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Quelques idées de mots-clés :

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304 éléments trouvés

  • Formule Roland Barthes

    Une jeune fille était assise à une table, le nez dans son livre. La concentration, ou encore l’attention qu’elle portait à celui-ci rendait cette expression si idiomatique. Elle était calme, posée, malgré le monde autour d’elle qui grondait, allaiter et venait, ne s'arrêtait jamais. “ - Puis-je vous servir ? Le serveur demanda. - Oui, je veux bien un café, s’il vous plaît.” L'interaction avait duré quelques secondes, mais rien d’autre ne semblait vraiment pouvoir ébranler son esprit. Pour beaucoup, elle était seule à cette table, mais me concernant je pouvais voir beaucoup de choses. Je voyais ses yeux suivre les lignes à la lettre. Ses pensées qui s'imprégnaient de tous les mots possibles. Je croyais même qu’il y avait un peu de magie. Des fois, elle levait la tête, elle souriait, elle riait légèrement ou un air plus sérieux brisait la cadence. Tout devait se bousculer dans sa tête, je pouvais percevoir une bulle, comme un nuage au-dessus d’elle. Tout prenait forme, les paysages, les actions, les drames, c’était beau, vraiment ! Si je vous dis tout ça, c’est que je la regardais et moi aussi, je prenais part à cette magie. Je voyais du blanc, beaucoup de blanc. Non, pas parce qu’il n'y avait rien, pas parce qu’on ne comprenait rien, mais parce que justement tout était clair et limpide. Le plus difficile peut-être, c'était de réaliser, on cherche à prendre du recul pourtant ce monde imaginaire nous plaît. La preuve, voilà que des flocons commençaient à tomber autour de nous sur les tables du bar, pendant un instant on pourrait presque se croire dans Narnia. Tout était si blanc. Mais le retour au monde réel lors de la fermeture du livre était brutal. Nos regards se croisaient par moment, mais il n'y avait rien. Maintenant, elle se levait et partait. Les autres personnes autour fixaient la jeune fille avec exaspération, dédain ou comme moi, avec curiosité. Vous vous en doutez, j’aurais bien aimé savoir quel passage elle avait aimé, quel personnage elle avait préféré.

  • Sur le désir

    On dit qu’on désire ce que l’autre possède Et ce que l’on n’a pas soi-même Moi je dis que c’est on ne peut plus faux ! On désire en vérité ce que l’autre n’a pas Pour mieux se démarquer de l’autre Et le rendre d’autant plus jaloux ! Pour ma part je n’ai qu’un seul désir C’est de ne rien désirer du tout Entre jalousie et hypocrisie Comprenez entre chien et loup ! À vrai dire, moi je ne désire rien Ni la gloire, ni le succès Ou le moindre petit soupçon même de notoriété Ni non plus la femme du voisin Qui est pourtant belle à damner un saint ! Ni non plus entrer un beau jour Dans le saint des saints ! Ni l’argent facile Ni non plus l’argent mérité Ni la santé Puisqu’il est désormais trop tard pour espérer Quoique ce soit de ce côté-là... Ni non plus l’éternité ! Non, à bien y regarder La seule chose en cet instant précis Que je désire par-dessus tout C’est le désir en lui-même ! Desiderata pour la femme que l’on aime Mais qui bien entendu Ne nous le rendra pas vraiment D’autant plus qu’elle ne nous aime pas Ou plutôt qu’elle ne nous aime plus (Du reste, nous a-t-elle un jour réellement aimé ?) Et elle nous laisse là À moitié crevé dans un désert Et assoiffé À mi-chemin entre le désir et l’errance Autrement dit en pleine désirance Ou plutôt en pleine déliquescence Les amis La famille Les amours Rien n’est digne d’intérêt à mes yeux Et ne dure jamais dans le temps Alors à quoi bon désirer ? Ce poème-ci ? Oui peut-être… Qui sait ! Au fond je désirerais bien Que d’autres que moi le désirent Ça me ferait même du reste Vraisemblablement plaisir Ça flatterait mon ego comme on dit ! Mais en vérité je ne force rien Ni personne Je n’attends rien Je n’espère plus rien Ni non plus ne réclame quoi que ce soit Que je n’ai déjà Je ne désire absolument plus rien Rien en tout cas de plus Qui n’en vaille réellement la peine De se perdre en désirétude Non, moi ce que je voudrais Mettre en avant C’est l’absence de désir Dans ce monde-ci Et dans l’autre De notre jeunesse De notre humanité Le manque par-dessus tout D’envie, de Poésie, de volonté La posture idéale restant probablement Celle de l’attente Les bras croisés Devant un écran blanc Et un clavier devenu silencieux Alors attendons ! Le désir au fond viendra bien de lui-même Ou sans doute comme je vous l’ai expliqué plus haut L’absence de désir viendra Au plus profond de la Nuit Aussi sûrement Que les pompiers vont à l’incendie… XK (08.06.21) Champtocé/Loire (à l’usine, un matin de migraine)

  • Je déteste les musées...

