes proches, t’obéis à cette vie. On te voudrait vivante, tu te trouves livide ; On te veut souriante, en toi ce gouffre, ce vide. Alors, tu prends de la hauteur ! Tu t’envoles (vol) Puis tu CHUT. Tu redescends tes manches. Puis attaches Tes boutons. Les voix se taisent ; tu te trouves lâche. Tu dissimules au monde les traces de ton envol. Tu lui dis, à la France, que tu veux en finir ; Elle te répond : « ça passera, tu iras mieux… Plus tard. Tu verras. » Tu n’en crois pas tes yeux : On te propose de vivre, mais jamais de mourir. On leur dit liberté… elles en profitent trop, Ces grandes entreprises. Elles te promettent travail, Respect, épanouiss’ment. Une employée de trop, C’est tout ce que tu es. Ne pas montrer de faille, C’est parfois difficile. Tu te forces pourtant, Au moins pour tes deux filles, pour payer leurs études. Les genoux défoncés et l’estime égal’ment, On vient te licencier pour cause d’inaptitude ; Te suspendre au crochet des gens handicapés Un tout p’tit peu trop jeunes pour être retraités Et qui doivent assumer les fautes de ces puissants Qui, sans gêne, te clouent sur un fauteuil roulant.
- De la puissance des Lettres
"Lire en levant la tête" Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) J’avais dix-huit ans lorsque j’ai réellement découvert ce que la littérature signifiait pour moi. Je lisais avant. Depuis quelques années. Depuis mes seize ans je dirais. Pendant mon enfance c’était une rareté que je prenne un bouquin en main tout seul et que j’y prenne du plaisir à le lire. En primaire encore, mes parents ont même essayé de me forcer à aimer la lecture. J’ai dû lire tous les jours au moins deux pages, sinon je ne sais pas quoi : tête féroce, paroles menaçantes, je n’en sais rien, mais une certaine autorité m’a rendu bien contraint d’obéir. Et qu’est-ce qu’on m’a donné ? Bien sûr de la littérature de jeunesse : Verne. Qu’est-ce que je m’en tapais du Capitaine Nemo et de ses aventures, ainsi que des deux ans de vacances de quelques gars d’à peu près le même âge que moi sur une île inhabitée. Je dois reconnaître pourtant que je m’en souviens de ces deux livres et de leurs histoires après tant d’années aussi. Mais après un temps ils ont laissé tomber. On ne pouvait rien m’imposer. Plus on essayait, plus je résistais, plus je rebellais et plus je faisais exactement le contraire. C’est devenu un phénomène tellement général que mon éducation échouait à tout niveau : en famille et à l’école. J’étais têtu pour mes parents, je l’étais aussi pour mes professeurs. Et lorsqu’ils se complaignaient, mes parents consentaient. Mais à cet âge qui lirait, étudierait, travaillerait ?! J’avais envie de jouer… aux Legos encore, ensuite sur l’ordi, je vivais mon enfance aux années deux mille, c’était vraiment au centre de l’intérêt de ma génération et finalement, ayant atteint l’âge de la puberté : God Damn ! Les filles et que les filles et rien que les filles et je m’adonnais aux filles et quelques-unes s'adonnaient à moi et j’étais plein et satisfait et ça me suffisait. Puis, à un moment, ma mère m’a glissé sous les mains un livre – qu’elle n’avait d’ailleurs jamais lu – et qui a changé ma vie. C’était Sur la Route de Jack Kerouac, ou Jean Lebris de Kerouac, pour évoquer ses origines bretonnes. Je l’ai lu, je me suis reconnu et j’ai appris à aimer la littérature. Parce que j’y ai trouvé ce que je n’avais jamais eu la chance de trouver dans ma vie avant. Mon alter ego. L’alter ego d’un homme qui est né soixante-cinq ans avant moi, sur un autre continent, qui a écrit dans une autre langue par rapport à la mienne, mais qui n’était même pas la sienne, parce qu’il ne parlait pas l’anglais jusqu’à ces sept ans, étant le descendant de colons canadiens. L’œuvre qu’il a accomplie est un récit de vie et à cette vie j’ai l’impression d’avoir participé, comme si j’avais vécu ce qu’il avait vécu. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai dévoré la grande majorité de ses écrits. Mais qu’il s’agisse de ses romans, de ses nouvelles ou de ses haïkus, jamais un auteur n’a pu mouvoir mon imaginaire à tel point que lui. En le lisant, ses pensées, devenues mes pensées m’ont si souvent tellement emportées que je passais trois fois autant de temps à rêver qu’à le lire véritablement.
