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Quelques idées de mots-clés :

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304 éléments trouvés

  • Atlantide

    Réécrire la microfiction Babylone de Régis Jauffret (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Les vibrations du chant des baleines à bosse résonnent dans l’univers silencieux où je reste, bouche bée, sans bouger. Des bulles d’air s’échappent et remontent à la surface. L’immensité bleue absorbe lumière et couleurs jusqu’à les éteindre dans ses profondeurs. Je n’aurais pas imaginé trouver des instants de sérénité dans le calme violent qui rôde au gré des courants, là où même le son de ma propre respiration n’existe plus. Les tortues, les requins et les planctons dansent leurs rondes, passifs et élégants au-dessus de ma tête. Ils ne se doutent pas que je brise leur réseau trophique, que plus qu’une plongeuse familière, je suis une apnéiste au goût toxique. Je n’avais pas rêvé de ce destin aquatique dont le sel assèche les souvenirs. Je n’avais pas rêvé d’habiter dans le liquide pacifique si ce n’est pour incarner Ondines et Néréides. Mais j’en suis réduite à jouer une sirène qui séduirait difficilement le plus faible des Argonautes, à endosser le rôle de Méduse à la chevelure folle et au regard pétrifiant. Le mythe se désagrège. Autrefois, mon visage pixelisait toutes les télés, apparaissait dans les catalogues et les rayons des supermarchés. Objet de désir, je provoquais envie et admiration pendant que je défilais à l’infini, un sourire parfait plaqué sur mes lèvres roses. J’étais l’égérie d’une société, la réification de ses canons de beauté et de pensée, une tête à coiffer et à maquiller, un corps à habiller de tulle et de tissus synthétiques. Et tout s’est terminé. On s’est lassé de mon visage inchangé, lassé de ma présence encombrante. Ce fut la fin des mains qui m’adulaient, me tenaient et m’embrassaient. Elles m’ont traînée dans la boue, jetée aux ordures, reléguée au rang de déchet. Les seuls à me regarder encore sont les poissons aux yeux vitreux qui peuplent l’Atlantide, cité engloutie, perdue et oubliée de la surface de la Terre. Je ne suis plus qu’une tête de poupée en plastique décapitée, le crâne couronné de coraux et d’algues, sacrée miss immondice des océans pour des centaines d’années. Crédits photo : David Lorieux

  • Peau de mouton

    Écrire une microfiction se terminant par “c’est tout ce qu’il voulait savoir”. (consigne de Milena Mikhaïlova) – Allez Johnny ! Ça fait presque deux heures qu’on te cherche. – T’es le roi du cache-cache mon pote. Sors pour qu’on te donne ta récompense. La poussière dansait autour de lui. Petit balais inconscient de ce qui se jouait en ce moment tendu. Un coup retentit contre un mur qui s’effrita, des parties du placoplâtre tombèrent au sol. Un juron et un dialogue s’enchainèrent. John était trop loin pour les entendre. Accroupi derrière un vieux sofa qui avait définitivement connu des jours meilleurs, loin des fêtes, du vomi, et des parties de jambes en l’air, il pesa ses chances de rechanger de cachette. Il entendit les pas lourds, ponctués de coups de battes contre les murs et le mobilier restant, s’éloigner vers l’aile ouest du bâtiment. Il s’accorda une position plus confortable et chercha du réseau. Aucun. Il soupira d’agacement. Les genoux ramenés sous son menton, il gratta le vieux papier peint vert. Vert comme cette vieille bâtisse perdue dans les bois, sur le flanc de montagne, dont on ne voyait plus vraiment la position tellement la végétation avait repris ses droits. Les tuiles avaient verdies et arboraient des fleurs. Magnifique camouflage. Il avait accepté cette sortie avec les deux grandes-gueules du lycée. Le cliché de la brute qui tape sur les nerds à lunettes, ceux qui parlent de Donjons & Dragons et de la relativité restreinte dans leur coin. John ne participait pas aux lynchages, il faisait juste quelques trucs pour les deux imbéciles. Leurs devoirs contre un paquet de chips et une boisson gazeuse sucrée. Il se portait garant de leurs absences quand ils séchaient les cours, pour aller à l’autre bout de la petite ville perdue dans une vallée, faire Dieu sait quoi. Mais John ne posait pas de questions, sinon c’était se faire remarquer. Et il ne voulait pas se faire remarquer. Même si pour lui, ça devenait un cycle ennuyeux. Bus, cours, dodo. Quand il rentrait dans son petit appartement vide, il était épuisé d’avoir arboré un masque souriant et intéressé toute la journée. – … plancher grince ? On l’aurait forcément entendu mec. Des voix audibles, quoiqu’encore loin, le sortirent de sa rêverie. Il allait encore devoir se balader dans les pièces insalubres en évitant de faire du bruit. Mais il avait trouvé une technique : passer par les fenêtres sans vitres et marcher sur les rebords et finitions en relief de la bâtisse. Malgré l’intérieur pourri, l’extérieur tenait bon. Peut-être grâce à toute cette grimpante verdure. – Il est tout maigre, mais c’pas un fantôme. – La ferme Ted. – Toi la ferme. C’était ton idée de l’amener ici. Pourquoi on a pas invité un des nerds du club des coincés pour faire ça ? Comme d’hab quoi. – J’voulais changer de proie, ça te dérange ? John risqua une figure, accroché par une main sur le montant en fer d’un ancien porte-lanterne, pour voir s’ils étaient encore au niveau inférieur, en levant un sourcil. C’était donc ça dont il avait entendu les rumeurs silencieuses. ‘‘La chasse’’. Un nom parmi d’autres, tels que ‘‘les pleurs traqués’’ ou ‘‘à celui qui résistera le plus longtemps avant de se pisser dessus et d’appeler sa mère à l’aide’’. Charmant. En attendant, il perdait son temps. Ça faisait déjà quatre heures, presque cinq qu’il avait quitté son appart avec eux pour cette partie de cache-cache et il avait un couvre-feu très strict. Un autre fracas. Très long. Un des deux devait perdre patience et s’acharner sur un morceau de mur. – Putain, mais il est où ce con ? – Il a dû se barrer ? – Et les clochettes qu’on a mis aux sorties ? On l’aurait entendu. Et je te rappelle que c’est moi qui ait les clefs. – Et ben j’en sais rien moi, m’engueule pas comme ça. – Si mon vieux voit pas son vieux truck revenir pour demain matin, je vais passer un sale moment. Un silence relatif, ponctué de pas lourds dans les escaliers qui tombent en poussière de moisissures vertes. John changea de main, et passa, tel un chat, dans une pièce à l’étage d’en dessous. Il épousseta sa veste et se débarrassa du lierre qui s’était accroché à une de ses manches quand le bruit insupportable de vie reprit. – Aucun réseau, fait chier. – Attends mec, tu fais quoi là ? – Je voulais voir si j’avais reçu un message. Ma mère me fout jamais la paix. – Nan mais t’as prévenu personne qu’on venait là ? – Bien sûr que non. J’ai fait comme on a dit, comme chaque samedi. Personne ne sait qu’on est là, vieux. – Tant mieux, termina le brun d’une voix bourrue. John réfréna un petit rire avant de fouiller dans une de ses poches arrières. Il enfila des gants chirurgicaux bleus avec une lueur nouvelle dans le regard. Une lueur intéressée. Maintenant, c’était eux qui étaient enfermés avec lui. C’est tout ce qu’il voulait savoir.

