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Quelques idées de mots-clés :

Cinéma

Poésie

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Théâtre

304 éléments trouvés

  • Génération générique

    Réécrire la microfiction Slogans de David Thomas (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Bienvenue au pays des hommes, les petits êtres de la planète bleue où tout est merveilleux ! Vous avez traqué ses ressources et ses mystères, le secret de ses pouvoirs. Vous les avez tous attrapés. Vous vous êtes conduits comme des fous du volant et voulez maintenant devenir des zinzins de l’espace. On vous a demandé de nous raconter une histoire. Vous nous avez dit : « Enfants du Soleil, vous parcourrez la Terre, le Ciel. » sans comprendre que les mystérieuses cités d’or n’étaient qu’utopies de conquistadores. Vous avez pillé le sol jusqu’à devenir comme lui, pauvre et déserté, sans plus aucune vache à garder dans les prés. Vous l’avez poursuivi comme le macabre jeu de Tom qui court après Jerry, de Grosminet après Titi et malheureusement, le Coyote a vaincu. Vous pensiez au fun et à la vitesse d’abord, sans comprendre la panique à bord. Alors, au nom de la loi et de la Terre, on vous arrête, vous et tous vos gadgets parce que c’est vraiment trop injuste. Nous on vous suivait partout alors que vous pensiez à vous, c’est tout. On va résoudre ce mystère et on ira, on saura sauver notre existence et on se battra sans répit pour refaire un monde sans danger.