- Art Byzantin
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) Odalisque bohème, ta serviette glisse de tes épaules et repose sur le sol comme le ferait ta traîne. L’or teinte à tes poignets, à la servitude des miens, j’ai la certitude que tu fus autrefois sculptée par Bartholdi ou Rodin. Ton corps s’allonge entre vapeurs thermales et brumes d’éthanol spectrales. Elles te regardent, jalousent ta beauté, elles sont archives, tu es musée. Le phare de tes yeux se pose sur les cieux, tu n’en as cure de ce que l’on pense de toi, peut-être même que tu ne sais pas ce que tu fais là. Jeune ivresse, tu défies à toi toute seule l’évangile des déesses. Tu es mon carême tandis que tu trouves ta place dans ce harem. La tête renversée, tu accueilles le soleil sans même remarquer qu’il provient de toi, le rayon qui nous éblouit de sa clarté. Ta peau diaphane appelle au toucher d’une poésie qu’on ose à peine prononcer. L’art byzantin n’est rien comparé à l’ivoire de tes seins. Enchanteresse arabesque, sur tes formes j’y graverais bien mes fresques. C’est un désert clairsemé de dunes sur lesquelles je me ferais caravane égarée, sur fond de sable blanc sous les pieds. La carnation de ton teint me rappelle le nacre des coquillages délaissés que j’ai pu, une fois ou deux ramasser par le passé. Tu es le lait dont j’aimerais m’abreuver et pourtant, je sais que c’est au Sultan que tu vas te donner. Tu n’as jamais fait ça, je le lis sur la pulpe de tes lèvres que tu gardes pincées. Et pourtant au plus offrant tu offrirais ton baiser argenté. Ton pied joue sur l’eau avec désinvolture, déesse Calypso, tu rejettes ta chevelure. Je voudrais y perdre les doigts, les glisser comme on caresserait de la soie. Loukoum servi pour le dîner, j’étais l’eunuque castré de l’amour que le Roi n’était en mesure de te donner.
- Noureev
(Un film de Ralph Fiennes) Que de poésie, de grâce et de mouvement dans le dernier film de Ralph Fiennes sorti en 2018. On y ressent toute la mélancolie de l’âme russe inhérente aux pays de l’est, d’autant plus à cette période trouble de l’histoire où tout était cadenassé et contrôlé par le Politburo et le KGB. Autant dire que les artistes étaient pieds et poings liés et quelque peu dépossédés de leur liberté. Pourtant Noureev est une ode à la vie, à la liberté, à la passion, à la danse mais aussi à l’Art sous toutes ses formes, avec un grand A ! Ce film retrace la vie du célèbre danseur de ballet russe Rudolf Noureev, et sa défection à l’ouest lors d’une tournée à Paris en 1961 en pleine Guerre Froide. On y discerne toute l’hypocrisie d’un système soviétique dépassé par ses idéaux et terriblement injuste et opprimant pour ses ressortissants qui sortent du cadre imposé. Or ici Noureev est un corbeau blanc, un être à part, épris de liberté et en quête de perfection. La danse, voilà la seule chose à laquelle s’accroche Noureev, il n’en a que faire de la politique et du jeu de quelques dirigeants avides de pouvoir. Pourtant la politique va le rattraper et dans une tension extrême nous serons témoins de cette dernière pirouette que le danseur soviétique fera à son régime comme un camouflet. Le jeu des acteurs est ici éblouissant et Oleg Ivenko qui est lui-même un danseur de talent crève l’écran. De plus si on regarde le film en VO avec les quatre langues (russe, anglaise, française et espagnole) c’est encore plus immersif. Nous arpentons les rues de Leningrad (aujourd’hui St Petersbourg) et celles de Paris en remontant le fil du temps, à l’aube de l’été 1961 où se déroulent ces événements. De plus le ballet est un art total et exigeant, le ballet russe l’est d’autant plus ! On ressent la passion jaillir sous la peau des