  • Une vie, des slogans

    Réécrire la microfiction Slogans de David Thomas (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) À vrai dire, je n’ai jamais vraiment aimé les politiques. Sans doute que ma méconnaissance du milieu, et les mensonges proférés par ces hommes et ces femmes ne m’aidaient pas. Surtout, le slogan de François Mitterrand en 1981, « La force tranquille », ne me convenait pas. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Bien que j’eusse vingt-et-un an au moment des élections, je n’ai pas voté, dégoûtée par les hommes et les femmes politiques de l’époque. Ça ne s’est pas arrangé avec le « Nous irons plus loin ensemble », sept ans plus tard, de Jacques Chirac, lui non plus je ne l’aimais pas. Après Chirac, et les caricatures parfaitement hilarantes de sa personne -je les découpais dans les journaux et en faisait la collection- vint Balladur avec « croire en la France ». N’étant pas spécialement patriote, je n’y croyais pas, moi, en la France. Juste un pays avec une bonne sécurité sociale, selon mon avis du moins, et depuis quelques années, le droit à l’avortement. J’en profitais largement, ce qui eut l’occasion de me faire passer les pires mois de ma vie. Il avait fallu beaucoup de temps pour que je m’en remette, mais je ne voulais absolument pas d’enfant. Merci Mitterrand, même si je ne vous appréciais pas. « La relève, le changement » avec Bayrou m’interloqua. Cette fois-ci je votais pour le parti socialiste, avec Ségolène Royale. Je ne l’aimais pas non plus, mais quelque chose au fond de moi voulait que cette femme forte, aux canines acérées, fasse peut-être une meilleure présidente que messieurs ses concurrents. Je compris ma bissexualité à ce moment-là, et comprenais que si j’aimais tout le monde, j’avais quelque chose pour les femmes qui savent s’imposer. « Travailler plus pour gagner plus », de Nicolas Sarkozy, petit homme au caractère de cochon, ne me faisait ni chaud ni froid. C’était facile pour lui de dire qu’il fallait se bouger les fesses pour le dire poliment. Cette année-là, je faisais du 7h30-20h30 au bureau. Si je n’adhérais pas au slogan, je le suivais malgré moi. Ce fut cette année que je me pacsais avec Marilyn, j’en étais très heureuse. Nous déménageâmes à la campagne au bout de quelques années de vie commune, non par amour des mots proférés par Eva Joly, « l’écologie, la solution ». Nous voulions changer d’air, et cela nous fit le plus grand bien. Finalement, un slogan me marqua au cours de ma vie, « faire battre le cœur de la France ». Car un cœur battait en Marilyn, celui de l’enfant que nous avions décidé d’avoir par insémination artificielle. Elle logeait en son sein le futur d’un pays auquel je n’avais jamais cru, et pour une fois, je voulus croire aux politiques… jusqu’à la prochaine élection.

  • Les jardins suspendus

    Réécrire la microfiction Babylone de Régis Jauffret (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Les mains encore pleines de terre, je m’allonge sur ma petite terrasse en bois, sous ma pergola fleurie. Son ombre délicieuse m’offre du répit. Mes pieds, débarrassés de leurs bottes en plastique vert, épousent l’herbe et se délectent de sa fraîcheur, malgré l’astre d’une journée bien engagée. Bercée par le chant du vent dans les branches des arbres et les vocalises de quelques oiseaux, je ne tarde pas à imiter mes chats, Chaussette et Pantoufle. Lorsque j’avais commencé à bêcher la partie sud de mon jardin, je les avais vus prendre place sur leurs fauteuils respectifs, faire leur toilette, tourner jusqu’à trouver la position parfaite, et prendre les rayons de vitamine D. Ils n’ont pas bougé quand je me suis approchée, dégoulinante de sueur. Et maintenant, je prends le soleil en somnolant. À l'aise. Je pousse un petit soupir de contentement. Je poussais beaucoup trop de soupirs d’agacement et de fatigue, avant. En ville. Le bruit incessant, la vie diurne et nocturne, les foules, les mouvements. Le goût du métal sur ma langue, celui de la saleté dans ma gorge. L’odeur de la pollution ne partait pas de mes vêtements. Tout cela aspirait la vie que j’avais en moi. Plus j’étais fatiguée, et plus la ville semblait en forme. Elle me vampirisait. Elle m’a fait miroiter des merveilles, m’a donné des illusions de grandeurs, m’a berné avec de fausses facilités de vie, m’a promis des opportunités. J’étais jeune et naïve. Je pensais que le centre de la vie était dans les métropoles. Il y avait tout et tout le monde se côtoyait. La ville était juste un immense forum, un immense marché, un immense musée. Mais j’ai vite déchanté. La crasse, les miasmes, le gris du ciel, des bâtiments et des gens ont déteint sur ma couleur intérieure éclatante. Le présent tinte du léger son de mon carillon. Je m’étire tel un chat, sans que les moustaches des miens ne vibrent. Les pieds encore dans l’herbe, je ressens la vie de Mère Nature. La vie qui pulse sous et autour de moi. Revigorante. Pas de pression, pas de piétons, pas d’horloge, pas de regards qui interrogent. Je suis plus que jamais chez moi, je prends le temps d’y aller doucement.

  • Le cauchemar d'Hilda (2/7)