  • Brouhaha

    Je voudrais que tout s’arrête là, Ne plus avoir à faire de choix, Ne plus avoir à surmonter la vie, Plus de guerrière, plus d’envies. * * * Tu crois t’éteindre, puis tu revis Et tu dois faire à nouveau face A la réalité qui t’entoure Par-ci, par-là un peu de bruit Puis le brouhaha alentours Tes sens sont à nouveau actifs Les images te reviennent par flashs Tu as du mal à les fixer Réalité ou bien rêve ? Tout est bel et bien brouillé Quand tu reviens rien n’a changé Ce corps est toujours le tien Avec cet esprit torturé Tu obéis, tu te consoles On te promet la guérison Pour peu que tu le veuilles encore - et même quand tu ne le veux plus Alors tu vaques de chambre en chambre Pas encore fixe mais pas le choix : Il faut guérir, tu le leur dois. La malade : Je voulais mourir, vous savez. Je le voulais vraiment. Psychologue : Pourquoi cela ? La malade : L’étau autour de moi…qui grandissait, qui s’alourdissait ; vous ne comprenez pas ? Ce que l’on nomme « dépression », c’est bien plus qu’une maladie. C’est un couloir exigu qui ne se termine pas. Une sensation de Vide, une sensation de Trop. Une paralysie. Une fatigue extrême. On se voit changer mais on ne peut rien faire. On s’abîme à ressasser des choses, on s’abîme dans un monde si froid. Je n’avais pas le choix. Je ne pouvais plus vivre. Psychologue : On a toujours le choix. Mourir c’est renoncer, Il faut se battre pour vivre. * * * Un livre au coin de l’étagère derrière la meute de psys. Antigone de Jean Anouilh. Flash. Succession de pensées. L’émotion à ma première lecture. L’émotion à ma deuxième lecture. Antigone… Antigone ! Toi que j’admire tant Ton courage et ta force Ta façon de dire « Non ! » Tu meurs pour tes idées, tes convictions. La malade : Je suis comme Antigone. « Moi, je veux tout, tout de suite,- et que ce soit entier -, ou alors je refuse ! » Je ne veux pas de demi-mesure, pas de compromis. Je ne veux pas de petits bonheurs ni attendre pour être pleinement heureuse. Psychiatre 1 : Antigone est un personnage de fiction, madame. Nous sommes dans la vie réelle. La malade : Quelle différence ? Je veux pouvoir rêver, je veux être absolue. Ou rien. Ou la mort. Psychiatre 2 : Vous ne pouvez pas décemment venir nous voir et nous demander de mourir, enfin ! Nous sommes des médecins, nous sauvons des vies. Psychiatre 3 : Vous rendez-vous compte de votre égoïsme ? Et vos proches dans tout ça ; avez-vous pensé à leur peine ? Que croyez-vous prouver à votre mort ? Qui croyez-vous être ? Psychiatres 1, 2 et 3 en chœur : Ces malades ne se rendent pas compte De la chance qu’ils ont D’être entourés et aimés Ils voudraient tout, ne connaissent pas le manque Nous travaillons sans cesse Notre vie est épuisante Nous ne nous plaignons pas : Qu’ils en prennent de la graine. Iels ne me comprennent pas : Iels me pensent égoïste : Vivez ce que je vis, on en reparlera. Vous ne savez pas ce que c’est Que de vouloir mourir Et vous y essayer. Puis échouer. De nouveau condamnée à vivre À vous faire insulter Par des techniciens du cerveau En blouse blanche Qui ont pour toute sensibilité Des manuels, des théories Plein la tête Et pas de tact Et peu de cœur. * * * La malade : « Vous dites que c’est si beau la vie. Je veux savoir comment je m’y prendrai pour vivre. » Psychiatre 4 : Mais vous savez, madame, la vie ça n’est pas simple. La vie c’est difficile parfois ! Il faut apprendre à surmonter les obstacles, à ne pas tomber au moindre coup de vent. Il faudrait que vous arriviez à gommer votre forte sensibilité, à vous endurcir. La malade : Ma sensibilité, c‘est ma force. Je souhaite rester candide et lutter par l’innocence contre la monotonie, le manque de bienveillance et la solitude du monde des adultes ! Et puis d’abord, j’en ai marre de prendre tous ces médicaments. Je suis épuisée. Psychiatre 4 : Haha, tous mes patients me disent ça ! Mais vous avez besoin de ces médicaments. Sans eux vous essayeriez à nouveau de vous suicider. Soyez patiente. La malade : Je ne suis pas dans la vie, je le ressens bien. Je ne suis pas dans la vie car je ne ressens rien. Je ne sais percevoir ces moments de bonheur, Tous ces moments censés réchauffer le cœur. J’ai vécu trop longtemps sous l’énorme rocher De mes peurs, des traumas, la tristesse, la solitude Qu’aujourd’hui je peine à imaginer La vie en dehors de cette médicamenteuse platitude. C’est trop long. J’ai lutté douze ans…je n’en peux plus, c’est trop pour moi. Psychiatre 4 : Vous voyez le verre à moitié vide, madame. Ne pouvez-vous pas le voir à moitié plein ? Vous avez une famille qui vous aime, vous êtes en France et avez accès à des soins psychiatriques. Beaucoup de gens n’ont pas votre chance. * * * Les proches : La vie en vaut la peine. Tout le monde n’a pas la même vision de la vie que toi, il faut que tu l’acceptes ! Tu apportes chagrin, tristesse et colère ; Nous voulons vivre, et vivre heureuses, même. La malade : « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. » Moi je ne veux pas vivre, je ne le voudrai jamais ! Vous ne me forcerez pas, vous ne pouvez pas me forcer à aimer cette vie et à vouloir y rester ! Vous dîtes que vous m’aimez ? Vous voulez réellement m’aider ? Aidez-moi à mourir. Fais mon deuil, ce n’est rien. Mais avant, Viens, viens me rejoindre Là où l’espoir et la lumière se font rares Là où les traumatismes sont nos meilleurs amis Là où le cauchemar est permanent, Où le deuil de toi-même n’est pas qu’optionnel. * * * La malade : « Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? » Miansérine 60mg Témesta 3mg Solian 10mg Abilify 15mg Haldol 3m…15mg Tertian 15mg Nozinan 15mg Parkinane 15mg Sertraline 50mg Vous ne savez faire que ça : donner des substances. Vous n’écoutez pas, vous ne cherchez pas à comprendre. Madame la psychiatre, c’est moi qui vous paye vos Louboutin. Monsieur le psychiatre, c’est moi qui vous paye votre Porsche. Vous me traitez comme de la merde ; vous devriez m’être reconnaissant.e.s d’être malade. Vous pouvez exercer grâce à moi. Vous gagnez tout votre fric grâce à des gens comme moi, que vous gavez, que vous anesthésiez, que vous ruinez à coup de médocs dangereux, inappropriés, surdosés. Vous faîtes un métier prestigieux mais vous n’avez pas une once d’humanité. C’est vous, les merdes. Vous êtes des grosses merdes à mes yeux. * * * La malade : « Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ? » Je vois des corps, des cœurs, des cerveaux, des âmes gâché.e.s par vous. Par vos médocs. Je vois des vies brisées par vos paroles et par vos décisions arbitraires. Je vois toute votre noirceur, toute votre mauvaiseté. Je sais. Je sais que je laisse mes adelphes décrépir sous vos ordonnances. Et je ne fais rien. Je ne peux rien faire. Je pourrais vous tuer ou brûler votre bureau. Mais ce serait moi la coupable. Alors j’écrirai. J’écrirai sur ce que vous m’avez fait. Vous m’avez rendue plus malade que je ne l’étais. Et si je guéris un jour, ce sera grâce à moi. Uniquement grâce à moi. À ma force que vous ne savez percevoir. Et à mon innocence, que je conserverai coûte que coûte. Vous ne me la prendrez pas. J’écrirai pour que les choses changent enfin. Je ne me tuerai pas, j’écrirai.