    "Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) Je déteste les musées. Je m’y fais chier je capte rien. C’est ce que je me dis, quand je croise ces gens absorbés devant des toiles qui me laissent froid. Au mieux je pense ouais c’est bien fait, on dirait presque un fond d’écran. Mais en vrai, dessiner comme une imprimante, ok surement un talent au berceau ça aide, mais en forçant un peu tout le monde le fait. Moi par exemple, je suis un fan absolu de Glenn Gould. Un soir j’écoutais la partita six, et sur l’écran Gould fredonnait en cajolant les touches, arc-bouté et tendu à l’extrême, comme si le piano risquait d’exploser à la première fausse note. Ça me fascinait, et je sais pas pourquoi d’un coup j’ai eu envie de faire son portrait. Moi j’avais jamais dessiné, rien que des bites des nique les schmitts sur les murettes du chemin de l’école. J’ai fait une capture d’écran sur Youtube, j’y ai passé dix nuits, cramé deux gommes un HB et demi, mais à la fin y’a pas à chier c’était Glenn Gould. Je l’ai punaisé au-dessus de la télé. Pendant les pubs je coupe le son et je m’attarde sur lui, jusqu’à l’entendre me pianoter qu’il y a quelque chose au-dessus de ça. Et puis hier soir, cette fille est rentrée avec moi et en voyant le portrait de Glenn Gould elle m’a demandé si j’étais artiste. Moi j’ai senti que ça jouerait en ma faveur, alors je lui ai avoué que j’avais fait les Beaux-Arts. Et ce matin, pendant qu’on était au café devant C8, j’ai coupé le son et elle m’a expliqué tu sais moi l’art ça m’intéresse, mais les musées ça me fait peur, j’y connais rien je me sentirais conne. Ça m’a touché, et sans y avoir jamais foutu un pied je me suis entendu lui proposer cet aprem’ je t’emmène au Louvre. Elle avait l’air contente elle a répondu carrément, ça m’a chauffé sous l’estomac je crois qu’elle me plait cette Justine. J’étais aux anges elle en est un, on a dévoré un kebab au vol et piqué sur la pyramide. Et ça fait une demi-heure que je noie le poisson pour lui cacher mon inculture. On passe devant les toiles en laissant trainer le regard. Justine s’arrête devant l’une d’elles où d’autres gens sont attroupés. C’est une femme nue qui se retourne sur nous, photo-réaliste ouais d’accord, mais quoi ? Tu le connais ce peintre, Ingres, elle me demande. Je réponds oui il peignait surtout des violons. Quelqu’un ricane. Qu’est-ce qu’elle nous dit tu crois, poursuit-elle. J’esquive en lui renvoyant sa question. Elle me dit qu’elle est fatiguée, et résignée, explique Justine. C’est une prostituée. Elle se retourne sur le client qui vient d’entrer. Son cent-millième. Je regarde de plus près et c’est vrai que la femme s’adresse à moi. Comme Gould qui me raconte qu’une partition de Bach c’est du funambulisme. Moi elle m’inquiète, je dis comme ça sans y penser. C’est ce fond noir. C’est là qu’elle regardait, avant qu’on entre. C’est là qu’elle emmène ses clients. Justine n’est pas de cet avis, elle voit dans ce néant l’avenir sans issue de la femme allongée. On dirait qu’elle veut se couvrir, continue-t-elle, mais elle tire à peine le rideau, elle sait au fond que ça sert à rien. Elle s’avance pour lire le titre de l’œuvre, puis me demande ce qu’est une odalisque. Comme une colonne de pierre à angles droits, j’affirme. C’est pas un obélisque ça, genre comme à la Concorde ? Je vérifie sur mon smartphone et je constate qu’elle a raison. C’est pas écrit clairement mais une odalisque c’est bien un genre de prostituée, je dis, mais des Mille et une Nuits. Le turban qu’elle porte sur la tête valide les révélations de Wikipédia. Ça nous paraît moins évident pour les parures, le rideau ou la literie, qui choqueraient pas à la cour d’un roi de France. Mais nous remarquons la pipe à opium à droite, et ça au Moyen-Orient ils en fument. C’est drôle que t’aies pensé un obélisque, réalise-t-elle en souriant sans cesser de fixer le tableau. Je ne comprends pas mais j’aime tant son sourire que le mien s’étire d’une oreille à l’autre. C’est quoi cette balayette, j’interroge, en plumes de paon avec des yeux qui matent. Justine pense plutôt à un éventail. Tout se recoupe au Moyen-Orient il fait chaud. T’as vu sur le rideau aussi y’a des yeux qui regardent, elle ajoute. Des fleurs voyeuses, je renchéris. Elle considère le groupe que nous formons avec les autres visiteurs, agglutinés autour de La Grande Odalisque, et elle conclut c’est nous : c’est nous qui matons la femme nue. On a continué de déambuler des heures, à échanger comme ça à propos de tableaux qu’on comprenait pas bien, tout en sentant que certains évoquaient un au-dessus, quelque chose qui rejoignait Glenn Gould, ou Bach, via celui qui le sert. Le temps filait à toute allure, si vite qu’il m’a lâché en route et que j’en ai perdu la notion. Des heures en suspension avec Justine, dont le portrait s’épaississait à mesure que nous commentions les toiles, comme si parler peinture c’était toujours un peu parler de soi. Quand elle a dû partir pour retrouver un groupe d’amis, j’ai chuté et réintégré le temps. Elle m’a donné son numéro, mais si j’avais pas demandé je crois qu’elle serait partie sans se retourner. Depuis je suis dans un état étrange, cotonneux et flottant. J’ai rejeté toutes les propositions de sortie, je suis resté chez moi et je sirote du blanc sous le portrait de Gould, BFM en mode mute, les variations les partitas en boucle, essayant de cerner l’au-dessus dans la nuit noire de l’Odalisque. C’est vers onze heures que j’ai craqué, je lui ai écrit tu fais quoi plus tard ? Et maintenant j’arrive plus à écouter Glenn Gould, je scotche le téléphone suspendu à la vibration qui ne vient pas, comme un supplicié de la goutte d’eau attend la perle qui ne tombe jamais. Un peu brumeux je pars pisser. En plein milieu ma poche se manifeste. J’y plonge la main avec avidité, j’attrape le téléphone et le carrelage clapote. J’essaie de redresser, je m’emmêle les pinceaux l’objet m’échappe. Il rebondit deux fois dans le bol, puis coule. J’étais sur le point de chialer, quand l’interphone a retenti.

  • Compartiment N°6 : Voyage, voyage à travers la Russie

    Grand Prix au Festival de Cannes 2021 Adaptation du livre éponyme de Rosa Liksom, sorti en 2011 Laura (Seidi Haarla), étudiante finlandaise séjournant en Russie dans le cadre de ses études, décide de partir de Mourmansk à Moscou pour découvrir des pétroglyphes. Dans le train à destination de Moscou, elle va séjourner pendant quelques jours dans le compartiment numéro six avec Vadim (Yuriy Borisov), un russe alcoolique allant à Moscou pour travailler à la mine. Juho Kuosmanen réussit à faire un road-movie à travers une Russie très enneigée mais sublime et différente en fonction des villes. Une vision plus intimiste de la Russie qui tend au spectateur une invitation au voyage. Le grain de la pellicule 35mm adoucit ces paysages rendant la photographie plus douce et envoûtante. Le film est essentiellement constitué de plans séquences à la caméra épaule, ce qui rajoute de l’immersion. Le spectateur est amené à voyager dans ce train menant à Moscou, en présence de Laura et de Vadim. Plus d’une heure quarante montée de manière minimaliste rendant le voyage, un peu trop, contemplatif. Voyage voyage de Desireless ici prend un nouveau souffle et reste dans la tête du spectateur bien après la projection malgré le fait que l’absence de musique à certains moments se ressent. Derrière ce road-trip se trouve Laura et Vadim, deux personnages totalement opposés sur le papier mais qui au fur et à mesure de ce voyage vont se rapprocher et découvrir l’un l’autre. Compartiment N°6 reste dans la veine d’un Lost in Translation de Sofia Coppola, c’est-à-dire qu’il n’exagère pas sur la relation des deux personnages mais il laisse le voyage écrire leur histoire, la rendant contemplative mais belle ainsi que réaliste grâce à Seidi Haala et Yuriy Borisov qui crèvent l’écran de part leurs très bonnes performances. Film financé par quatre pays (Allemagne, Estonie, Finlande, Russie), Compartiment N°6 est l’exemple d’un film qui a rencontré des difficultés à trouver les financements nécessaires pour rendre ce film existant. Difficultés mais récompensés à travers le prix à Cannes suscitant une plus grande exposition médiatique et dans les salles de cinéma à travers le monde. Un prix qu’il ne démérite pas puisque Compartiment N°6 est une bonne surprise de l’année 2021. Il n’est pas parfait ou bien excellent, mais c’est le genre de film qu’il faudrait plus souvent avoir dans les salles parce qu’il apporte une bouffée d’air frais au cinéma, il fait découvrir un autre cinéma plus auteur et indépendant. En d’autres termes, un feel-good et road-movie comme on aimerait en avoir plus souvent.

  • Marthe

    Marthe, la fille Ondine, la mère 18 heures, Marthe entre dans le salon où elle découvre Ondine qui pleurait dans le noir, elle allume. ONDINE : Ah, c’est toi. Silence ONDINE : Ta journée s’est bien passée ? MARTHE : Oui (elle marque une pause) et toi ? Silence, Marthe va prendre quelque chose à manger dans le placard. ONDINE : Fais attention, tu manges trop. Marthe repose la barre de céréale, et prend finalement un verre d’eau dans le frigo. Elle commence à monter les marches vers sa chambre. ONDINE : Tu peux rester dans le salon, je partais. Marthe s’arrête et se tourne à nouveau vers sa mère. ONDINE : J’ai toujours l’impression de t’énerver, je ne sais même plus comment t’approcher. MARTHE : Ça va. ONDINE : Je vais me promener, je te ferai moins chier. Je suppose que tu ne viens pas ? MARTHE : J’arrive. (Part prendre un manteau) ONDINE : Pas la peine de te forcer. Se rassoit. ONDINE : Donc tu ne viens pas ? MARTHE : Ça te ferait plaisir que je t’accompagne ? ONDINE : Ne fais pas en fonction de moi. Silence Ondine part, Marthe respire. La mère revient les yeux rouges. MARTHE : Je ne sais pas comment t’aider. ONDINE : Je vais très bien, merci. MARTHE : Non. ONDINE : Ne t’en mêle pas, je sais très bien ce que tu penses de moi. Silence ONDINE : Tu t’en fous? Marthe se lève pour aller dans sa chambre. ONDINE : Y a rien qui t’intéresse à part tes écrans.