    Scène 2 : Bonsoir Salim. Oh, pardon ! Je ne voulais pas que tu me voies dans l’état horrible où je suis (Hilda essaie de bien mettre de la poudre sur son front pour cacher sa nervosité. Les mains tremblantes de stress, elle les joint.) Oh ! Ne me regarde pas comme ça ! Je ne peux pas te raconter ce qui m’est arrivé. C’est plus fort que moi ! (Elle fait semblant de pleurer mais ne pleure pas.) Ah ! Comme je suis bête ! Je laisse toujours les gens abuser de ma naïveté ! En fait, j’ai cru rencontrer une amie qui ne ressemble pas aux autres. Tamara, j’ai cru qu’elle était innocente comme un ange et qu’elle saurait garder mes secrets et réduire mes peines. Son amitié était un remède aux souffrances que j’ai vécu. Je me voyais en elle : elle était douce et tendre ne proférait pas un mot qui ne soit paisible à mon âme. Je l’ai bien aimée. Et elle savait tout ce que j’aimais mais n’en usait pour le retourner contre moi. Je ne comprends pas ce qui se passe ! Je ne peux pas le croire non plus. Mon Dieu, je sens que la terre tremble sous mes pieds (Elle fait semblant de s’évanouir. Salim la prend dans ses bras. Confus, il ne sait pas quoi dire. Il préfère se taire pour comprendre ce qui se passe.) C’est difficile pour moi de te dire cela mais je crois qu’il est important de dévoiler ce secret car il te concerne en premier lieu. Tamara avait des comportements bizarres la nuit dernière, elle est venue me voir, le corps tremblant et les yeux enflammés d’excitation. Je l'ai invitée à entrer et l’ai fait asseoir sur le canapé et je lui ai proposé de m’attendre pour que je prépare une boisson chaude. Elle a refusé et m’a fait asseoir près d’elle. Puis, elle a commencé à me toucher partout de manière insolite. J’ai senti sa chair brûler et que sa respiration devenait irrégulière. J’étais stupéfaite, j’ai essayé de m’éloigner mais elle m’empêchait de faire le moindre mouvement. Ensuite elle s’est approchée de mon cou et a violemment essayé de m’arracher des baisers. J’ai crié et l’ai repoussée loin de moi avec force. Elle était monstrueuse, telle un animal féroce ! J’ai donc couru vers ma chambre et m’y suis enfermée à clef. Elle, en fureur, a frappé la porte de ses coudes pendant un long quart d’heure. Puis, épuisée, elle s’est arrêtée et a commencé à sangloter. Finalement, elle a avoué qu’elle m’aimait et que c’était dur pour elle de me révéler la vérité car, de peur de me perdre, elle avait choisi l’amitié comme motif pour rester à mes côtés. Avant de quitter la maison, elle m’a demandé pardon. (Hilda regarde Salim du coin de l’œil et feint une expression malheureuse. Salim est sous le choc, lâche Hilda et fait tomber le bouquet de fleurs.)

  • 149 600 000 km

    Écrire une microfiction à partir de la chanson Le Soleil a rendez-vous avec la Lune (version live) de Charles Trenet. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Le détenu numéro 696 340 attendait que sa visite arrive en face de lui. Les doigts de sa main droite grattaient nerveusement les petites peaux autour des ongles de sa main gauche. Il n’avait pas eu de visite depuis le début de son incarcération. Il ne savait pas qui venait. Il avait pourtant échangé des appels avec sa sœur, mais elle ne lui avait rien dit. En même temps, il n’avait droit qu’à un appel toutes les semaines, et ça faisait trois semaines que sa sœur ne répondait pas aux plages horaires données pour les détenus. Il entendait le léger brouhaha de ses codétenus qui avaient eux aussi de la visite. Il ne pouvait ni les voir, ni voir leur visite. Et puis du mouvement dans son champ de vision. L’ombre ne continua pas vers un autre box. Il releva un peu la tête mais s’arrêta en cours de route quand son visiteur s’assit en face de lui, de l’autre côté du plexiglass. Sa respiration se fit plus profonde quand il le vit. Il s’autorisa un sourire de joie. Il finit par attraper le combiné à son tour. - Salut, dit le détenu, la voix serrée. - Salut Elio, répondit la figure partiellement et faiblement éclairée par le petit néon au-dessus de lui. Au son de sa voix, la respiration du rouquin à la tenue de la même couleur se stoppa. Il éloigna le combiné noir un instant, se frottant les yeux qui s’embuaient avec le bras qui le tenait. Il s’autorisa un petit rire. Qu’il avait rêvé de le revoir. De l’entendre ! Un sourire collé sur le visage, il se reprit, car il avait envie d’en entendre plus. Ils échangèrent quelques banalités, timidement, comme si c’était leur premier rendez-vous. Elio ne pouvait pas s’empêcher de balancer ses jambes et de tapoter le sol avec ses pieds. Comme un enfant excité et heureux. Parce qu’il l’était. Jacy, son petit-copain, était en face de lui, et lui parlait. Ça faisait presque 1 an qu’il ne l’avait pas vu. Depuis le procès, en fait. Il apportait un peu de couleur à son quotidien. Il lui avait écrit des lettres, mais il n’avait jamais reçu de réponses. Là, il en avait. Même si son amour était plus silencieux et tendu que d’habitude. Pour détendre l’atmosphère grisâtre de la prison, Elio choisit de ressortir les beaux souvenirs qu’ils avaient ensemble. - Tu te souviens de la chanson en français que je te chantais ? Le Soleil et la Lune ? - Oui. Tu savais que ça me ferait rire avec ton accent. Tu as toujours su sécher mes larmes et écarter mes soucis quand j’étais hors de la réserve. Un léger silence. Jacy se mordillait la lèvre inférieure. Puis lâcha : - Seulement… J’ai dû les sécher seul quand tu es entré ici. Ce fut l’effet d’une bombe en Elio. Après un battement, qui dura aussi bien un instant qu’un millénaire, le rouquin dit, timidement, sur une fausse assurance. - Je suis désolé. C’était une décision stupide que j’ai prise. Et maintenant, je suis loin de toi. Et enfermé. Il n’y aura pas d’éclipse pour que la Lune et le Soleil se retrouvent avant un moment. Jacy garda son air sérieux, mais triste, si triste. Avec la vitre qui les séparait, le détenu maintenant tendu ne pouvait pas savoir s’il avait les yeux humides. Et à travers le téléphone, il crut entendre sa voix trembler et infiniment triste. Était-ce une illusion, qu’il voulait désespérément croire ? - Il n’y aura pas de prochaine fois, Elio. La Lune et le Soleil ne se reverront plus jamais. Ce fut une autre bombe. Cette fois-ci, le susnommé quitta un instant son petit-ami des yeux et regarda le combiné avec insistance. Il devait y avoir de la friture. Ça devait bien arriver même à ces téléphones-là, non ? Il s’empressa de reprendre le morceau de plastique sinistre à son oreille, craignant de louper quelque chose, craignant d’avoir loupé les explications, souhaitant qu’il s’agissait d’une hallucination. - Je suis… Je ne peux pas t’attendre. Tu dois assumer ta bêtise seul, puisque tu l’as décidé seul. Sans penser à nous. Tu as pensé à toi. Uniquement à toi. Je dois avancer alors que toi tu restes sur place. - Jacy… Ce dernier leva la main, paume face contre celui qu’il était venu voir, autoritaire. Pendant un instant, celui qui était affublé d’une combinaison orange cru qu’il allait la poser sur la vitre. Comme il souhaitait la sentir contre sa main, contre sa peau. Par ce geste, il était seulement invité à se taire. - C’est toi qui a décidé de ton destin à l’instant où tu as décidé de rejoindre ce casse. De te porter garant de tes partenaires de crime. D’assumer leurs actions durant cette prise d’otage, même non voulue. De dire que c’est toi qui avait tiré. De dire que tu étais coupable, sur plusieurs chefs d’accusation. Ça ne sert à rien de défendre des morts. Même s’il s’agissait d’un arrangement avec la procureure. En plus d’être prisonnier d’un lieu, celui qui était joyeux comme un enfant un jour de neige était maintenant prisonnier de son propre corps. Il voyait la sentence arriver. Il hurlait intérieurement. Sa gorge se dessécha rapidement et il voulut protester. Parler. Essayer de le faire changer d’avis. Pour eux. Mais rien. - Au revoir, Elio. Sa lune se leva, raccrocha et la figure assise et immobile cru apercevoir une larme rouler sur ses belles joues dont il ne pouvait que se souvenir de la douceur, avant que sa vue ne se brouille et qu’il lâche le combiné qui se fracassa contre la paroi du box, rebondissant par son fil entortillé. C’était fini.