  • Le feu sur moi

    Écrire une microfiction en intégrant dans l’ordre que vous souhaitez “blessure”, “lumière” et “pamplemousse” (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Je m’appelle Catherine, j’ai trente-deux ans et je suis chercheuse à l’université. En 2008, je suis partie au Pakistan en collaboration avec une association humanitaire qui s’appelle ‘’Sauver les enfants du monde’’, dans le cadre d’une étude sur les enfants maltraités dans les différentes régions du monde. Après des semaines d’investigations et d’entretiens sur le terrain de ma recherche, j’ai fait la connaissance d’une jeune fille, âgée de seize ans, dans un hôpital pakistanais, secteur des brûlures de troisième degré. Elle a accepté de me raconter son récit de vie à condition de veiller à cacher son identité afin de ne pas encourir de dangers. Lors de l’entretien avec cette adolescente que je nomme ‘’Karima’’, j’étais accompagnée par une amie pakistanaise qui sait parler l’anglais et qui me servait de traductrice. Moi : Bonjour, ‘’Karima’’, j’espère que vous allez bien. Karima : Dschii haan (qui signifie oui en Ourdou, la langue officielle au Pakistan) Moi : Merci d’accepter de me recevoir malgré votre fatigue. Je me présente : je suis une chercheuse, et je suis venue ici pour enquêter sur la condition des enfants oppressés dans le monde. Pourriez-vous me raconter pourquoi vous êtes brûlée et qu’est-ce qui vous a mené ici ? Karima : (toux) J’ai été brûlée par mon frère aîné, il a versé du pétrole sur ma tête et a jeté une allumette de sorte que le feu a dévoré le haut de mon corps. J’ai senti le feu m’arracher la peau et j’ai couru comme une folle dans la rue jusqu’à ce que deux femmes aient pitié de moi et aient jeté les seaux d’eau, qu’elles venaient de remplir de la fontaine, sur moi. L’eau était brûlante …Le feu était brûlant …..Ma chair était brûlante. La douleur était insupportable. Je ne cessais pas de hurler au point que je m’évanouissais. À l’hôpital, la lumière intense de la chambre m’a réveillée, j’étais sur un lit blanc et j’étais entourée par des murs blancs et des rideaux blancs. Tout était blanc, sauf ma peau, qui était noire tel du charbon. Moi : Je comprends, c’est douloureux ce que vous avez vécu. Mais, quelle était la raison de la conduite de votre frère ? Karima : … Ma famille s’est aperçue de mon ventre qui grossissait. J’étais dans le 5ème mois. Mon habit collait sur mon ventre et il devenait peu croyable que je ne sois pas enceinte. Étant donné que tomber enceinte hors du mariage était interdit dans notre culture, ma famille jugeait que je devrais mourir avant que je ne lui fasse honte dans le village. Et mon frère a été élu pour m’exécuter. Moi : C’est inimaginable. Votre famille vous condamne à mort car vous êtes tombée amoureuse de quelqu’un ? Karima : (toux) Je sais qu’un fait pareil semble inconcevable dans la culture occidentale mais dans mon village, il se passe ainsi. Faire une relation extraconjugale signifie la mort. Ça s’appelle ‘’Zina’’ qui est violemment interdit. Ma famille a honte de moi et risque de m’expulser du village à cause de mon péché. Elle m’en veut. Me voilà brûlée et complètement paralysée ne lui suffit pas. Elle veut ma mort afin de se racheter aux yeux des villageois. Moi : Votre frère risque donc la prison puisqu’il a commis un crime. Karima : Cela est impossible. Mon affaire est classée dans la catégorie des ‘’crimes d’honneur’’. Le frère qui exécute sa sœur pour ‘’laver l’honneur de la famille’’ est considéré comme un héros. Le juge ne peut pas le mettre en prison sinon il sera perçu comme fautif devant tout le monde. Moi : Je suis triste de connaître tout cela. Toutefois, je ne resterai pas les bras croisés et je vais demander à l’association ‘’Sauver les enfants du monde'' de vous aider, au moins,de vous soigner les cicatrices et cette blessure affreuse sur votre œil gauche. Vu votre âge, vous êtes encore mineure et elle peut bien vous sauver. Qu’en dites-vous, Karima ? Karima : Schukria, (qui signifie merci) Sauver ‘’Karima’’ était une mission difficile mais finalement, on a réussi à la faire voyager en avion pour poursuivre ses traitements en Suisse et bénéficier des opérations chirurgicales d’ordre esthétiques. Après des mois, ‘’Karima’’ a repris sa santé physique ainsi que mentale. Son visage démoli par les brûlures est raccommodé tandis que ses joues gardent une couleur de pamplemousse, c’est comme s’ils conservaient le souvenir atroce du feu qui a bouleversé sa vie. Je pense qu’il est de mon devoir de continuer à voyager à travers le monde afin de sauver le maximum de victimes. J’entends leurs voix dans mes rêves. Elles m’appellent, elles me crient « Au secours ! » « J’arrive ! » Septembre 2013