acteurs et les cadrages et autres plans du film sont poétiques à souhait. Finalement on se prend d’affection pour ce jeune danseur russe qui à force de vouloir vivre ses rêves en finit presque par s’en brûler les ailes… Les musées du Louvre et de l’Ermitage à St Petersbourg sont mis également à l’honneur ainsi que la peinture, la sculpture, la musique, l’amour, l’amitié et donc bien entendu la danse. Tout s’imbrique l’un dans l’autre pour finir par ne faire plus qu’un, qu’incarne à merveille notre héros d’un autre temps : Rudik Noureev ! Je ne peux donc que vous le recommander chaudement ! XK
- Le Voyeur
Écrire une page "déclenchée" par la scène d'anthologie du Mépris de Jean-Luc Godard réunissant Brigitte Bardot et Michel Piccoli (adaptation du roman d'Alberto Moravia). Ne pas dépasser un feuillet A4. (consigne de Jean-Michel Devésa) La scène culte de Brigitte Bardot dans « Le Mépris » (avec Michel Piccoli en 1963) Ethan regarde Clair. Il le regarde avec attention, son unique compagnon, pour l’instant. Il n’est pas certain de prendre quelqu’un d’autre en supplément. Peut-être à l’occasion, qui sait. Drôle de prénom tout de même, Clair sans e. Qui plus est pour un garçon. Mais Ethan sait que son père est tout particulièrement dérangé. Sacré gaillard va ! Un bien mauvais bougre, le genre de type qu’on n’a pas envie de rencontrer, encore moins de confronter. Dire que le pauvre Clair a dû le supporter pendant toutes ces années ! Pas de chance. Il regarde les petits pieds maigrichons de son compagnon, les orteils mis à plat. Puis, il remonte un peu son regard, et s’attarde sur les chaînes noires tatouées sur les chevilles, un motif qu’il avait jugé beau. Bien entendu, il l’avait imposé, et Clair n’avait rien dit, comme d’habitude. Pourquoi s’obstiner à changer quand ce n’est pas nécessaire ? Une perte de temps. Il observe ses cuisses, fines. Trop fines, il ne mange pas assez. Pourtant il n’est pas anorexique. Pas encore. Ethan remonte encore un peu, regarde le sexe percé, mutilé par une décoration inutile. Clair ne s’en était pas plaint ce jour-là, l’idée venait presque de lui. Il remonte encore. Tombe sur le piercing au niveau du nombril, qu’il apprécie tellement, sur les motifs roses irréguliers, signe de blessures volontaires. Clair n’en est pas à son coup d’essai, mais son compagnon n’en dira rien. Il se contente de lui prescrire la médication classique en psychiatre de métier. Se taper son propre patient n’est pas très déontologique, mais comme personne n’est au courant il s’en moque bien. Et Clair ne se plaint pas non plus, tout va bien dans le meilleur des mondes possibles. Tant qu’ils ne se font pas prendre la main dans le sac. Il remonte encore son regard, sur le mamelon droit, enflé par un anneau qui traverse la chair. Encore un cadeau du psychiatre, son compagnon n’avait pas osé dire non. Comme d’habitude, et ce pour tous les cadeaux, parfois empoisonnés du praticien. Ce dernier aime bien tester les limites. Aucune ne se dresse devant lui, et aucune n’est près d’arriver. Clair est si faible que ce n’en est pas drôle. Un jour, Ethan choisira une autre cible, plus dans la défensive. Il observe les flammes noires qui dévorent ses avant-bras, marque de soumission totale. Observe son visage. Sa lèvre inférieure, traversée par un autre anneau. Son nez fin droit, presque féminin dans sa forme -il ressemble beaucoup à sa jumelle, cette satanée Carole. Ses yeux, profondément noirs, dénués d’expression, car pleins de cachets de toutes les couleurs. Cette nuit, Ethan le ferait danser jusqu’à l’aube. En attendant, il écrase sa cigarette sur le poitrail de Clair, et en entame une nouvelle. La caméra s’arrête de filmer.