  • La Cape bleue

    Écrire une microfiction à partir de l’affiche “Ils ont vu cela !” du premier numéro de la revue L’amour, dirigée par Frédéric Pajak (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Cela faisait quelques heures que Joseph était dans la lune. Il attendait que la séance soit ouverte, c’était sa troisième au Club. Le Club était formé de l’élite culturelle d’Arkhane City, un petit groupe qui prenait bien soin de se cacher pour éviter les soupçons. En effet, ce qu’ils faisaient n’était pas vraiment entendable pour le grand public, il valait mieux rester discret. Cette nuit, ils allaient l’invoquer. Ils allaient invoquer la Cape bleue, Gogokhoth’Amrultokha. De ce que Joseph en savait, il s’agissait d’une créature cosmique unique en son genre, un être qui résidait au plus profond de l’océan Pacifique, dans sa cité engloutie de Traolda. Le Club allait le faire venir grâce à un rituel très précis, et lui, Joseph, allait avoir le droit de contempler cet être hors du commun, en dehors du temps et de l’espace. Un être qui allait choisir quelqu’un pour partager son immense savoir… s’il se sentait d’humeur généreuse. Au bout de plusieurs minutes, les autres membres du club arrivèrent. Ils avaient sur le visage un masque noir, pour se cacher du regard de la Cape bleue. Le nouveau enfila le sien, et se mit avec les autres en cercle autour d’une sorte de pentacle dessiné à la craie au sol. Tous ensembles, ils entonnèrent un chant liturgique, « Dyxhur Traolda na dandre dyxhur ». Le chant dura plusieurs minutes, tous les participants étaient concentrés à réciter les paroles apprises par cœur. Ils espéraient tous au fond de leur âme que cet exercice allait porter ses fruits. Ils allaient bientôt être fixés. Une forte odeur de marée se fit soudainement sentir alors que le chœur venait de terminer de réciter son texte. S’ajoutait à cela une déformation subite du pentacle, qui prit en taille et se transformait progressivement en quelques signes incompréhensibles. « Ils ont vu cela », dit très clairement une voix d’outre-tombe, une voix qui venait de partout et de nulle part en même temps. C’était en vérité un entremêlement de sons, couplés à des visions de bâtiments aux angles improbables changeant indéfiniment. Ce n’était que par pur hasard que les membres du Club avaient compris ce qu’ils avaient compris, « Ils ont vu cela ». Certains s’évanouirent d’un coup, mais ce n’était pas le cas de Joseph. Il vit de l’eau sortir des symboles tracés au sol, et avec elle, des sortes de filaments de brume qui se tordaient en tous sens. Et une paire d’yeux jaunes, à la pupille fendue, s’éleva lentement, le fixant du regard. Aussitôt, Joseph se sentit transpercé de part en part, comme si ces yeux étaient des fers de lance. Il s’écroula en arrière, et tomba dans quelques centimètres d’eau en haletant. Il s’évanouit, sans comprendre ce qui lui arrivait. A son réveil, il était entouré de ses camarades, inconscients pour la plupart. Le sol était parfaitement sec, et le pentacle avait retrouvé sa forme originelle. Mais l’odeur de marée subsistait. Le jeune homme remarqua une marque à son bras droit, et sans vraiment savoir ni comment ni pourquoi, il n’avait qu’une envie, se jeter à l’océan, et rejoindre Traolda. La Cape bleue l’avait choisie pour partager ses connaissances mystiques.

  • Trio de nymphettes

    Écrire une microfiction à partir du poème Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud, 1888. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) La chemise brusquement arrachée du tendre lit de la rivière est rapidement essorée par les mains expertes. Un coup d’œil aiguisé pour vérifier que le côté droit n’osait plus arborer de tache et Henriette expédie le linge dans le panier derrière elle. Pendant un court instant, seul le bruit de l’eau battue par les mains caleuses résonne dans la vallée. Mais bien vite, Claudette reprend : « - Et si seulement c’était tout ! Mais c’est qu’en plus de ça, sa fille est d’un vulgaire, pas étonnant qu’avec une allure pareille elle ait des mœurs plus légères que de la dentelle. - Mon pauvre Riri en a d’ailleurs fait les frais. La gourgandine le trompait avec le village entier, c’est même toi Yvette qui m’en as assurée, ajoute une Henriette scandalisée. Face à elle, la brave lavandière hoche fièrement la tête. - Oui enfin, ton Henry il l’avait bien un peu cherché, assène Claudette. À passer ses journées dans le sofa, pas étonnant qu’il ne trouve pas de brave petite pour tenir son ménage. Tandis que mon Cloclo, lui, n’avait rien demandé. Elle venait à peine d’arriver, et c’est de bon cœur qu’il s’était proposé pour lui faire visiter la commune. Le pauvre enfant n’aurait jamais pu se douter que la perfide l’utiliserait pour s’installer avant de lui interdire l’accès de l’appartement qu’il leur avait lui-même trouvé. - Dans mon souvenir, elle l’a quitté après qu’il a eu dépensé tout leur pécule dans le bistrot stratégiquement placé sous l’appartement dont tu parlais, glisse Yvette. Non, la vraie victime n’est pas Claude, c’est mon petit Yvon. La garce l’a détourné de sa véritable vocation. Le minot avait toujours voulu écrire, j’avais même gardé toutes ses cartes pour les journalistes qui auraient, plus tard, voulu voir les débuts du génie. C’est du gâchis moi je vous dis. - Yves, écrivain ? Non mais tu délires Yvette. Ton fils, il a jamais su aligner trois mots sans faire de faute, glousse Henriette. » Elle s’apprêtait à continuer quand un « Bonjour » retentissant la coupe net. Dans son dos passe la belle Berthe. Son parfum délicat fait éternuer Claudette qui la repère toujours comme ça. Les trois commères lui adressent leur plus beau sourire édenté et Yvette lâche même son lainage pour lui faire un signe amical. Aussitôt qu’elle est hors de portée, les nymphettes sont unanimes pour une fois et soufflent d’une même voix : « Salope »