  • Pacte avec le diable

    “Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) Il n’existe nul autre livre plus obscur que celui que l’on pioche dans nos bibliothèques. À chaque ouvrage consulté, c’est une âme de plus enterrée, condamnée à vivre dans les limbes fantasmatiques de ces mots qu’on ne peut pas attraper. Ils nous effleurent, flottent sur la rivière de nos pensées. Nous nous faisons Charon sur des eaux parfois déchaînées. Ils nous captivent, nous emprisonnent, les mots, nous font parfois lever la tête vers les Cieux pour vouer le culte à un Dieu qu’on ne saurait identifier… auteur diabolique ou simple objet de papier ? Les mots. Les mots restent, nous construisent, nous font rêver ou nous détruisent. Ils disposent d’un pouvoir dont quelquefois nous ne saisissons pas la portée et l’importance de les manier. Ils nous marquent, saisissent notre esprit par leur beauté et leur sonorité. Ils sont les affreuses sirènes qui nous attirent vers les récifs dangereux d’une imagination qu’on ne saurait pas contrôler, ivresse de la langue dont on voudrait tout savoir et pouvoir dompter. L’apprendre sous toutes ses formes, pouvoir la réutiliser, la manipuler. Le pouvoir de l’objet livre n’est pas à sous-estimer. Ses lignes sont les incantations qui torturent notre imagination ; purgatoire incessant où chaque âme livresque est amenée sans le vouloir à revivre une image ou un souvenir égaré. Cohérence mimétique avec notre réalité ou notre passé, concrétisation imageante suscitée par la réquisition des sens, la vue, l’ouïe, le goût jusqu’au toucher. Activité fantasmatique qui nous éprend d’une démence qui ne s’assouvira qu’une fois le récit terminé… jusqu’au prochain qui nous rendra à nouveau esclave des démons possesseurs littérature et écriture. Divines entités qui ne reprennent vie qu’à chaque nouveau bouquin commencé mais qui persistent alors même que le livre repose sur une table, un fauteuil ou dans un sac refermé. L’histoire est là, elle ne cesse de continuer à vous hanter. Les mots submergent mais nous poussent à les dévorer. La lecture est un cercle vicieux dans lequel il ne vaudrait mieux pas se lancer. Lire, c’est laisser tous ces mondes nous emprisonner. C’est en quelque sorte vendre son âme au diable sans avoir la certitude de pouvoir un jour marchander pour la récupérer. C’est trop tard.

  • Le Soufi, écouter celui qui ne dit pas

    Marc Graciano offre à la littérature contemporaine un renouveau stylistique impressionnant. Son dernier livre, Le Soufi publié au Cadran ligné, est une simple merveille de prose. « Et le gyrovague dit qu’à son éveil, il y avait un homme accroupi à quelques pas devant lui, comme qui dirait assis sur les talons, et le gyrovague dit que c’était un très petit homme, presque nain, quoiqu’assez harmonieux de corps, avec un visage plat et un nez camus quasi inexistant, comme celui d’un félin, et le gyrovague dit… » Ainsi s’ouvre le dernier ouvrage de Marc Graciano, Le Soufi, voyage initiatique de deux personnages, un soufi et un moine errant, le « gyrovague ». Essentiellement connu pour Embrasse l’ours et porte-le dans la montagne (2017), Marc Graciano est un auteur français, mais aussi éducateur psychiatrique pour adolescents —comme il le dit lui-même, « je m’occupe d’adolescents qui ont mal à leur vie »— un soin qu’il apporte aussi à ses lecteurs, au travers des gestes du Soufi ; car si l’observation semble être le moteur du livre, il s’agit d’un livre de deuil, avec des gestes silencieux qui soignent et sauvent. Située dans un désert atemporel, la rencontre entre descriptions sans ornements et poésie des mouvements paraît aussi irréelle qu’un rêve, une fois le livre terminé ; l’impression de saisir deux vies pour quelques jours, la méconnaissance de ces personnages… trouvent sens lorsque l’auteur explique que Le soufi n’est pas une œuvre finie, mais plutôt un fragment du « Grand Poème ». Difficile, à cette annonce, d’attendre la sortie de cette œuvre majeure. Ce qui fait la particularité de Marc Graciano est sans nul doute son écriture. À la recherche d’un renouveau du langage, il s’essaie ici à rédiger un livre en une seule phrase. Cette absence de séparation tire sa force de sa faiblesse : si la lecture ne peut être interrompue sans en perdre le fil, elle apporte fluidité et presque transe tant la vitesse de lecture n’est plus limitée par la syntaxe. Le nouveau rythme qu’il donne à son récit, est celui de la diction, à la façon d’une création divine : « le gyrovague dit ». L’autre dépaysement à la lecture est de ne savoir des personnages que ce que l’on voit : récit par une troisième personne qui ne se révèle pas, le lecteur n’a accès qu’aux paroles du gyrovague pour comprendre les gestes sans parole du « petit homme » ; en aucun cas ils ne sont nommés autrement qu’ainsi. Sans prénom donc, mais aussi sans pronom de rappel, à la façon d’un livre enfantin, démenti par l’emploi de mots oubliés, « rièble », « bluette » ou « diaphane », utilisés pour leur sens et pas pour leur son, comme le ferait Alain Damasio dans la même quête d’un nouveau langage. L’histoire est vidée de mots, touchante et simple, à l’image de ses personnages, et si une narration traditionnelle aurait pu nous arracher des larmes en de pareilles circonstances, cette écriture nous place dans une perspective plus détachée. La lucidité qu’elle fait naître n’est que le pendant de cette transe que requiert la lecture, les yeux qu’il nous ouvre sont semblables à ce regard : « et le gyrovague dit que les yeux du petit homme le fixèrent, et que c’était un regard pur en même temps qu’éthéré, comme vague en même temps que pénétrant, un regard extatique, dit le gyrovague ». Une œuvre puissante et hypnotique.

  • Ingres - La Grande Odalisque

    "Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa) - Vous la trouvez belle ? - Bonjour Monsieur ! - Bonsoir bientôt ! - Oui et non. D’abord, ce n’est pas par hasard que vous me voyez figé devant ce portrait, alors qu’il y en a suffisamment dans le genre : c’est que j’ai un problème avec la longueur du dos. Ça ne saute pas aux yeux, à première vue ça ne s’aperçoit même pas. On se concentre plus sur le visage, ou l’ensemble du corps, ou le rideau, ou même peut être les détails sexuels… mais cette colonne vertébrale est trop allongée à mon avis. En même temps, je ne suis ni expert en anatomie, ni artiste professionnel ayant fait des études d’art , donc je ne saurais pas dire comment les grecs anciens auront calculé les proportions du tronc humain, mais il me paraît qu’il y a une tête de plus en longueur. Non, mais je vais vous en dire autre chose. Voyez-vous son bras droit ? Où est ce coude ? C’est trop bas. N’est-ce pas c’est trop bas aussi ? Et l’allure de ce bras ? On dirait un membre de Bob l’éponge. Vous y sentez ou pouvez supposer l’existence d’un os ? … Qu’y a-t-il d’autre … Son pied droit également. Sur ce point j’aurais du mal à dire mon souci mais ça y est, certainement. Quelque chose ne va pas dans les détails. Bon, avant qu’on me dise que je suis trop axé sur ce qui est mauvais, passons à ce qui me plaît. – Vous plaît-elle dans son ensemble ou non ? Du moins, aimez-vous ce tableau ou vous ne venez là que pour les décortiquer jusqu’au dégoût ? – Mais patience, mon cher monsieur ! M’avez-vous posé une question ou non ? … Alors, il faudrait aussi savoir en attendre la réponse. Je ne pense pas que vous allez partir avant moi, et j’ai encore, précisément une minute et trente-six… cinq secondes. Bon, je reprends. Alors que je trouve à ce tableau un bon nombre de reproches à faire de mon côté, je suis parfaitement content de la carnation de cette femme. La teinte, les ombres, la texture, tout y est. J’y sens un parfum rien que par l’aspect. Et… voyez-vous, c’est ma faiblesse, les odeurs et les parfums. Et sur ce, je réponds à votre question : oui, ce tableau m’est cher. J’aime beaucoup le regarder. – Et sur ce, mon cher monsieur, je vais devoir vous dire au revoir, vous avez précisément une minute et six secondes pour quitter les lieux.