  • Tumultes sous l'onde

    Réécrire la microfiction No-kill de David Thomas. (consigne de Milena Mikhaïlova) L’eau est plutôt claire aujourd’hui. Peut-être plus qu’hier. Elle est légèrement trop chaude. Plus qu’hier. Nous avançons dans la saison. Je navigue entre des morceaux sombres immobiles emprisonnés dans la vase. Doux limon source de vie. Bouillonnement dynamique d’êtres dont je ressens les vibrations. Je gobe. Par-ci, par-là. Puis je repère une proie, un peu plus grosse, un peu plus haute que ma zone habituelle. Je me jette dessus, le ventre réclamant subsistance. Je tire, je tire. Et je tire encore. Je suis soulevé et dans les airs maintenant. Quelque chose d’accroché dans ma gorge. On me manipule, on me pèse, on me mesure. Les couleurs sont plus claires et je devine le haut du bas. Je me meus comme je peux, c’est-à-dire difficilement. Je ne bouge pas pourtant je me déplace. Me revoici de nouveau dans l’eau. Mon eau, mon habitat. Je ne comprends pas tellement ce qu’il s’est passé. Mais je me limite à ma vase maintenant. Pour plus de sûreté, je pars à l’opposé de ce cirque. Quel qu’il fût. L’eau est bonne aujourd’hui. Plus qu’hier. Même si je sens que ma peau, certaines zones, la ressentent différemment. Je ne sais pas comment le décrire. Je la sens plus vive. Elle me fait mal, c’est plus que du simple inconfort. L’eau… est très chaude, alors je me suis réfugié au plus bas de mon point d’eau. Ma peau me fait très mal, elle me démange atrocement. J’ai envie de l’enlever, de voir ce qui m’arrive. Mais je ne peux rien y faire. J’étouffe dans un environnement qui m’est familier. J’étouffe comme la fois où j’étais impuissant. Je rejoins la vase qui m’apaise un temps. Puis, en fermant les yeux pour toujours, je m’en vais l’alimenter, de mes restes. Un bruit me fait revenir à moi. Une sonnette de vélo, au loin. J’ai chaud, une légère brise vient me caresser la nuque. La vie reprend sa danse bruyante dans le grand parc. Je regarde l’éclat brillant qui s’étale sur mes cuisses. Mon carnet ouvert à une page. Blanche. Elle profite du soleil elle aussi. Malgré le planning, malgré le temps qui avance inexorablement, malgré les idées, elle reste blanche. Comme hier. Elle ne sera pas noircie. Enfin peut-être pas aujourd’hui. Elle ne sera pas déchirée, puis jetée. Non, pas aujourd’hui. Je referme le carnet de notes, mon carnet d’écriture, je referme le tumulte silencieux et pour l’instant invisible, et je soupire.