  • Cœur pamplemousse

    Écrire une microfiction en intégrant dans l’ordre que vous souhaitez “blessure”, “lumière” et “pamplemousse” (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Le pamplemousse de la cantine tous les midis, c’est son rituel. Coupé en deux. La moitié rosée qui détonne sur l’assiette blanche. Séparer le fruit de la peau en coupant tout autour. Puis quartier par quartier. Une dosette de sucre à répartir uniformément. Plaisir amer-sucré. Rituel réconfortant mais redouté. Le collège, les collégiens ; les récrés, c’est dangereux. Trois par jour, deux heures au total. Deux heures, c’est long, surtout aux urinoirs. Mais même là-bas c’est risqué. Ils viennent et lui font voir cette tache au sol, à deux centimètres du mur. Lui font embrasser la porte en bois peint. Lui font ressentir le carrelage froid du mur. Le sang dans sa bouche a le goût du pamplemousse de midi. À la cantine. Le pamplemousse. Couper autour. Par quartier. Les lunettes, les boutons, les vêtements troués : ces filles ne voient que l’extérieur. Que la peau du pamplemousse. Leurs dents blanches seraient belles si elles n’étaient pas l’outil de tant de cruauté. Les joues rouges et le regard bas. Leurs dents tyranniques. Il sait que ça passera, qu’il est cloué au sol, de toute façon. Qu’un pamplemousse ne riposte pas, mais reste dans l’attente du crime. De leurs dents insensibles. Cantine. Pamplemousse. Couper. Quartier. Les adultes ne veulent pas comprendre. Ce sont des querelles d’ados ; ça finira bien assez vite. La rumeur dit qu’eux aussi l’ont connu. La rumeur ne dit pas qu’ils l’ont si mal vécu. Ils balayent de la main. Ne voient que leurs leçons. Ne comprennent pas tous qu’être prof c’est aussi protéger. Pamplemousse évidé. Ne lui reste que la peau; mais à quoi sert cette peau si l’intérieur est vide ? Foulard autour du cou. Un dernier cri du cœur. Une dernière blessure pour un peu de lumière. - Jimmy, Jimmy ! Non, Jimmy ! Un dernier regard. Une dernière pensée. Souvenir amer-sucré… maman, tu m’as abandonné.

  • Boom

    Écrire une microfiction à partir dutableau de David Hockney Le Parc des Sources, 1970. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Z et Emma attendaient patiemment que leur rendez-vous se décide à arriver. Il restait une troisième chaise qui attendait l’indic. Devant eux s’étendaient des hologrammes reproduisant deux rangées d’arbres parfaitement symétriques, avec du gazon entre les énormes végétaux. Tout à l’heure, ce seraient des poissons multicolores qui les remplaceraient. Z avait hâte que ce soit le cas, les arbres trop symétriques le mettait mal à l’aise. Les deux compères s’étaient habillés avec des vêtements typiques du vingt-et-unième siècle, c’était comme ça que l’indic allait les reconnaître. Ils avaient l’intention d’entrer dans le bâtiment principal de Red Cyber Star, leader des Etats-Unis en matière de membres cybernétiques. Emma avait perdu ses deux jambes dans un accident de voiture, et les avait remplacées avec des produits de la marque Hirashima. Elles n’étaient pas parfaites mais convenaient parfaitement et lui permettaient de tenir debout pendant des heures. En fait, ses nouveaux membres étaient même supérieurs aux anciens. Bien sûr elle aurait préféré rester humaine à cent pour cent, ce qui n’était pas l’avis de Z. Ce dernier avait troqué son bras droit contre un membre de la marque qu’ils comptaient attaquer. Red Cyber Star était dirigée d’une main de fer par une Française, madame Saint-Simon. C’était elle que le duo comptait faire tomber, car cette dernière leur mettait trop souvent des bâtons dans les roues. La corporation qu’elle dirigeait était devenue trop puissante, et influençait le comportement de tous les gangs du coin, le leur ne faisant pas exception à la règle. Emma se sentait un peu nerveuse, et elle savait pertinemment pourquoi. Dans trois heures, elle allait poser une bombe sous le bureau de la CEO, de quoi lui glacer le sang qui lui restait dans les veines. Z, lui, était plutôt calme et détendu. On l’avait engagé pour son talent naturel à s’introduire dans des lieux improbables. Grâce à son bras bionique il pouvait se connecter à l’Intranet et pirater n’importe quel objet connecté également. Son rôle dans la pose de la bombe était simple : il allait pirater toutes les caméras qui se dresseraient entre le duo et le bureau de la PDG. Si cette dernière se connectait aussi à l’Intranet mondial, il aurait été possible de lui envoyer un virus informatique et lui griller le cerveau. Mais si elle tenait toujours aussi bien la barre depuis tout ce temps, elle devait être infiniment plus maligne que ses concurrents et ennemis. Finalement, après une éternité à attendre dans le froid -on était en hiver-, le troisième homme se montra. Il était vêtu lui aussi comme au début du vingt-et-unième siècle. Ce que le duo n’avait pas prévu, c’étaient les gardes qui l’accompagnaient. « Vous pouvez nous accompagner s’il vous plaît ? Madame Saint-Simon aimerait s’entretenir avec vous. » L’enfoiré les avait dénoncés.

  • Le Nocher

    Écrire une microfiction à partir du poème Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud, 1888. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Perdu dans la lumière de la nature, le soldat fut accosté par une voix avenante. Vive, la figure aux pieds ailés le prit par l’épaule, quelle main chaleureuse Qui le quitta aussitôt qu’une entrée sombre se dessina, chantante. Elle résonnait en lui, l’invitant à franchir ses portes vaporeuses. Le sol gris crissant sous ses godillots, la jeune âme s’aventura dans les ténèbres. Il croisa les résidents de ces rives, pauvres et royaux, pleurants et négociants, Et de pâles Lampades, belles nymphes infernales, avec leurs torches funèbres S’en allant hanter quelconque esprit insouciant. Au milieu des râles et des supplications, dans l’ombre de la caverne Il attend en silence, ses longs doigts accrochés à sa lanterne, Deux trous luisants et perçants sous sa lourde capuche noire brodée d’argent Charon, sinistre mais soigné, patiente dans son embarcation, Son autre main tendue, comptant sur sa rétribution. Nocher du Styx charriant les ombres vers leur jugement.