  • Lecture vagabonde

    Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa) « Mais dis-moi, ta fille… là… elle est punie ? » Il avait suffi d’un soupir de la petite tête blonde, d’un hochement presque imperceptible, si ce n’était que le petit palmier que formait une partie de ses cheveux attachés ne trahissaient, pour que l’invité de La Mère ne pose cette question. Il avait aussi suffi qu’un épais dictionnaire et une tripoté d'encyclopédies, plus ou moins vieilles pour la plupart, ne soient ouvertes à ses côtés et sur la petite table basse du salon. La petite était à moitié assise sur un coussin de sol vert, une veste presque de la même couleur sur les épaules. Sur un mouvement plus décisif du palmier d’or maintenu en place par un petit chouchou rouge, les bras s’agitèrent à leur tour, attrapant des crayons d’un côté, et une feuille de l’autre. On entendit plus que les grattements des couleurs glissant et recouvrant la blancheur d’une ancienne feuille de compte, qui servait maintenant de brouillon. Et puis, de nouveau, le cinéma. Les crayons et la feuille de côté, le petit palmier au garde à vous, penché selon le bon vouloir de la petite tête, toute sage. - Oh non non, s’empressa de dire La Mère, tournant le dos au tableau qui se dressait ainsi, et servant un café à L’Invitée. Elle lit. - Elle lit ? Dans cette position ? En bougeant autant ? - Oui oui. Elle n’arrêtait pas de nous demander la signification de certains mots, alors on lui a donné un dictionnaire. Elle se débrouille maintenant, dit La Mère pour clôturer cette conversation qui ne l’intéressait guère. L’Invitée n’insista pas, hochant doucement la tête, observant simplement le petit manège, sa tasse dans une main, son café rejoignant quelques fois ses lèvres. Et la petite fille, qui avait eu du mal à apprendre à lire en CP, était maintenant en 6e et servait de petit cobaye pour une de ses tantes qui lui donnait des lectures de 3e. Et elle lisait, lisait, lisait, lisait, tout ce qui lui tombait sous la main. Et quand elle ne savait pas, quand un nouveau mot faisait son apparition, elle cherchait dans les outils qu’on lui avait mis à disposition. Quelques fois, assez souvent à vrai dire, elle n’avait pas très envie de s’enquiquiner à chercher. Alors, elle continuait sa lecture, et soit elle comprenait par celle-ci, soit elle demandait, prétextant que le dictionnaire était rangé, et quelques fois les parents lui répondaient sans que cela soit le mot ‘‘dictionnaire’’ qui franchisse leurs lèvres. Il lui arrivait de rêver, à un passage particulier, de la suite, de ce qu’elle aurait fait, elle, dans cette situation. Il lui arrivait de remettre en doute la parole des personnages et l’écrit de l’auteur, de revenir à un chapitre antérieur pour vérifier, d’aller voir à la fin si un de ses personnages allaient survivre ou non. Il lui arrivait d’imaginer des choses plus complexes et de se poser des questions techniques. « Combien pèse un dragon ? Si les ailes des chauves-souris et des oiseaux sont proportionnelles à leur taille de corps, combien pour un dragon ? Et combien pour une vouivre ? Et si on installe une selle sur le dos d’un dragon, comment on le sangle ? Et les écailles ? Sont-elles coupées ? Comment un dragon peut-il cracher ou souffler du feu ? » En grandissant, toujours par ses lectures, ses pensées menaient la danse. Posant toujours plus de questions techniques, posant des calculs mathématiques ou astrophysiques digne d’un scientifique, et ainsi, elle s’interrompait dans sa lecture, cherchant sur internet, se perdant dans cet amas d’information, voulant à tout prix une réponse à ses questions en suspens. Y passant des heures, oubliant momentanément ce qu’elle lisait, pour se concentrer en biais à une autre lecture. « Notre corps se décompose-t-il dans le vide de l’espace ? Si oui, comment ? Puisqu’il n’y a que nos bactéries propres et pas les bactéries et insectes qui peuvent se développer en temps normal dans un cadavre en pleine nature. Que se passerait-il si on enterrait quelqu’un sur la lune ? »

  • Égoïsme immédiat

    Rédiger un monologue d’une page où le personnage tente de convaincre quelqu'un qui ne lui répond que très brièvement et à la toute fin. (consigne de Paul Francesconi) HAILEY, 20 ans. LORENA, amie d’Hailey, 23 ans. Hailey et Lorena marchent dans une rue. Un peu plus loin, une fille connue sur les réseaux sociaux refuse une photo avec ses fans. LORENA : Pff. Ce que cette fille peut être égoïste. HAILEY : L’égoïsme est un concept absurde. C’est une source de grand conflit car c’est un paradoxe : du point de vue d’autrui, l’égoïste ne pense pas aux soucis des autres. Pourtant, tout le monde a ses malheurs... C’est pour ça que les autres ne penseront pas non plus aux tourments de l’égoïste. Tu vois, on l’est tous, en fait ! Ce n’est pas une faute. Ce qui l’est, ce sont plutôt ceux qui affirment des choses sans savoir de quoi ils parlent. Quand on dit qu’un tel est égoïste, est-ce qu’on sait ce qu’il vit ? Est-ce qu’on connaît ses souffrances passées ? Pour moi, tout est explicable ; si on ne peut pas démontrer quelque chose, c’est qu’on n’a pas tous les renseignements nécessaires pour le faire. Aujourd’hui, on vit dans une société qui condamne dans l’immédiat. Qui fait confiance à celui qui apporte la première preuve qu’il trouve. Qui bafoue la vérité. Et la personne concernée, dans tout ça ? Quelqu’un lui a demandé si elle avait envie de discuter ? À des inconnus, en plus ? Non. J’en ai marre de vivre dans un système pareil ! Je rêve d’un monde où tous comprendraient la notion de respect... LORENA : Alors ce serait égoïste de dire qu’on est les seules à y croire ?

  • Galets

    Métagramme. Écrire une page (au maximum un feuillet A4) en usant du procédé décrit par Raymond Roussel dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. Rédiger un texte incluant deux phrases identiques à l’exception d'un paronyme qui en change le sens. Puis "les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde." (consigne de Jean-Michel Devésa) Recroquevillé près du galet qu’il vient de tailler, il observe le plateau inexploré. La terre aride à perte de vue inconnue, le laissant s’imaginer le nouveau monde, un ciel de possibilités et un océan de perles de vie, de bulles-univers. Plus que le rêver, il veut l’explorer, le monde. À travers ses yeux, à travers ses mains, ses pieds, chaque cellule de son corps cherche l’appel de la forêt. Le jeune garçon lit, ça oui. Depuis tout petit. Des contes, des encyclopédies, des récits de voyages, des rapports, des carnets de bord, des romans de remords. C’est un nom que son plus proche ami, John, donne aux écrits d’univers inaccessibles, de vies irréalisées et irréalisables. John, il en sait des choses sur la Terre ! Ça fait plusieurs décennies qu’il sert sa famille, alors forcément, il connaît tout. Et John, il l’a toujours dit. Ces livres, ce sont des foutaises. Ils racontent des fantaisies, des mondes fantastiques, recherchent des fantômes, c’est du vent. Il l’a souvent dit, que rien de tout ça ne dirait jamais la vérité, qu’ils remplissaient les enfants de rêves irréalisables, pour quelques sombres desseins. John n’en parle jamais de ça. De ces sombres desseins. Il en regarde, des lettres, il en porte toujours une sur lui. Avec un galet gravé. Deux petites lettres, qu’il garde précieusement tout près de son vieux petit cœur. Tous ces écrits seraient faux ? Ces nouvelles terres de l’ouest, plus grandes que la vie seraient le fruit d’un remord inoubliable ? Une sublimation égoïste par l’abus de la plume à travers un papier qui n’avait rien demandé ? Le jeune garçon se lève, prend son galet et se dirige vers le palais. À plonger toujours plus loin dans la mer d’encre, il finirait par démêler les fantaisies des vrais récits. À la vue du petit prince, les valets ouvrent grand la porte et l’accompagnent jusqu’à son but. Dix mètres tout droit, cinq à droite, traverser le corridor et deuxième porte à gauche, voilà la bibliothèque. Les étagères à échelles lui ont toujours donné le vertige. Comment lire en une vie ce que les dynasties ont écrit dans plusieurs pays en mille et une nuits ? Mais il lui en a fallu moins d’une pour explorer les Indes, les nouveaux territoires de l’Ouest, les grandes terres d’Afrique et les îles d’Océanie. C’est dans la bibliothèque qu’il a trouvé le livre d’un explorateur, une dédicace accompagnée d’un galet taillé: «À mon père John, qui voit dans le départ de son fils l’échec d’un père. A toi papa, sans qui mon existence n’aurait pas ce goût de destinée. Merci » Il remet en place la pierre, sur laquelle il grave son propre nom. « Monsieur … ?... Vous voilà. Votre repas » John se tient là, tout droit comme la justesse, plateau d’argent en main et assiettes de légumes accompagnés de pièce de bœuf. Il pose le repas à côté du livre et s’imprègne subitement des mots que son jeune maître a découvert. La parole de l’enfant se délie pour la première fois. Angoisses, colères, peines, trahison, incompréhension, remords et espoirs y sont tous passés, tant que le vieil homme ne répondra plus jamais. Ils sont restés là, plusieurs jours. Le petit prince n’écouterait plus jamais les paroles de cet homme. Recroquevillé près du valet qu’il venait de tailler, il observait le plateau inexploré.