  • Éclaboussures

    Écrire une microfiction en intégrant dans l’ordre que vous souhaitez “blessure”, “lumière” et “pamplemousse” (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Quand je tombe enceinte de mon fils, comme d'autres veulent des fraises, c'est du jus de pamplemousse que je désire. Et pas du jus industriel. Des pamplemousses en provenance d'Espagne ou de ceux transportés du Maghreb dans de vastes conteneurs qui traversent la mer. Choisis avec soin au marché, je les coupe en deux et dans le presse-citron j'en recueille le liquide. Je me vois, sur une chaise au bord de la piscine, le ventre rond et les pensées fécondes, savourant le nectar, ombrelle dans le verre glacé. Quelques années après, tous les après-midi d'été, je me tiens à la même place, prodiguant des conseils. Mon fils est un poisson. A quatre ans à peine, il sait déjà plonger et traverser la piscine. Quand il sort de l'eau, ravi et ruisselant, je l'emmitoufle dans sa serviette et lui sert un jus de fruit. Nous trinquons ensemble, aux pamplemousses pour moi, aux oranges pour lui, à la lumière du ciel et aux médailles futures. Quelques décennies plus tard, mon fils me rejoint dans la cuisine. Il m'observe sans un mot prendre le grand couteau à la lame effilée et trancher dans le vif les fruits dévoilant leur couleur, rose indien, orange sanguin. Le presse-agrume électrique couvre la clameur qui s'échappe de la piscine, les cris et les rires de mes petites filles. Grandi par l'assurance de ses 35 ans, de ses deux enfants et de deux bières prises au repas de midi, alors que je verse les boissons, il se lance dans une litanie de reproches, une scansion de griefs. Ces repas dominicaux qu'il déteste, ces jus de fruit qu'il abhorre, l'odeur du chlore qu'il exècre. Ces longueurs qu'il a dû enchaîner deux fois par jour, six jours sur sept, qui ont bouffé sa jeunesse. Ma fierté qu'il fallait qu'il nourrisse de victoires toujours plus grandioses et de marches toujours plus hautes. Ces rêves que je lui ai mis en tête et dont je l'étouffais. Et puis la sensation délicieuse du muscle qui se déchire, jouissance de la blessure qui l'a libéré. Je lève les yeux vers lui, je regarde le champion qu'il n'a pas été, le fils qu'il n'a pas su être. J'ajoute un filet de sucre dans mon verre pour ôter l'amertume.

  • Mystères de nature

    Écrire une microfiction à partir dutableau de David Hockney Le Parc des Sources, 1970. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) – C’est une belle journée, commença-t-elle. – En effet, ajouta-t-il. Même si l’air sent la pluie, ça ne devrait d’ailleurs plus tarder. La femme à la chevelure aux légers reflets de feu se mit à émettre un petit rire. Elle ne croyait pas en ce genre de dires. On ne pouvait prédire la pluie de cette façon. La météorologie dite moderne était une science encore balbutiante, et montrait peu de résultats à fort pourcentage, pour le moment. On ne pouvait donc être sûr par ses sens humains qu’il allait pleuvoir dans la journée, ou encore dans l’heure. C’était une idée ridicule, mais elle se garda de le dire. Seulement, comme si l’homme avait décrypté ses pensées, ou peut-être son rire, il articula en hochant lentement et légèrement la tête en avant. – Je sais que vous ne me croyez pas. Vous ne me croyez jamais. – Vous exagérez sur le jamais. Seulement, vous savez que c’est la science qui peut prédire ceci. Elle peut prédire beaucoup de choses. – La science n’est que la traduction pour les humains des éléments de la nature. Il y a le phénomène de science et le reste. La nature reste secrète. – Vous parlez vraiment de ce qui se trouve autour de nous, ce que nous n’avons pas encore expliqué, ou alors vous parlez de ce qui se cache dans votre tête ? Ce fut au tour de l’homme d’avoir un petit rire. Il lissa le tissu brun de son pantalon avec le plat de sa main, puis ses doigts jouèrent avec la feutrine de son chapeau, qui jusque-là était resté bien sagement sur ses cuisses. – Choisissez ce qu’il vous plaît, finit-il par dire, ses yeux parcourant les allées vides et le jardin s’étendant devant eux. Malheureusement, la psychologie est encore un phénomène trop nouveau pour être pris au sérieux, n’est-ce pas ? La femme acquiesça silencieusement. Elle ne le savait que trop bien. Le cerveau tout comme la nature étaient, au fond, des éléments bien mystérieux, qui passionnent et dont l’humain veut percer les secrets les plus enfouis. Pour la connaissance ou le pouvoir. Quelques gouttes tombèrent sur la fine peau blanche de la femme. Le reste fit entendre leur chute sur le sol en un léger crépitement, qui ne tarda pas à s’accélérer. L’homme remit son chapeau en souriant. La femme qui lui avait rendu visite se garda bien de dire quelque chose. Fort heureusement, une infirmière arriva avec deux parapluies, un qu’elle tenait au-dessus de l’homme, toujours légèrement souriant et un autre qu’elle tendit à la femme. Cette dernière la remercia puis prit poliment congé de l’homme, quand celui-ci lui dit avant de s’engouffrer dans le bâtiment crème, pour rejoindre sa chambre. – Vous devriez vous dépêcher de rentrer, le vent va devenir violent et vous finirez trempé jusqu’aux os. A la semaine prochaine, chère Thérèse. Sur ces derniers mots, la femme, quelques cheveux collés sur son visage, regarda le patient de l’hôpital psychiatrique disparaître dans la pénombre de la bâtisse. Elle ne tarda pas à resserrer les pans de son manteau autour de son cou, le vent se faufilant dans les interstices et faisant diablement danser le tissu lâche au niveau de ses jambes. Les feuilles des arbres rangés en file indienne bruissèrent de plus en plus fort lorsqu’elle tourna les talons pour trottiner jusqu’au parking, à l’autre bout de cette longue allée.