- Marie Claude
Marie Claude se retourne, doute. Depuis son fauteuil, elle ne peut pas voir la porte d’entrée. Elle tord son corps maigre et sec, s'arcboute et s’énerve le cou tendu vers ce maudit couloir. Pas le choix, la voilà qui se précipite vers l’entrée. D’une main ferme que le temps a tordue mais qu’elle refuse de laisser trembler, elle attrape les clefs qui ne quittent jamais sa robe de chambre. Il y en a 5, elle laisse celles du garage cachées dans le panneau électrique. Les doubles aussi sont cachés, elle n’a jamais pu se résoudre à les confier à sa fille, pourtant propriétaire de l’appartement où elle l’a sauvagement enfermée. Fabienne n’a jamais été digne de confiance aux yeux de sa mère. D’ailleurs la vieille femme sait très bien qu’elle ne lui a acheté ce taudis que pour l’y laisser mourir, éventrée par des voyous qui viendraient chercher sa fortune. Mais on ne le l’aura pas si facilement. Marie Claude connaît son affaire et après avoir fait poser une porte blindée devant son trésor, elle avait mis sur sa porte d’entrée autant de verrous que celle-ci pouvait supporter. Il faut agir vite, la serrure principale d’abord. La clef s’enfonce mais refuse de tourner. Marie Claude est un peu soulagée, c’était bien fermé. Elle s’autorise à jeter un œil à travers le judas. Le couloir est éteint. La panique monte à nouveau. A quoi pensait-elle à traîner ainsi ?! Bien sûr qu’ils n’allaient pas allumer la lumière, ils la savaient les regardant derrière la porte ! Dans la précipitation, elle rate la serrure de la deuxième clef qui vient rayer la porte au lieu d’enfin réussir à la protéger. Elle gémit et parvient enfin à pénétrer cette fichue serrure, la clef ne peut pas tourner, c’était fermé. Mais il en reste une, Marie Claude baisse les yeux et dans un geste désespéré poignarde cette satanée porte de la troisième clef. Ses dernières forces se concentrent en ce geste fatidique, en une ultime poussée vers la droite. La malheureuse s’acharne mais sa main ne tourne pas plus. Elle s’effondre, la moquette amortit sa chute mais elle ne sent de toute façon pas l’impact. Son cœur fatigué la menace de l’intérieur, sa vie n’est donc faite que de dangers. Mais elle sait que le repos n’est pas encore venu. Le balcon. Elle s’élance, rampant à moitié, vers le bouton de contrôle des stores, elle parvient à presser celui du bas. Les rideaux recouvrent déjà la baie vitrée mais elle devine le store fermé à son bruit caractéristique de mécanisme auquel elle demande une énième fois de se mettre dans la position qu’il occupait déjà. Debout à présent, elle recommence dans toutes les pièces. Epuisée mais saine et sauve, elle se dirige à nouveau vers son fauteuil et s’assoit sur le tissu élimé. Face à cette vitre emballée de rideaux jaunes et de barrières métalliques, elle se tient prête.