  • Douces-amères

    Écrire une microfiction en intégrant dans l’ordre que vous souhaitez “blessure”, “lumière” et “pamplemousse” (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Lentement, Lily s’éveille, mais elle se sent faible. Tout est sombre. Tout est silencieux. Elle se lève péniblement du lit, laisse son corps la guider et ses mains explorer. Un lit, un bureau, une armoire. C’est tout. Elle ouvre cette dernière avant d’être aveuglée par ce qui lui semble être une robe. Elle ne peut résister à l’envie d’aller la toucher. La lumière se fait plus intense et un souvenir la transporte alors ailleurs. Salle de réception, invités, grande occasion. Bonheur. Un grand miroir au fond lui montre un couple, aux couleurs du Yin et du Yang, esquissant leurs premiers pas de danse. Ce sont de piètres valseuses, mais Lily sait qu’elles s’en fichent. C’est le plus beau jour de leur vie. La magie du mariage s’évapore et le silence de la chambre se fait plus rare. Un faible murmure de mots remplit l’espace et volette autour d’elle avec légèreté. Elle tend l’oreille pour en comprendre le sens, en vain. Lily prend alors conscience qu’un regain d’énergie s’invite dans son corps et qu’il en demande plus. Sitôt souhaité, sitôt exaucé. Le lit laisse place à un bar, le bureau à une cuisinière et l’armoire à un frigo, où un dessin est fièrement aimanté. L’éclat qu’il dégage la saisit et les murmures se font plus présents, plus implorants. Un doux rire enfantin la recouvre avant que Lily ne mette un nom dessus. Son fils joue avec une femme aux cheveux auburn qui est en train de le laisser gagner. Lui semble oublier qu’ils sont en pleine partie puisqu’il saute au cou de la femme. Ils tombent sur l’herbe dans un roulé-boulé de câlins et de bisous agrémentés de rires. Lily se joint volontiers à eux. Elle émerge à la frontière du jardin et de la cuisine, ses batteries à demi rechargées. Au loin, l’unique cerisier du jardin qui rayonne de tout son être lui donne la chair de poule. Elle s’élance vers le souvenir lumineux. Elle en a besoin. Il faut… – Ne fais pas ça ! l’arrête la voix des murmures. Elle se sent immédiatement ramenée à l’intérieur de la maison. Derrière elle, la porte-fenêtre claque, l’obscurité redevient reine. Lily fait volte-face puis découvre la même femme aux cheveux auburn. Elle a son nom sur le bout de la langue… – Pourquoi ? Je suis bien ici. Lily tente de rouvrir la porte-fenêtre, sans succès. Elle sent son énergie diminuer et se plie de douleur. – Ta blessure… Elle empire ! – Quelle blessure ? – Commotion cérébrale. Les médecins font tout ce qu’ils peuvent. – Je veux pas être soignée, je veux récupérer mon énergie ! – Et Léo ? T’as pensé à lui ? Lily repense au dessin, au grand sourire que le petit garçon arborait dans son souvenir. À la joie qu’ils ont ressentie. Chemin faisant, ses yeux rencontrent le visage de la femme. Ambre… Maintenant ses traits sont plus nets, plus familiers, plus inquiets. – Laisse-moi te montrer quelque chose, dit Ambre en tournant les talons. Lily l’entend farfouiller dans la cuisine, préparer un plat, peut-être. Elle revient et lui fait manger quelque chose de pulpeux au goût de savon. – C’est dégueulasse, Ambre ! Cette dernière rit, repart dans la cuisine et saupoudre quelque chose. Lily goûte à nouveau. – Là, ça se mange… – Voilà, c’est ce que je pense de ma vie. Amère sans toi, plus douce avec… – Vraiment ? – Pitié, Lily, la supplie-t-elle. Je veux pas redevenir un pamplemousse nature…

  • Sans atout

    Sans Atout, notre héros éponyme n’en était pas dépourvu. Au contraire, vif d’esprit, il avait avec lui la curiosité et le courage. La seule chose qui le desservait en somme, c’était sa petite taille. À mi-chemin entre l’homme et le nain, comprenez donc entre chien et loup. Déjà tout petit, le cul entre deux chaises, il faisait l’embarras de ses parents, et provoquait les railleries quand ce n’était pas les coups qui pleuvaient sur lui. Sa pauvre mère pleurait matin, midi et soir, ce qui l’attristait d’autant plus. Si bien qu’à huit ans à peine, après avoir longtemps mûri la question, il décida d’aller de par le monde, nourrir sa curiosité et gagner son propre pain noir. Il rassembla alors son baluchon et toutes ses affaires, ce qui lui prit peu de temps en vérité, car ses parents habitaient une pauvre masure à la sortie du village, à l’orée même de la forêt. Là où des fauves poussaient des cris inquiétants la nuit, entre deux sanglots maternels difficilement éteints. Il ne fit pas ses adieux à ses parents, il laissa simplement une lettre à leur attention en leur disant de ne pas trop s’inquiéter pour lui, et que le jour où il serait grand il reviendrait et il ferait leur fierté ! Il profita donc à ce qu’ils soient tous deux affairés aux champs pour sécher l’école à l’impromptu et tailler la route comme on dit, ou plutôt le chemin caillouteux qui lui tendait les bras. Plus loin, il demanda à un bûcheron surpris de le voir traîner par ici, littéralement scié en deux pour ne rien vous cacher, quelle était la route la plus sûre pour sortir de la forêt. Ce dernier balbutia à demi-mot qu’il n’y avait qu’une seule route, peuplée de brigands, de bêtes féroces et d’arbres maléfiques ! Il le remercia alors et continua son petit bonhomme de chemin. Après avoir longuement marché, il tomba ensuite sur une jolie maison en bois. Là, un sorcier très aimable lui proposa de le prendre sous son aile et lui enseigner les rudiments de la survie en milieu hostile ainsi que quelques notions en chiromancie. Sans transition, Sans Atout se fit alors un nom, grandissant à force de magie aussi soudainement qu’une anacoluthe en perdition à la fin d’une phrase. Crédits : Illustration (1867) de Gustave Doré (1832-1883) pour le Petit Poucet, de Charles Perrault.

  • La dormeuse du val

    Écrire une microfiction à partir du poème Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud, 1888. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Allongée dans l’herbe, elle entend la rivière chanter. La lumière pleut sur ses joues et son cou. Les parfums de la nature s’imprègnent en elle. Ses narines frissonnent. Elle ne bouge pas. Seule sa respiration offre un mouvement régulier à son buste. Elle dort. Entre les doigts de sa main droite, un bout de papier se cache. Froissés, quelques mots se distinguent. À très vite mon amour. Des semaines, des heures, une éternité qu’elle relit ses mots. Elle ne cesse jamais de l’attendre. Le ruissellement de l’eau rythme cette infinitude. Il est là. Tout le temps. Partout. Elle le voit. Près des fleurs autour de la maison. Près de la rivière, dormant la main sur la poitrine. La chemise défaite, souriant comme un enfant après une journée passée à jouer. Allongée dans l’herbe, la rivière a cessé de chanter. La lumière s’est éteinte. Les parfums de la nature échappent à ses sens. Ses narines tremblent. Elle ne cesse de s’agiter. Sa respiration est devenue irrégulière. Elle s’est réveillée. Sa main serre un bout de papier avec force. Chiffonnés, quelques mots se distinguent. Disparu au combat.