  • L’étoile du loup (1/3)

    Qui pouvait donc prétendre que la vie au sein d’un gang ne présentait aucun avantage ? Si quelqu’un osait me le dire un jour en face, je ne crois pas que je retiendrais mon poing de lui voler dans la figure. Personnellement, si je n’étais pas entrée dans le gang des Deux Roses, je n’aurais jamais pu m’imaginer vivre l’histoire d’amour la plus intense de ma vie avec l’homme de mes rêves. Mais des fois, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger. Comment était-ce possible ? Comment moi, une banale fille anglaise de la classe moyenne, a-t-elle finalement fait pour atterrir dans le milieu mafieux anglais ? C’est vrai quoi, je n’étais pas du tout prédestinée à faire partie d’un gang… À tuer des hommes… À risquer ma peau pour certaines missions délicates… Mais il vaudrait mieux tout reprendre depuis le début, non ? Après tout, il faut bien que j’explique comment j’en suis arrivée là… oOoOoOoOoOoOoOoOo Alors, je m’appelle Nova, j’ai actuellement 23 ans et je suis membre d’un des gangs les plus puissants d’Angleterre : le gang des Deux Roses. Pour comprendre comment j’en suis arrivée là, il faut d’abord revenir un peu en arrière… Tout a commencé quand j’avais 18 ans : l’année où mon père m’a jeté hors de la maison… Un souvenir pas très brillant, ni très agréable quand j’y repense. Tout ça parce que j’avais décidé d’arrêter l’école sans lui en avoir demandé la permission… Non mais franchement, est-ce que c’était de ma faute si le milieu scolaire n’était tout simplement pas fait pour moi ? Quoiqu’il en soit, papa n’a pas du tout apprécié ma décision… et m’a expulsé de la maison, en me criant que je n’étais plus sa fille et qu’il ne voulait plus jamais me revoir. Bah, peu importe ! De toute façon, lui et moi, on n’a jamais été très proches. Et comme ma mère était morte d’une maladie quand j’avais 10 ans, ce n’était certainement pas elle qui aurait pu me soutenir dans cette épreuve. Heureusement pour moi, j’exerçais un petit boulot de serveuse depuis que j’avais 16 ans ; de cette façon, j’avais mis pas mal d’argent de côté juste pour moi. Grâce à cet argent, j’ai pu louer un studio et j’ai continué à travailler comme serveuse dans mon petit café. C’est comme ça que je l’ai rencontré. Non, pas mon grand amour, pas encore ! Il était encore trop tôt pour ça. Là, je parle de Jared, mon premier petit-ami officiel. Il venait prendre son petit-déjeuner tous les matins, là où je travaillais ; et j’avais comme l’impression qu’il flirtait avec moi dès que j’étais celle qui venait lui prendre sa commande. Peu à peu, on s’est rapprochés… et il m’a finalement invité à un rencard ! Mon premier vrai rendez-vous romantique. De fil en aiguille, on en est finalement venus à former un couple. À tel point que je suis venue habiter chez lui après trois mois de relation, vendant même mon petit studio. C’était dire à quel point j’étais sûre d’avoir rencontré mon âme-soeur, à l’époque ! Et cette situation a duré environ 1 an ; une époque remarquablement douillette et insouciante, lorsque je m’en rappelle. Cependant, des malaises ont peu à peu commencé à apparaître en moi, brisant mes illusions. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais comme l’impression que Jared me cachait alors un secret plutôt inavouable… Surtout basé sur le fait qu’il ne m’a jamais dit dans quoi il travaillait exactement. Naïve comme je l’étais, je me suis rapidement persuadée qu’il devait me tromper. J’ai donc commencé à l’espionner durant mon temps libre… Pas cool, je sais, mais il fallait que je sache la vérité. Et ce que j’ai découvert m’a littéralement glacée d’effroi. Jared m’avait menti en me cachant deux choses fondamentales sur sa vie : La première, c’était qu’il faisait partie d’un gang : le gang du Lion Rouge. Vous savez, ce genre de clan mafieux qui ne songe qu’à s’en prendre à plus faible que soi tout en se faisant le plus d’argent possible, rien que sur le dos des autres ! Et la deuxième chose, c’était que Jared exerçait dans son gang en tant que proxénète… C’était surtout cette découverte-là qui m’avait anéantie : comment avais-je pu tomber sur un homme aussi mauvais et dangereux ?! Ah, il m’avait bien caché son jeu, l’imbécile ! Quoiqu’il en soit, j’ai refusé de rester vivre chez lui une minute de plus ; profitant d’une de ses absences habituelles, tard dans la nuit, j’ai rassemblée toutes mes affaires et je suis partie. Rapidement, j’ai trouvé un autre studio à louer, loin du quartier où je vivais avec Jared. J’ai également déniché un autre poste de serveuse dans une petite brasserie locale, loin du café où j’avais rencontré mon désormais ex. Bref, il semblait que ma vie était revenue à peu près à la normale. Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai eu tort… oOoOoOoOoOoOoOoOo Un an après ma fuite, alors que je venais à peine de fêter mes 20 ans, je suis rentrée chez moi, un soir, pour découvrir un invité indésirable dans mon salon. Jared. Il avait fini par retrouver ma trace, même si j’étais restée très discrète sur mon déménagement secret. Sur le coup, j’ai d’abord voulu m’enfuir ; hélas pour moi, Jared a été plus rapide et a réussi à me traîner par les cheveux jusqu’à ma chambre, alors que je me débattais en criant. Là, il a commencé à m’insulter. Beaucoup. Énormément. Apparemment, il n’avait pas du tout digéré le fait que je me sois fait la belle en douce, juste derrière son dos. Et c’est pour ça qu’il avait tout mis en œuvre pour me retrouver : il voulait se venger de l’humiliation qu’il avait subie avec mon départ secret… Il y avait ça et autre chose : il voulait aussi que je devienne l’une de ses “filles”… En clair, il voulait que je devienne prostituée pour le compte du gang du Lion Rouge ! Bien entendu, lorsqu’il m’a annoncé la nouvelle, j’ai d’abord refusé de me soumettre aussi facilement à lui. Moi, belle-de-nuit ? Même pas en rêve ! Mais évidemment, je n’étais pas du tout en position de force face à Jared… et c’est comme ça que j’ai fini par passer l’une des nuits les plus cauchemardesques de toute ma vie. Comment la décrire avec davantage de mots… ? Techniquement, je ne pouvais pas dire que Jared m’avait… violée, puisqu’il n’y a jamais eu de pénétration orale ou sexuelle, étant donné qu’il avait gardé ses vêtements sur lui. Mais il n’empêche… Quand je repense à tout ce qu’il m’a fait, je trouve que c’était déjà une forme de viol de mon corps et de mon intimité. Sa peau… Son odeur… Sa bosse au niveau de son bas-ventre… Tout était partout sur moi alors qu’il se tenait au-dessus de mon corps, m’oppressant de toute part. En fait, Jared a tout simplement passé la nuit à “m’instruire” sur la façon de plaire aux hommes au lit… Des heures de pure horreur ! Honnêtement, je ne sais pas comment j’ai fini pour m’en remettre sans être à jamais dégoûtée du sexe ! Ma résilience intérieure sans doute… À l’époque, je n’en connaissais pas toute l’étendue. Quoi qu’il en soit, après que Jared m’a jugée suffisamment… “dressée” pour le métier, il m’a envoyée un soir chercher mes premiers clients. En bref, je me suis retrouvée sur le trottoir… comme une fille de mauvaise vie. Et alors que je pleurais intérieurement sur ce qu’allait être mon premier rapport sexuel avec un parfait inconnu, je l’ai rencontré. Oui, cette fois, je parle de mon grand amour, Clive Parker : c’est bien dans le moment le plus désespéré de mon existence qu’il a eu le bon réflexe d’apparaître dans ma vie. Je me rappelle encore de sa belle voiture noire avec ses chromes étincelants… et je me rappelle surtout du regard qu’il m’avait lancé depuis son siège. Un savant dosage de séduction et d’intérêt sincère. Quelque chose qui avait fait papillonner mon ventre d’une façon si douce… Et je me suis dit que comme premier client, il pourrait parfaitement faire l’affaire. C’est comme ça que j’ai trouvé le courage d’aller lui parler pour lui proposer… mes services. Pfff, je devais avoir l’air tellement racoleuse à ce moment-là ! Et vu les vêtements “call-girl” que je portais, ça ne devait rien arranger… Cependant, Clive ne m’a fait aucun commentaire désobligeant ; au contraire, il s’est conduit comme un gentleman, me faisant monter dans sa voiture pour nous ramener chez moi. Et une fois arrivés dans mon studio, alors que je commençais à paniquer sur la suite des évènements, Clive m’a soudain demandé pourquoi je faisais semblant d’être prostituée. J’ai été si stupéfaite que je suis d’abord restée sans voix ; apparemment, je n’étais pas si crédible que ça, dans mon rôle de belle-de-nuit… Il m’a alors expliqué que dès qu’il m’a vu, il avait tout de suite compris que j’étais différente des autres filles de rues qu’il avait l’habitude de croiser. Je ne sais pas… Peut-être que j’étais trop délicate ? Ou pas assez sexy ? Je n’en sais rien… Et puis lorsqu’il m’a reposé sa question, la seule chose que j’ai réussi à faire fut de fondre en larmes et de me blottir contre lui. Il avait beau être un parfait inconnu pour moi, je me sentais mille fois plus en sécurité dans ses bras que je ne l’avais jamais été avec Jared. J’étais si en confiance en le sentant me serrer contre lui et me caresser doucement les cheveux que je lui ai tout avoué. De ma rencontre avec Jared, en passant par ma découverte sur son métier de proxénète, jusqu’à ma