- La Série de trop, de Troie
À l'occasion des JNAE 2021 sur le thème de la liberté, j'ai participé à un atelier d'écriture créative, chacun d'entre nous devait être motivé par un texte ou une image, puis se laisser porter le temps d'une heure avant la restitution. 5ème édition des « Jeunes Néo-Aquitains s’Engagent », les 22,23 et 24 octobre 2021 à Sauméjan (Lot-et-Garonne) – La Ligue Nouvelle-Aquitaine – Former, informer et transformer (liguenouvelleaquitaine.org) 6h Un, le réveil sonne. Je me lève. Deux. J’avance, me brosse les dents, prends une douche. Un. J’enfile des fringues, regarde l'heure, ferme à clé. Deux. Le métro est bondé, les âmes vidées, routine respectée. Un. J’arrive au travail, la routine, le vide. Deux. Je prends ma salade à midi, mon collègue me parle des dents de sa fille. Quel intérêt ? Un. Reprise du boulot, le rythme enclenché, rien ne s’arrête. Deux. Sortie du boulot, retour au métro, maison bondée. Un. Les mots se perdent, Netflix me retrouve, une saison passe. Deux. Elle était cool, me fait penser, rien à rêver. Un. On répète. Deux. Encore. Et. Encore. 20h Soudain, ma liberté est privée. Je suis dépravé, en perdition dans l’oubli de l'appartement. La routine est brisée, le rythme enrayé, la télé commence à me lasser. Dehors ? Il paraît que la nature reprend son cours, sa vie, ses droits. Que faire, que voir ? Reprendre ses droits ? On les lui a enlevés ? Je suis incultivé. Ça se dit ? Je ne sais même pas. À quoi bon se poser la question, rien ne va, ne marche, ne réfléchit. Mais sa vie reprend, des biches dans les villes, des dauphins à Venise, des pensées dans nos têtes. On a le temps. Le temps de se poser, de rêver, de se lasser, de rêvasser. Faudrait pas que ça devienne pathologique. Réfléchir, ça fait mal. Mal au crâne, mal à l’âme. Mal à l'Ordre et mal à ses forces. Mal au temps, il agonise. Il agonise parce que je le prends, je prends mon temps, celui de la réflexion, puis viendra celui de la rébellion. Ça fait un mois, le rythme a disparu. Je n'y retournerai plus. Laissez-moi, lâchez-nous, libérez-nous. Arrêtez ce flot d’infos, ce ruisseau de boulot, des raz-de-médias, ces tsunamis de séries. C'est cool le divertissement. C'est épuisant le divertissement. Il est trop présent, le divertissement. Dans un monde d’horreurs Irrité par nos erreurs Vois puis oublie Éteins ton cerveau Réfléchir ? Plus tard Tard ou jamais. Ici, rien ne sert de réfléchir. Sers-nous Servons-nous les uns, les autres Émerveille-toi de la beauté humaine Mens-toi et pense En sachant que tu n’as pas le temps Ni maintenant, ni jamais Servir, nous servir, par ta culture. Mais aujourd’hui, tout change. J’en ai marre, j’en peux plus, je suis à bout. À bout de tout, à bout de vous. Juste avant la rupture, avant ma brisure, que ma tête ne se rompe. Mais ce sont mes liens, c’est votre idée, vos entraves que je romps avant. Ca, c'est la survie, cachée par une avalanche de plaisirs auxquels je suis forcé d’adhérer. Non. Non ! Ici. Là et maintenant. La Voie Lactée fait volte-face, le sens de la vie retrouve son chemin. Tout, TOUT revient libre et suit les bonnes étoiles. Un nouveau message m’apparaît, un dogme dans mon ciel clair. Lève-toi pour tes pensées Idéalise le monde d'aujourd'hui Bats-toi, bats-les pour qu’ils soient là ce soir Écartèle ceux qui battent tes droits Rugis à l’appel de la nature Transmute avec tous et toutes Évoluez vers le meilleur de votre monde. Je regarde le ciel, une étoile filante entre, puis fuis ce monde fou. Petite étoile, plus qu’un vœu, une promesse. Dans 10 ans, tu resteras.