  • Mystique

    Mystique Pour croire les choses il faut déjà les avoir vues. Moi je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois, c’est vous dire pas grand-chose. Car à part les horreurs diffusées en boucle à la télé je n’ai absolument rien vu. Mais alors rien du tout ! Ou alors à force de voir les choses, on ne les perçoit plus ; c’est comme la violence du reste, on s’y habitue. Non moi je n’ai rien vu et surtout pas les choses venir. Je n’ai rien vu de l’Amour, ni de la Terre promise ni encore moins du Paradis et des rêves que l’on nous a vendus. La retraite méritée, le havre de paix et la félicité dont on nous vante à longueur de journée les mérites semblent une utopie bêtement perdue. À force d’y croire les choses finissent par disparaître d’elles-mêmes il semblerait. S’estomper pour de bon dans les limbes. Je suis comme un ange déchu à qui l’on aurait arraché les ailes et que l’on aurait placé entre les pattes d’un enfant sadique juste pour le plaisir de nous faire (et nous voir) souffrir. L’homme est un loup pour l’homme et surtout pour lui-même, je ne fais que répéter ce que d’autres ont pensé avant moi, je ne fais qu’avaliser cette idée, bien à ma place dans la toute puissante matrice. Quand on voit toutes les horreurs dont il est capable et dont il se rend coupable, toute cette cruauté qui bien souvent atteint des proportions inimaginables, comment penser autrement ? C’est à chaque fois une surenchère ! Cet homme soi-disant doué de parole et de raison, descendrait du singe en une version améliorée 5.0 et qui se dresserait fièrement et marcherait sur ses deux pattes postérieures, la tête droite ? C'est-à-dire sans rien avoir à se reprocher ? Laissez-moi rire ! Je n’ai du reste aucune confiance en l’être humain ni non plus en notre soi-disant humanité. Pour ne pas dire je suis dubitatif, je demande à voir. Prouvez-moi le contraire et alors vous prêcherez un (nouveau) converti ! Le ver est dans le fruit, il faudrait pour cela tout déshumaniser, dératiser, désinsectiser, tout brûler et tout noyer pour repartir de zéro... Ou sans doute une bonne troisième guerre mondiale pour éradiquer tout ça, un bon coup de pied dans la fourmilière ou alors une attaque de zombies sortie de nulle part (et qui du reste, vous verrez dans quelques temps, nous pend forcément au nez). Seulement Dieu avant nous a essayé et il n’en est rien ressorti. Pour ainsi dire, presque aussitôt après nous avoir créés (je veux dire Adam et Eve mais surtout leurs descendants), il a regretté : « mon Dieu (quoiqu’il doive user d’un autre qualificatif en parlant de lui) quelle erreur j’ai encore faite » s’est-il sans doute dit, ou quelque chose s’en approchant. Il fallait nous détruire une bonne fois pour toute, ne pas faire les choses qu’à moitié. Alors pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Pour tout dire, il n'en est pas à son premier galon d’essai. Les sept plaies d’Égypte, l’Atlantide, la tour de Babel, Babylone, le Déluge, l’Arche de Noé, les Cavaliers de l’Apocalypse, la peste, les deux guerres mondiales, l’Holocauste, Hiroshima et Nagasaki ; ça n’a rien changé. L’humanité s’est reconstruite sur des bases pourries et il ne peut sans doute en être autrement. Puisque le seul dénominateur commun c’est nous. Il faudrait pouvoir nous enlever de l’équation pour résoudre le problème. La solution est en nous. C’est une sorte de solution finale à toutes nos interrogations. L’humanité doit disparaître et ne jamais renaître, vous savez, un peu comme les dinosaures avant nous. De toute façon je n’ai jamais vu un être vivant aussi inadapté. Alors à quoi bon continuer ? C’est une attitude sadomasochiste que de vouloir le faire puisque vivre c’est souffrir, puisque respirer c’est douloureux ; d’ailleurs l’enfant nouveau-né pleure en respirant notre air pour la première fois et nous voilà pour de bon rassurés ! Bienvenue parmi nous mon enfant ! Dans notre monde où tout n’est que douleur, souffrance et surtout un immense regret : de ne pas pouvoir retourner dans le ventre de notre mère. Après je ne dis pas, peut-être qu’en grandissant on peut atteindre un certain stade d’autosatisfaction. Mais à quel prix ? Les expériences de la vie, c’est cela qui nous forge réellement. Les voyages, les claques dans la gueule que l’on se prend. Les désillusions, les séparations, les échecs scolaires ou sentimentaux… Les voyages forment la jeunesse dit-on bien souvent. Pour ma part je n’ai pas beaucoup voyagé mais j’ai pourtant l’impression d’avoir vécu mille vies et d’être lessivé par le tambour de la grande essoreuse, usé complètement jusqu’à la corde. Vidé de toute substance intrinsèque. Je ne transpire pas ma pensée, mes idées ; je les dégouline… Il faudrait pour me sécher m’étendre entièrement nu sur une corde à linge. Puisque toute vie ne tient qu’à un fil, et donc a fortiori à quelques épingles près… Il faut savoir s’y accrocher comme on s’accroche à une conviction, à une religion ou bien à un courant de pensée. Alors pour nous donner une raison supplémentaire de vivre on se crée notre propre religion, notre propre perception du réel. On se raccroche à Bouddha, à Jésus, à Mahomet etc. et aux gens qui ont souffert avant nous sur la croix. On se réfugie alors au choix dans le silence, la solitude, le travail, la famille ou bien la nature pour y trouver des explications rationnelles. Chacun d’entre nous pense par lui-même. Plus que tout au monde, moi je crois en la Lune et en ma bonne étoile placée là-haut dans le ciel et qui veille sur moi. J’ai une foi absolue en tout ça. Sinon pourquoi serais-je là ? Je ne vois pas d’autres explications à tout ce cirque, à cette grande comédie que l’on appelle la vie. Mes parents m’ont baptisé (bien que là encore ils ne m’aient pas laissé le choix ni demandé mon avis car j’étais bien trop petit pour décider de quoi que ce soit), je suis donc de fait catholique. J’ai suivi la catéchèse (en prenant ça et là quelques idées et passages intéressants dans la Bible ou bien en en empruntant à d’autres), je me suis penché un peu sur la question (sans pour autant avoir la prétention d’être un spécialiste), j’ai effectué ma première communion, je suis allé de temps à autres à la messe du dimanche matin bien que je n’y trouvais aucun plaisir, aucune joie. Après j’ai préféré laissé tomber. Je me dis que plus tard sans doute j’y retournerai. La religion, la Foi, ça doit être comme le bon vin, ou le whisky, on ne doit pouvoir l’apprécier qu’une fois plus grand, pour en percevoir le sens et toutes les subtilités. Avant ça le palais n’est pas encore formé, la barbe n’a pas encore poussé… De plus je n’avais vraiment pas envie de ressembler moi aussi à une grenouille de bénitier. Enfant de chœur à l’église ? Et puis quoi encore ? Ho grands dieux jamais je n’enfilerai une robe ! Je suis un homme (et donc de fait un humble pécheur) intègre et honnête ! Pourtant plus tard, j’ai rompu ma promesse, je me suis marié devant Dieu pour ses beaux yeux à elle, pour le meilleur et pour le pire (ceci dit en passant ils sont gentils de prévenir). J’aurais