fuite et le retour de mon ex petit-ami dans ma vie… Un ex prêt à tout pour me transformer en l’une de ses “filles”. À la fin de ma confession, j’ai relevé les yeux vers Clive et me suis rendu compte que son visage avait changé : il abordait un air tellement sombre ! C’en était presque effrayant. Et avant que je lui demande ce qui n’allait pas, il m’a posé la question suivante : “Tu voudrais que je te débarrasse de lui ? Définitivement ?” Ces mots ont résonné avec la force de cloches de cathédrale dans ma tête. Définitivement ? Était-il… prêt à tuer pour moi ? Pour être honnête, je n’ai pas beaucoup réfléchi à la conséquence finale de ses mots, concernant la vie de mon ex. À ce moment-là, j’étais si désespérée qu’il sorte enfin de ma vie que j’ai acquiescé en silence, donnant mon accord. Ainsi, après avoir appelé Jared pour qu’il vienne chez moi et qu’il a débarqué dans mon studio, Clive s’est empressé de passer à l’action. Après avoir laissé mon ex me parler quelques instants, le temps de détourner son attention vers moi, il s’est avancé silencieusement derrière lui avant de lever son bras vers sa tête. Et là, le coup de feu est parti avec une violence inouïe. En un instant, il y a eu du sang partout : au sol, sur les murs, au plafond, sur Clive… et même un peu sur moi. Jared, lui, s’est d’abord figé après la détonation avant de s’écrouler au sol, raide mort, du sang rouge, chaud et collant lui coulant derrière le crâne. Je suis d’abord restée figée sur mon lit, ne parvenant pas à croire ce qui venait de se passer. La fin de mon cauchemar et mon premier meurtre… par procuration, disons-le. Puis, Clive s’est avancé vers moi, enjambant le corps de Jared, sa main droite serrant encore son pistolet qui exhalait l’odeur de la poudre. Il m’a tendu sa main libre et sans hésiter, je l’ai saisie. Il m’a alors entraînée rapidement dehors, à l’aube revenant, m’emportant avec lui dans une vie toute neuve, une vie que je n’aurais jamais imaginé vivre un jour… oOoOoOoOoOoOoOoOo Il m’a fallu pas mal de temps avant de pouvoir retrouver un semblant de normalité après la mort de Jared. Néanmoins, certaines choses avaient changé dans ma vie depuis ma rencontre avec Clive. D’abord, j’avais dû déménager une nouvelle fois après que mon studio est devenu une scène de crime, suite à la découverte du corps de mon ex dans ma chambre. Évidemment, il a fallu que la police vienne se mêler à cette histoire ! Heureusement pour moi, ils ne m’ont jamais vraiment soupçonnée d’avoir été à l’origine de la mort de mon ex petit-ami… La preuve : ils ne m’ont interrogée qu’une seule fois et ne sont pas allés plus loin. Bien sûr, il a fallu que je mente un peu en prétendant que j’étais à la campagne, et non en ville lorsque Jared a été assassiné… Quoi qu’il en soit, j’ai été rapidement mise hors de cause et je suis donc partie m’installer… au Quartier Général du gang des Deux Roses. Eh oui, j’ai rapidement découvert que l’homme qui m’avait tiré de ma situation désespérée faisait lui aussi partie d’un gang. Mieux encore : il en était le chef ; voilà pourquoi Clive avait une arme à feu sur lui, lorsqu’il a tué Jared de sa main… Au début, je dois avouer que cette découverte m’avait d’abord fait paniquer : j’avais déjà quitté un gangster, et voilà que j’en tombais sur un autre ! Cependant, Clive m’a rapidement rassuré en me faisant comprendre que le gang des Deux Roses n’était pas un gang… comme les autres. Bon, il est vrai que les membres du clan exerçaient des activités illégales réprimandées par la loi… mais il y avait également chez eux un code moral très particulier. Traquer uniquement les corrompus et autres pervers de la société… Ne jamais s’en prendre aux femmes et aux enfants… Combattre l’injustice partout où elle se cachait… En entendant ça, je me suis sentie à la fois admirative et sceptique : c’était un bien joli programme, mais… qu’est-ce qui me disait que cela était vrai ? Et puis après, je me suis souvenue de la façon dont Clive avait volé à mon secours contre Jared… Comment il m’avait défendue moi, une simple fille des rues à l’avenir incertain… C’est ce constat qui m’a finalement poussée à prendre la décision suivante : devenir moi aussi membre du gang des Deux Roses et m’impliquer dans leurs activités. En d’autres termes, j’ai décidé de devenir une mafieuse… Mais bon, en y repensant, je continue de croire que j’ai fait le meilleur choix possible pour ma vie, pour deux raisons : 1- Je bénéficiais de la protection du gang de Clive contre leur principal rival, le gang du Lion Rouge… qui aurait pu décider de m’attaquer, en représailles de la mort de Jared. 2- En intégrant le gang des Deux Roses, je restai aussi auprès de Clive, nourrissant ainsi le lien puissant qui s’était formé entre nous, la nuit de notre première rencontre… Bref, c’est de cette façon que j’ai donc rejoint le monde de la mafia, alors que je n’étais pas du tout destinée à en faire partie… Tout ça par la force d’une rencontre heureuse. oOoOoOoOoOoOoOoOo Peu après mon intégration au sein du gang des Deux Roses, l’entraînement a finalement commencé pour moi. Pratique des sports de combat… Maniement d’armes en tout genre… Découverte d’Internet et du monde informatique… Hey, c’était tout juste le début de l’ère des ordinateurs familiaux et de travail ! Il fallait donc bien que j’apprenne à m’en servir… Surtout dans le cadre de mon nouveau travail : je suis devenue la secrétaire de Clive au sein de son entreprise journalistique. Et pas n’importe quelle entreprise, s’il vous plaît : Clive était le rédacteur en chef de The Moon, un célèbre quotidien anglais rivalisant avec le tabloïd The Sun. C’est d’ailleurs un peu pour ça, m’a-t-il expliqué une fois, qu’il a nommé son journal ainsi lorsqu’il a démarré son entreprise, il y a trois ans… La lune pour rivaliser avec le soleil. La lune qui pourrait d’ailleurs être le symbole personnel de Clive, doté d’un caractère qu’il qualifiait lui-même de “nocturne” ; j’avoue qu’il n’avait rien d’une personnalité solaire… Enfin bref, je suis devenue secrétaire pour The Moon et j’ai vite compris que je possédais deux qualités essentielles pour le poste : le sens de l’organisation et l’esprit d’initiative. La preuve : 1 an s’est écoulé après ma nomination et Clive n’a pas eu à se plaindre de moi une seule fois… Et du côté… mafieux, dirons-nous, j’avais également beaucoup progressé : en 1 an, j’avais assimilé une grande partie des techniques intimement liées au gang. Et un beau matin d’été, Clive m’a enfin confié ma première mission. Quand j’y repense, je me dis qu’elle n’était pas des moindres et même un peu ironique : abattre un proxénète lié au gang du Lion Rouge… Bien sûr, cela a fait remonter de pénibles souvenirs en lien avec Jared et de ses actes ayant conduits à mettre ma sexualité en berne… À ma grande surprise, repenser au passé a décuplé la haine que je gardais en moi, cette haine envers les hommes qui employaient les filles comme de vulgaires objets sexuels… J’ai donc soigneusement préparé ma mission : il était hors de question que je me plante et que, par la même occasion, je puisse décevoir Clive pour la première fois. Finalement, j’ai mis en place un plan très astucieux : faire croire que j’étais une prostituée qui cherchait un nouveau proxénète, pour me mettre à l’abri de l’ancien qui me battait… Je n’arrive toujours pas à croire que cet idiot soit tombé si facilement dans le panneau ! Comme je l’avais souhaité, il a fini par m’inviter chez lui, un soir, pour qu’on puisse discuter de mon “salaire”… Or, je ne suis pas venue les mains vides au rendez-vous : j’avais également amené une bouteille de Long Island, un alcool fort qui donnait des vertiges dès la première gorgée. Évidemment, cette bouteille n’était pas là par hasard : j’avais empoisonné son contenu au fluorure de sodium, un poison qui avait l’avantage d’être incolore et inodore. Associée à la teneur forte de l’alcool, la toxine a agi de manière que je qualifierais de foudroyante, ne laissant aucune chance à ma victime. En effet, quelques secondes après avoir bu son verre, ma cible l’a d’abord lâché, celui-ci explosant au sol en mille morceaux, avant de s’écrouler à mes pieds, on ne peut plus mort. Après m’être assurée qu’il était bien décédé (en lui cherchant le poul au niveau de la nuque), j’ai repris ma bouteille avec moi et avant de partir, j’ai lancé au cadavre, non sans sarcasme : “Tu ne l’as pas volé.” L’empoisonnement accompli sans bruits et sans violence, j’ai pu rentrer tranquillement au QG du gang, mon long manteau noir cachant la tenue provocante que je portais en-dessous. Eh oui, il fallait bien que je joue le rôle de call-girl jusqu’au bout de l’apparence ! Une tenue qui n’avait pas eu l’air de vraiment déplaire à Clive, lorsque je l’ai croisé après mon arrivée chez moi… Évidemment, il n’a rien montré sur ce qu’il pensait de mon… “accoutrement”, et m’a félicité du bon travail que j’avais accompli. Et pourtant… J’ai vu dans ses yeux cette même lueur qui avait illuminé son regard lorsqu’il m’avait observé la première fois. Vous savez, ce curieux mélange de séduction et d’intérêt sincère. Et c’est là que, pour la première fois, je me suis posée la question : se pourrait-il que le redoutable chef du gang des Deux Roses puisse… être amoureux de moi ?