- Valeur de la sincérité
Écrire une page "déclenchée" par la scène d'anthologie du Mépris de Jean-Luc Godard réunissant Brigitte Bardot et Michel Piccoli (adaptation du roman d'Alberto Moravia). Ne pas dépasser un feuillet A4. (consigne de Jean-Michel Devésa) La scène culte de Brigitte Bardot dans « Le Mépris » (avec Michel Piccoli en 1963) Qu’est-ce que la sincérité ? Un rien, pas grand-chose Juste une fleur, une rose Un trésor de pure beauté. Oui, le mensonge est ancré en nous Comme une lame, une malédiction Il nous suit partout Détruisant tout ce qu’il y a en nous de bon. Si on est assez fort Pour éviter tous les torts Qu’il peut nous faire commettre, On peut alors vivre avec. Mais je sais qu’il me ment Sans cesse, toujours, éternellement Ça me fait mal dedans Mon enfer, mon châtiment. Il me dit qu’il m’aime Que je suis celle qu’il attendait Celle qu’il désirait… Blasphème et anathème ! Sincère, je le suis Mais certainement pas naïve Chaque jour, des disputes vindicatives Ainsi telle est notre vie Puis la colère passe Mais jamais la douleur s’efface Un sourd rappel constant Que celui que j’aime me ment Enfer et damnation ! Pour lui, j’ai tout sacrifié Mes rêves, mes passions Pour demeurer à ses côtés Tel un filtre de couleur Il change en temps et en heure Mais je ne peux le quitter Car à lui, je me suis emprisonnée Oui, je sais bien que ma vie est gâchée Mais je peux mettre en garde chacun de vous : Méfiez-vous des gens qui vous paraissent trop doux Et osez la valeur de la sincérité.
- Le dilemme de l'écrivain
“Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) C’est une belle fin d’après-midi : les gouttes de pluie ruissellent contre la fenêtre, les flammes crépitent dans la cheminée… C’est parfait, je ne peux pas me sentir mieux. Est-ce que la fille dont je lis les aventures est en paix comme moi ? « – Je te déteste, Stéphanie ! Tu savais que c’était mon jean préféré ! » Probablement pas, puisqu’elle cherche des noises à sa sœur qui n’a rien demandé. Si je déplore ses mesquineries, je suis impressionnée par l’abondance de ses idées… Ça me fait sourire, d’ailleurs. Sans vouloir me jeter des fleurs, on dirait moi… Hier encore, j’ai eu une super idée pour mon nouveau roman ! Ah, c’est tout moi, ça : commencer un projet alors que je n’ai même pas fini les dix précédents… Non, sans rire, cette fois ça vaut vraiment le coup. L’histoire va… « Le train, ça n’était vraiment pas le fort de Stéphanie : trop de monde ! » Tiens, mais je croyais qu’elle était chez elle ? Oh non, j’ai encore dû me perdre dans mes pensées… Flûte. Bon, j’espère qu’on va revoir sa correspondante, quand même. Je l’aimais bien… Hé… Imagine qu’elles se retrouvent dans le même wagon ? Ce serait incroyable ! Oh, ça me fait penser : il ne faut pas que j’oublie le rendez-vous avec la librairie, lundi. J’arrive à peine à croire que je pars dédicacer mon premier livre… à Paris, en plus ! Je me demande à quoi ressemblent mes lecteurs… « Stéphanie se mit à rire avec le journaliste et le public. » Le journaliste… ? Ah mince, c’est vrai ! Il faut absolument que j’écrive la scène où les héros se battent en interview… Franchement, je crois que c’est le moment que je préfère de tout mon troisième roman ! C’est le passage ultime, le climax… Bon sang, mais maintenant j’ai plus envie d’écrire que de lire ! Pourtant ce livre est super… « Chapitre 14 » Quoi ? Le 13 est déjà fini ? Mais je l’avais commencé il y a à peine trente secondes ! Bon… Ah super, le 14 c’est un flash-back. Hé, mais… J’aurais pas oublié les origines du héros de mon cinquième roman, moi ? Oh j’ai compris : je capitule ! Où est mon ordinateur ? Ça me démange !