  • Chasser le bruit

    Réécrire la microfiction Babylone de Régis Jauffret (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Depuis la mort de sa grand-mère, Essia n’a plus quitté son appartement. Elle a perdu sa motivation et son courage de faire face à la vie. Des entretiens reportés, des réunions annulées, un tas de documents qui attendent sa signature, voilà que travail est suspendu depuis deux semaines entières. Son téléphone portable n’a jamais cessé de sonner alors elle l’éteint. Elle s’est complètement déconnectée de la vie et demeure blottie dans le canapé à boire du thé et à lire des romans pas vraiment excitants que les histoires que lui racontait sa défunte grand-mère. Quelqu’un frappe à la porte et dérange le silence qui règne dans le salon. C’est probablement un de ses employés qui lui ramène, de nouveau, les documents à signer. Elle ne fait aucun signe de vie jusqu’à ce que l’employé se lasse de cette porte toujours fermée et la quitte. Elle reprend sa lecture et fume la quatrième cigarette matinale. Un quart d’heure plus tard, elle s’ennuie trop de ces trois cent cinquante pages qui ne finissent jamais. Nerveuse, Essia ferme le livre et fait des allers et retours dans le salon. Elle ne veut pas réfléchir aux travaux cumulés ni à cet employé qui dérange sa tranquillité chaque matin avant qu’il aille à son bureau. Elle ne veut pas réfléchir à quoi que ce soit. Se Vider la tête, c’est tout ce qu’elle souhaite. Elle a décidé de ne plus faire de bruit durant les deux semaines qui succèdent les funérailles de sa grand-mère, Zohra. Comme elle, Essia a voulu rejoindre la vie des morts, chasser les bruits afin d’écouter la voix de sa grand-mère. Mais, elle a échoué de l’entendre malgré tout. Rien au monde ne peut lui restituer la voix de sa grand-mère. Elle constate la futilité de son enfermement et l’impossibilité de reconstruire la voix de sa grand-mère dans sa tête alors elle fond en larmes et crie à voix élevée. Elle cherche à exorciser sa peine et à faire découler son malheur larmoyant. Puis, elle s’évanouit sur le sol. Le lendemain matin, Essia se lève. Pour la première fois, elle décide d’ouvrir la porte-fenêtre et de contempler la rue encombrée de gens pressés et les voitures alignées sagement l’une derrière l’autre à attendre le feu vert afin de speeder. Le bruit de la vie routinière fracasse ses oreilles mais elle n’a pas quitté le balcon. Elle veut regarder et contempler la vie à travers ce bruit. Celui-ci est le signe de la vie. Quelques instants plus tard, son employé vient frapper désespérément à sa porte alors Essia se redresse et lui demande d’attendre devant le café d’en bas, le temps qu’elle porte son habit et qu’elle parte avec lui sauver le travail.