  • Lettre ouverte à Monsieur M.

    Bonsoir M. M, je suis véritablement navré de ne pouvoir vous rendre moi-même visite pour vous dire tout le mal que je pense de vous. De même je suis déçu et quelque peu déstabilisé par la tonalité que vous donnez à votre si brillant discours faussement larmoyant. Pour information, j'ai moi-même 38 ans et je sais depuis de nombreuses années que je ne dois pas compter sur la retraite si longtemps promise comme une carotte à son âne pour mes vieux jours ou bien comme une belle promesse faite à mon âme. Enfin bref, pas de quoi se faire du mouron. Après tout, quand on n’a rien, on n’a rien à perdre. Pourtant votre allocution m'a fait sourire et je dirais même rire jaune, quoique je ne suis pas censé vous dire ça car ça risquerait de me nuire un jour ou l’autre et de me retomber dessus, mais du moins je vous le dis en toute franchise, certains ou plutôt certaines d'entre nous se prostituent volontairement pour subvenir à leurs besoins et assurer leurs études ; et ce physiquement parlant... Après tout, nous sommes tous de pauvres étudiants. Pour ma part, j'ai ma contribution apportée au lourd tribut puisque je prostitue mon corps à la science en me pliant à leurs expériences médicales pour seulement 900 euros... Me direz-vous, qu'est-ce que 900 euros ? Rien à vrai dire comparé à une vie humaine ; puisqu'au bout du compte nous mettons tous et toutes notre vie en jeu. C'est un peu le jeu de la roulette russe si vous voulez ou du chat et de la souris. Alors on joue avec notre vie à quitte ou double. Il y a deux ans, une expérience à Rennes a mal tourné et un homme comme vous et moi est mort. D'autres encore ont fini dégénérés, sans pouvoir retourner à leurs très chères études car rendus à l’état de légumes... Les médias se sont tus, sans doute que ça aussi c’était voulu. J'en ai pleinement conscience et c'est encore plus grave ! Je remets volontairement ma vie entre leurs mains et ce depuis de si longues années. J'en suis à quoi ? A huit ou neuf études, je ne sais plus. J'ai l'impression parfois d'être un simple cobaye qui tend docilement les veines de ses bras... Le cathéter comme un prolongement de moi. Un vulgaire hamster tournant dans sa roue. Ma mère se lamente sur moi et prie chaque matin. Moi-même je ne sais pas si je serai encore là demain... Après tout, qui sait ? La vie est si courte, la ligne de vie que nous tenons dans notre main si tenue... Je vous écris cette lettre alors que pourtant je devrais me coucher car demain je dois me lever à 6H00 du mat’ pour me rendre au centre médical de Rennes.. Pour prendre mon vaccin contre la rage. La rage de quoi dîtes-moi ? La rage de moi, la rage de la faim ! Je suis comme un rampant à qui l'on aurait enlevé les dents... Aussi ce soir je suis un peu désabusé et un peu aussi fort bourré... (Dédicace à Stromae) mais la réalité est toute autre. La sauvagerie aussi. Tout engloutit tout. C'est ça la nouvelle tyrannie ! A vrai dire je n'ai plus envie de me coucher... Plus envie de dormir, plus envie de rien. C'est là la triste vérité ! Celle du terrain, c'est toujours au bout du compte ce qui prime. Ma vie n'a pas de sens, la leur n'a pas plus de sens à mes yeux... L'argent c'est ce qui nous fait tenir debout, qu'importe que nous ayons des œillères aux yeux, ou des seringues enfoncées très loin dans la pisseuse. L'hémoglobine c'est ce qui nous fait couler doux et filer droit ; pour ma part je me sens comme un pantin pris dans un engrenage que j'aurais moi-même lancé. Je deviens fou... Rien ne pourra jamais arrêter cet état de fait sinon le point final que vous voudrez bien lui mettre. Je dis bien vous car il ne résulte en rien d'une volonté personnelle. Il est une heure quarante désormais et demain en me levant, ou plutôt tout à l'heure, je ne comprendrai rien à rien, comme à chaque fois. Je veux me faire le porte-parole de ceux qui n'en ont pas. De ces taiseux qui n'ouvrent jamais leur gueule et qui se la ferment bien poliment. Je ne suis pas un, je suis tout. Je n'ai pas envie de dormir voilà tout ! Si mes mots et mes doigts pianotent sur ce clavier ce n'est pas par pure provocation mais par supplication, ou plutôt par obligation. J'ai en moi ce devoir que d'autres n'ont pas... La grève illimitée, la précarité étudiante, la prostitution oui, et tout ce dont je suis une preuve vivante et détestable... Il faudrait tout abroger, ce grand Rien qui est notre grand Tout à vrai dire et qui sur Terre régit tout. Oui abroger plutôt que promulguer ! Pourquoi vouloir lutter, se battre si au bout du compte nous ne sommes jamais écoutés ? Combien de morts encore, de bouches silencieuses entrouvertes ? Comme des poissons tirés hors du filet ? Qu'est-ce qu’il vous faut de plus après tout ? A ce poisson tiré hors de son aquarium sans son oxygène : vas-y ouvre bien grand tes ouïes ! Mais agonise en silence s'il-te-plaît, pris au bout de ton hameçon... Et prie ! A cette oreille taiseuse je lui dis poliment ces quelques mots, jamais, non jamais je ne renoncerai... Quitte à en brûler mes bottes de sept lieues ! Bien détestablement M.M… XK (27.01.21)