- D'or ou de mots
"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) « Dans leur palais, des volutes, de l’or, du bois ciselé. Partout où j’avance, des dalles recouvrent la terre battue. L’étoffe blanche de ma chemise s’amuse du peu d’air amené par les passants… du reste, la lumière est douce, filtrée ; feutrée. Je presse ma paume contre une porte en bois de rose. L’encens serpente dans la pièce, je clos la porte derrière moi. Un voile de soie rouge préserve ma vue, je m’arrête un instant, inspire, le soulève. Elle est là. — Il vient d’entrer, attend quelques instants avant d’entrer. Je réajuste ma coiffure, pose mon regard… il me voit. — Aurais-je dû être surpris ? Je savais que je ne rejoignais pas un ange. Ses yeux sont dévorés, son corps lacéré d’ongles invisibles… Elle est déjà sur le lit, elle y a ses marques. Je ne suis pas le premier homme qu’elle voit. Nous verrons ce qu’il adviendra. — Il s’avance d’un pas, son regard embrasse la pièce, survole mon corps et se plante dans mes yeux. Il y reste de longues secondes. À son âge, pourrais-je être la première femme qu’il rencontre ? Pour l’inviter, je fais rouler mon pied le long de ma jambe, je laisse ma peau me caresser, une mèche de cheveu tomber de mon épaule… je baisse les yeux, déclenche un rire timide, les relève : je guette en lui une étincelle de désir. Il est de marbre. — Je m’assieds sur le bord du lit, la forçant à me faire une place. Sa moue enjouée se teint d’un air altier : elle cherche à cerner mes envies. Face au mur d’entrée, je décide de ne pas esquisser un geste. Elle s’impatiente. — Allons, laisse-moi te guider… au fil de mon inspiration, « au temps où les poètes étaient rois », je laisse venir mes mots… mes doigts remontent le long de son épaule, « était une jeune fille à la peau de porcelaine », s’aventurent au-dessus de sa chemise, « dont on disait que les caresses étaient de nacre », je sens… La porte est presque arrachée par des poings qui la martèlent. On frappe, fort. Je retiens mon geste dans cette peur archaïque qui me parcourt… — Voici donc l’issue… la diplomatie a échoué. — C’est la première fois que j’entends sa voix. Il se tourne vers moi, ma main est toujours posée sur son buste, il me demande : ‘Tu peux me faire sortir ?’. Il ne me supplie pas, ne joue pas non plus. Des cris nous intiment d’ouvrir, je dois agir. J’ouvre la porte dérobée, mène l’inconnu dans le couloir sombre en priant pour ne pas être suivie. J’entends le verrou sauter derrière nous, je presse le pas. Le combat dans ma poitrine couvre le son des bottes contre les dalles. — L’humidité des parois assaille doucement le corps. Elle n’a même pas réfléchi avant de me guider. Il a fallu qu’ils arrivent maintenant… je l’aurais éloignée, pour l’écouter mener son histoire. Un cadre de lumière se découpe enfin, elle l’ouvre. Je suis plongé dans la clarté d’un vestibule inconnu, elle ouvre aussitôt une deuxième porte. Avant même de l’avoir compris, je suis encerclé par les roses de la cour intérieure. Elle me désigne le bout de la grille jouxtant le muret, fait volte-face, se précipite pour rentrer. Elle ne me donne pas une parole ni un geste de plus. — Je ne crois pas mon poignet lorsque je le sens retenu. Je dois me retourner, voir sa main au-dessus de la mienne pour le croire : il me touche enfin. J’ai l’impression de plonger dans un lac givré. D’un souffle haché, il me dessine ses alliances politiques et son espoir de retour, loin d’ici. Pourquoi me raconte-il cela ? — Je ne vais pas te laisser ici, dans les dorures et les pierres, si ce n’est pas la vie que tu souhaites. — Il me libère, monte sur le muret, escalade la moitié de la herse et se tient là debout, au mépris des gardes qui affluent au bout de l’allée. Sur son visage grave, un sourire s’esquisse. — Je viens d’un pays, loin d’ici… si tu le souhaites, tu peux venir le découvrir avec moi… c’est un pays où un poète est devenu roi. — Il me tend la main, et tandis que les lames reflètent la morsure du soleil près de nos corps, il s'enquiert : ‘Tu viens ?’ »