  • Mi Cariño

    Écrire une microfiction en intégrant dans l’ordre que vous souhaitez “blessure”, “lumière” et “pamplemousse” (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) *Jeudi, 17h15 Le soleil arrivait enfin derrière le grand bâtiment blanc et venait inonder les salles où les rideaux n’étaient pas baissés. Alors que dans certaines chambres l’on pouvait entendre des soupirs de soulagement et presque des ronronnements de la part des résidents et résidentes qui accueillaient cette luminosité et cette chaleur joyeusement, ce ne fut pas le cas dans une de celles qui avait ses stores tirés au plus bas. Un léger rayon de lumière réussit à se faufiler par un interstice et vint atterrir en douceur sur un visage qui se réveilla face à l’intrusion sur ses paupières. Le jeune homme ouvrit ses yeux pour ensuite les refermer. Il répéta cette opération plusieurs fois, et émit un grognement. Ses multitudes de tâches de rousseur bougèrent lorsqu’il fronça son nez. C’est encore Maman qui est venue ouvrir mes volets pour me lever plus tôt, j’y crois pas ! fut sa première pensée. Cependant, alors qu’il voulut passer une de ses mains sur son visage et dans ses cheveux pour se réveiller, ou faire déguerpir ce rayon taquin de ses iris noisettes, il se heurta à un mur. – Matthias ? chuchota une voix à côté de lui. Son corps engourdi lui permit de tourner la tête pour poser ses yeux sur une ombre assise à côté de lui. Ombre qu’il entendit se lever pour aller chasser cette lumière. Aussitôt le faible rayon aveuglant disparu, aussitôt le roux allongé de tout son long dans un lit blanc se réveilla vraiment. Il était dans une chambre d’hôpital, un pied en hauteur et un bras en écharpe. – Tu veux boire un peu ? Les infirmières m’ont dit de te faire boire dès que tu serais réveillé. reprit la voix qui était retournée à sa place. Une paille en papier vint lui titiller les lèvres, et, passé la première gorgée, il but d’une traite sans respirer ce précieux liquide rafraîchissant. Retenant un rot, il soupira d’aise. – Ça fait du bien par là où ça passe. – Moi qui craignais que tes quelques cellules grises se soient fait exterminer… Tu m’as fait une de ces peurs, tonto (1) ! s’énerva doucement le brun, encore sous le coup de l’émotion. – Et que me vaut ce doux nom, mi corazón (2) ? Matthias n’avait aucune espèce d’idée de pourquoi il était dans un lit avec une jambe suspendue comme ça et un bras qui le grattait affreusement mais dont la zone n’était pas vraiment atteignable. L’autre jeune homme se frotta les yeux puis prit gentiment la main valide du blessé. Sur celle-ci aussi il avait l’air d’avoir quelques blessures, plus ou moins superficielles car pansements, bandage et filet pour maintenir tout ça lui faisaient comme une manche blanche. – Essaie de te rappeler, mi patata roja (3). Mercredi, hier, on avait rendez-vous… où ça ? – Euh… le rouquin sembla hésiter un instant, encore dans le pâté, et puis : Ah oh je sais, au cinéma !– – ¡Alegría ! ¡En buena hora! No se convirtió en otra persona. Y le quedan neuronas (4). – Hé ! Ça j’ai compris ! Je suis pas idiot non plus. J’ai juste… mal à la tête… et au pied, Esteban. Le susnommé s’excusa avant de passer sa main dans les cheveux de son petit copain en vrac. *18h45 – Alors en résumé… Pour une fois, j’étais pas en tort sur mon scooter quand cette voiture m’est rentrée dedans ? – Non, j’ai tout vu, tu étais littéralement au bout de ma rue. C’est, tu sais, Hervé… – Ah oui, ton voisin qui passe son temps au bar. Et… qui n’a normalement plus le permis ? – El mismo (5) ! Ma mère l’avait dit qu’il provoquerait un accident, et voilà où on en est ! s’emporta Esteban en balançant ses jambes sous le lit. – Ça va, je suis en un seul morceau ! plaisanta l’hospitalisé, malgré la gravité de la situation. – Menos mal (6)… grommela le brun en tapotant sur l’écran de son portable. Tiens, ma mère te passe le bonjour, zorrito (7). Elle passera peut-être demain. – Oh chic ! Dis-lui de me ramener des ensaimadas aussi. Allez steuplé ! Esteban exagéra une fausse grimace d'exaspération, laissant vite place à un sourire scintillant orné de bagues dentaires. Ce dernier attrapa son sac au pied du lit, et déposa un baiser qui sentait bon le pamplemousse frais sur les lèvres de son rouquin qui, suffisamment réveillé, commençait à faire le pitre grimaçant, les antidouleurs étant en bout de course. Un ciao bye, un hasta mañana (8), et il quitta la chambre avant que le plâtré immobilisé pense à demander dans quel état était son scooter chéri. (1) "Abruti" (2) "Mon cœur" (3) "Ma patate rousse" (4) "Bravo ! A la bonne heure, il n’est pas devenu une autre personne. Et il lui reste des neurones." (5) "Celui-là même !" (6) "Encore heureux" (7) "Renardeau" (8) "À demain"

  • Le Pacte des Enfers (1/2)