  • Rocco s’agenouille devant les vierges

    Écrire une page (au maximum un feuillet A4) en usant du procédé décrit par Raymond Roussel dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. Rédiger un texte incluant deux phrases identiques à l’exception d'un paronyme qui en change le sens. Puis "les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde." (consigne de Jean-Michel Devésa) Je m'agenouillai devant les cierges. Je joignis mes mains. Mes bagues firent un léger tintement en se touchant. Le rosier autour de mon cou, la croix sur ma poitrine. Je levai mon visage pour l'opposer à celui de la Vierge qui dans sa posture devait faire de même que moi mais en s'adressant au Tout-puissant sans doute. Je me mis à réciter ma prière de nuit en la murmurant à peine. Puis j'ouvris le tiroir de ma table de nuit, je pris mon revolver 8mm, je vérifiai rapidement le barillet et je le mis dans ma ceinture derrière mon dos. Je retirai du tiroir un feuillet également sur lequel étaient notés un nom et une adresse. Je le parcourus et l'empochai. Je me levai, j'embrassai ma croix, je jetai un dernier regard sur la mine de la Sainte Mère, puis je sortis de mon appartement. Je démarrai ma voiture et cinq minutes plus tard je me retrouvai sur le boulevard, en plein trafic. Je sortis une cigarette de la poche de ma chemise et je l’allumai avec l’allume cigares. J’avais les glaces ouvertes, une prostituée se permit donc de s’accouder sur ma porte et me proposa un tour pour une somme assez rationnelle, mais je ne me sentais pas dans l’humeur : j’avais un job et les jobs je les prends au sérieux. Dans mon cas, ce serait risqué autrement. J’eus du mal à me garer. Ce con habitait dans une des parties les plus animées de la ville. En déposant ma voiture je dus aller quatre blocs jusqu’à son immeuble. J’avais de la chance : une vieille dame venait juste d’arriver avec un sac plein de légumes et de fruits, je lui proposai donc mon aide pour le monter pour elle. Elle accepta avec gratitude. Elle voulait même me donner un dollar pour mes services. Je refusai. De là, je n’avais qu’un étage à monter. Appartement 106. C’est bien ça. J’essayai la poignée. Très souvent les gens ne ferment pas leurs portes. Dommage pour eux. Le vestibule était sombre. Je ne voyais qu’une lueur faible bleutée du côté gauche. De là s’émanait aussi le son d’une télé. Ce sera simple – je me dis. J’enlevai donc mes chaussures et je partis en direction de la chambre. En même temps, je pris mon arme, je tirai le chien et je le tendis obliquement devant moi. L’on ne sait tout de même jamais si on nous attend. Mais le gars était assis dans son grand fauteuil face à l’écran et me montrant son dos. Peut-être, il s’était endormi. Je regardai ma montre. Dix heures quarante-six. Bon, bah, il est temps de s’y mettre. Je pointai le canon vers sa tête et je fis un tour pour le voir mieux. J’étais sur le point de déclencher lorsque j’aperçus son visage. Il était mort. Il s’était tiré une balle dans le crâne lui-même apparemment parce qu’il avait un pistolet à la main. Hm. Il devait s’attendre à ce que quelqu’un vienne. Ou alors il n’en pouvait plus… peu importe. Je serai payé demain. Je sortis doucement de l’appartement, je descendis les escaliers et je me trouvai de nouveau dans la rue. Il y avait une masse de gens et un tumulte affreux. Ça commençait à m’énerver donc je partis en hâte vers ma voiture. Sur le chemin, j’eus envie d’aller voir un film de cul. Il était quand-même vendredi. Et un peu de détente allait me faire du bien. Je payai trois dollars et j’entrai dans la salle où venait juste de commencer le film Rocco s’agenouille devant les vierges.

  • Qu'est-ce que l'Amour ?

    Atelier slam : composer un texte avec le thème de la haine sur quelque chose que tout le monde aime. La Saint Val C’est quoi ? Putain c’est que dalle ! Du business Que l’on consomme Et que l’on se farcit Chaque année De l’hypocrisie En barres Où l’on déclare Ses sentiments Mièvres et niais Mais sérieux On n’a pas besoin De ce jour-là Pour dire qu’on s’aime Et nous P’tits moutons là-dedans On se fait plumer Comme des pigeons Ou comme la dinde de Noël Putain ça me rend dingue Et patatras tout valdingue ! Valentin love De sa Valentine Ou bien Roméo in Love ! Faut des cadeaux Faut des p’tits mots Doux comme de la soie Faut des restos Faut des cinés Faut être bien apprêté Faut dire des je t’aime Se bouffer la bouche Et surtout s’offrir des fleurs Par gros bouquets Moi c’est des chrysanthèmes Plutôt que des je t’aime Que je vais leur offrir Pour enterrer Toutes ces conneries Le 14 février Au fond On s’en balek On se le carre au fion ! Et puis Quand on est seul C’est déprimant à souhait Ça pousse au suicide Comme au Nouvel An À la Noël Ou au 14 juillet Encore un 14 Ceci dit en passant Ceci explique Sans doute cela Les crématoriums Font salles combles Ils ne désemplissent pas Comme les blockbusters US Et les films à gros budgets ! C’est la trilogie La tétralogie C’est la loi des séries C’est à la fois les préquels Et les sequels Qui nous en laissent Et nous tiennent en laisse On se fait du beurre sur la vie Le beurre L’argent du beurre Et le cul de la crémière ! Sans pouvoir en mettre Dans ses épinards Pour faire passer Le mauvais goût Du pinard On nous vend de l’amour Par petits pécules Obtenus difficilement Qu’on finit même par spéculer Sur nos envies Ça fait les rétines humides Sur la pellicule Ça rend tout mou Et dégueulasse Le pop-corn On nous vend de la mort Au rat On nous refourgue des danseuses du ventre Dans nos yeux éteints Par cachetons De placebo De speed Ou bien sans doute De perlimpinpin ! La pilule est difficile à avaler ! Il faut la petite pilule bleue pour bander Il faut la petite pilule rose pour dormir Et pour se calmer La petite pilule contraceptive Quotidienne Pour pas tomber Comme on bouffe Une tartine de merde Chaque matin Tout est payant Tout a un prix Une femme dans un lit Ou une place allongée bien peinard Juste à côté de la mairie C’est la course à la consommation ! Et pendant ce temps-là Les funérariums Font leur chiffre Comme les fleuristes Les chocolatiers Les marchands de bijoux Et de rêves Mais on nous en vend Par camions entiers De l’espoir en fumée De la poudre blanche Par lignes de trois Qu’il faut bien se carrer profond Dans la narine La fête des amoureux C’est un concept abstrait Car au fond Qu’est-ce que l’Amour ? Sinon une grande désillusion Qui nous pousse à la désunion Et à se lâcher la main Pour de bon… XK (25.11.21, Limoges)

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