sans doute dû me douter de quelque chose à ce moment-là surtout que plusieurs fois Dieu m’avait envoyé des signes que je n’ai su lire que bien plus tard comme un AVC qui semblait vouloir dire : « cours pauvre fou ! Et surtout ne te retourne pas ! » Mes grands-parents étaient catholiques pratiquants. Ils allaient chaque week-end à la messe et se comportaient en bons chrétiens. Le jeûne, le Carême, Noël, les fêtes consacrées, tout y passait. Ça ne leur a pas empêché pourtant de passer de l’autre côté en faisant un long détour par la case souffrance aux allures de purgatoire plus que de prison (et sans toucher les 20 000 francs). J’ai d’ailleurs écrit et lu un joli poème à l’occasion… Pour l’enterrement de ma grand-mère surtout. Pour mon grand-père plusieurs années plus tard je n’y suis même pas allé, honte à moi. J’en avais sans doute assez de toute cette souffrance et de cet état transitoire qui caractérise tant l’être humain. Je crois qu’aujourd’hui elle me manque, je veux dire ma grand-mère et non pas cette foutue mort qui me l’a enlevée ; elle et ses souvenirs. Elle avait les cheveux comme les blés délavés. Couleur gris poivre. Je l’aimais bien ma grand-mère, elle me faisait rire et me sentir moi-même. Pour ainsi dire elle a fait les joies de mon enfance à quasiment elle seule. Maintenant cette époque est hélas révolue. Je n’ai plus que mes yeux pour pleurer, il faudrait le voir pour le croire, moi qui ai le cœur désormais insensible comme de la pierre (et du même nom que l’Apôtre bien évidemment). Je me surprends moi-même. Une sale maladie l’avait touchée, elle ne se rappelait plus qui nous étions, c’était dur quand nous allions la voir. Elle était comme un légume sur sa chaise, l’odeur de la mort et de l’hôpital avec des relents de matières fécales. Elle ne parlait plus beaucoup, et quand elle parlait c’était pour dire des choses sans queue ni tête qui s’étaient passées il y a bien longtemps. Bref nous étions auprès d’elle comme absents. La maladie d’Alzheimer fait perdre toute dignité… J’adorais lui rendre visite enfant (elle était tout pour moi, joie, sourire et bonheur), adolescent il en était tout autrement… C’était une corvée encore pire que d’aller à la messe, mais je me devais de le faire pour tout ce qu’elle avait été pour moi avant. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions existentielles sur la raison de notre présence ici. Sans pour autant y trouver de réponses. Je m’assombrissais jour après jour, nuit d’insomnie après nuit d’insomnie. Je me sentais tout petit et démuni, définitivement perdu dans un univers démesurément grand. Je me représentais tout petit allongé dans un lit aux draps blancs et dans une grande pièce absolument silencieuse et sombre qui devenait à vue d'œil de plus en plus grande. Avec le temps j’alimentais ce chaos qui vivait en moi. Au collège je dessinais des corbeaux, des pendus, mes dessins avaient perdu de leurs couleurs et de leur magie (mais la faute à qui ?). Je me demandais Diable ce qu’il pouvait y avoir après la mort. Ce grand mystère qu’est l’après, oui très sérieusement ça me tarabiscotait, pour ne pas dire ça me minait l’esprit. C’est sans doute de là que viennent mes cernes et ma calvitie. À force de trop y penser… Ne pas tomber dans l’oubli, surtout ne pas plonger dans la Nuit. La vie, la mort et après plus rien ? Définitivement ? La science et la religion bien souvent entraient en contradiction et me confortaient dans l’idée qu’après il n’y avait plus rien, que c’était bel et bien fini… Comment vouloir vivre après un tel constat ? Surtout lorsqu’on est encore qu’un enfant… Je décidais alors de ne plus grandir, à la façon d’un Peter Pan. De rester cet enfant heureux d’autrefois qui faisait la joie de mes parents. Ou bien de toujours garder cette part de lui en moi. Le monde des adultes et le monde réel pourtant ont brisé tous mes rêves. Je suis passé directement de la case enfant à la case adulte sans aucune transition. Le choc a été brutal. Le retour sur terre douloureux… Les ailes définitivement brisées, l'œil hagard et perdu. Mon adolescence justement, ou plutôt son absence, c’est ce qui a fait de moi une fois adulte un être mélancolique et désenchanté qui ne croit plus en rien. Pas même en lui-même… A quoi bon vivre cette vie si elle n’est parsemée que de décès et chagrin ? Je les ai tous vu partir un à un. Mes proches (ma tendre sœur Marguerite qui faisait office de professeur, mes grands-parents), mes amis (bien qu’avec le temps je n’en eus plus beaucoup), et même les voisins, bientôt viendra mon tour je le sais ; la petite aiguille trotte sur l’horloge du salon et le tic-tac du pendule troue le silence de la nuit. À chaque décès on arrête le balancement des horloges, c’est plus qu’une superstition ça doit vouloir dire quelque chose. Et puis on leur ferme les yeux, on leur glisse un bisou humide et chaud sur le front ridé qu’ils ont déjà glacé. C’est le baiser de la mort et rien que d’y penser ça me glace le sang. Moi qui pourtant n’ai plus rien de vraiment vivant à l’intérieur. Je hais les cabinets de médecins, les blouses blanches, les hôpitaux, les maisons de retraite, les décors aseptisés, les cimetières. Ils ont plongé ma joie et mes rêves six pieds sous terre en me laissant en tête-à-tête avec ma folie. Je refuse de m’y rendre à nouveau, à chaque fois ça ne coupe pas, c’est pour nous une mauvaise nouvelle. Un décès, une maladie qui nous laisse en sursis. Ils nous enlèvent toujours injustement ceux que l’on aime. La mort ce n’est pas juste, la vie quant à elle est terriblement injuste... Il faut s’endurcir, se préparer à voir les autres partir avant soi. J’aurais pourtant souhaité être le premier à tirer ma révérence pour n’avoir aucun chagrin en moi. Sentir aucune douleur profonde. Ne laisser couler aucune larme à mes yeux. Seulement c’est une pensée égoïste car ce chagrin on le reporte sur les autres. Aussi me dis-je que le chagrin c’est comme une maladie ou une sorte de flambeau qu’on se passe de main en main. Tout au plus on retarde l’échéance. Le cœur endurcit, je dirais même qu’arrivé à un moment on ne doit plus pouvoir supporter tout ça. qu’on ne doit plus pouvoir supporter aucune mort supplémentaire sinon la sienne. À vrai dire, la seule croyance et certitude que j’ai, c’est que je ne crois en rien. Mais ce n’est en aucun cas de l’athéisme, du pédantisme ou quoi que ce soit. C’est ma conception de la vie bien à moi. Ni politique ni religion ni appartenance à aucun pays, je suis un être magnifiquement libre et apatride, doué de réflexion et tourné sur lui-même. Pas Scientologiste ni d’aucune secte mais Nombriliste profond au sein-même de notre Alma Mater et de notre propre nature. En position fœtale comme avant, à regarder de l’intérieur le nombril du monde. Crédits : photographie d’Eugène Druet (1867-1916), Le Penseur de Rodin devant le Panthéon. Le Penseur de Rodin (1880) est une sculpture en bronze d’Auguste Rodin (1840-1917), 1,80 × 0,98 × 1,45 m, exposée au Musée Rodin à Paris

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