    PERSONNAGES OLYMPE, fille d’Atrée et Gaïa ATRÉE, mari de Gaïa et père d’Olympe GAÏA, femme d’Atrée et mère d’Olympe BULMUR, oiseau démoniaque SAGA, divinité protectrice de la famille d’Olympe HADÈS, dieu et roi des Enfers SELKYRA, ensorceleuse personnelle d’Hadès CALOXIS, ensorceleuse personnelle d’Hadès GARDES ET SERVANTES D’HADÈS ACTE I Scène 1 Dans la salle de réception du foyer d’Olympe et Atrée, remplie d’invités vêtus de noir. Olympe se tient debout devant un micro placé au centre d’une petite scène. OLYMPE. Vous savez, quand j’étais petite je racontais une blague. Tout le temps. À tout le monde. C’est un cyclope qui se met à pleurer parce qu’il a raté son maquillage. Et son ami, pour le consoler, lui dit : « T’inquiète, mon frère, personne va le remarquer ! » Dans l’assistance, quelques rires se font entendre et la plupart des invités sourient. Bulmur entre et se pose discrètement sur un rebord de fenêtre. OLYMPE. (Sourit) Ma mère adorait que je lui raconte cette blague ; ça la faisait beaucoup rire. (Pause) Le temps passe vite. Ça fait déjà un an qu’elle nous a quittés, et il ne se passe pas un jour, une heure, une minute sans qu’elle me manque... Mais je l’aimerai, pour toujours. En sa mémoire, je ne peux plus que chérir mon père... Il a tellement souffert, lui aussi. Olympe s’écarte du micro pour laisser la place à son père qui monte sur la petite scène. Avant de prendre la parole, Atrée et Olympe s’étreignent. ATRÉE. (À Olympe) Merci, ma chérie. (Aux invités) C’est vrai. Gaïa était... (Bulmur l’écoute avec intérêt) C’était une personne formidable, pleine de joie de vivre, d’amour... Il n’y avait pas plus loyale et altruiste qu’elle, même si elle avait son petit caractère... (Pause) Allez vivre avec un petit bout de femme qui vous embête pour une maison ragée d’alpha à oméga ou pour une liste de courses triée par catégorie de rayons, et là vous me comprendrez ! Les invités rient puis Atrée retrouve un ton sérieux. ATRÉE. Il y a des jours où le vide qu’elle a laissé est tellement béant que je n’ai plus la force de rien, même pas de m’occuper de ma propre fille. Si Gaïa était encore en vie... (Il hésite. Bulmur jubile) Non, ça n’a pas d’importance, tant que ma petite Olympe est là. (Se tourne vers elle) Je ne sais pas ce que je ferais si je la perdais, elle aussi... Elle est la dernière chose qu’il me reste. (Regarde à nouveau les invités) Merci à tous d’être là ce soir. Olympe et Atrée quittent ensemble la petite scène et se mêlent aux invités. Des serveurs proposent de la nourriture à Olympe, mais cette dernière n’ayant pas faim refuse poliment et se dirige à l’extérieur de la maison, suivie de Bulmur. Scène 2 Dehors, Olympe prend une bouffée d’air frais. Elle s’apprête ensuite à entrer dans le temple de Saga, quand Bulmur se pose sur son épaule. BULMUR. Bonjour, belle Olympe. OLYMPE. (Émerveillée) Oh, quel bel oiseau ! Qu’est-ce que tu fais ici, mon joli ? BULMUR. Cela n’a pas d’importance, je suis là pour vous aider, toi et ton père. Ça doit être tellement dur de perdre sa mère... OLYMPE. Oui, c’est très douloureux... Même si on finit par vivre avec... Tu dis que tu peux nous aider, petit oiseau ? BULMUR. Tu aimerais revoir ta maman, n’est-ce pas ? OLYMPE. Oh, oui... Mais c’est impossible. BULMUR. Détrompe-toi, belle Olympe ! Ta mère se trouve dans les Enfers, le royaume des morts, et il se trouve loin sous nos pieds ! OLYMPE. Je le sais, mais on ne peut pas ramener un mort dans le monde des vivants... BULMUR. Et si je te disais que je connaissais un moyen... Accepterais-tu de me suivre ? OLYMPE. Tu dis réellement la vérité, petit oiseau ? BULMUR. Oui, suis-moi belle Olympe... Suis-moi, et je te mènerai vers l’objet de ton désir le plus profond ! Une lumière gigantesque jaillit soudain de la statue de la divinité, au fond du temple, et fait peur à Bulmur qui s’envole. Olympe se précipite à l’intérieur du temple. Scène 3 Le corps de Saga se matérialise sous les yeux d’Olympe, qui la salue d’une révérence. OLYMPE. Ô notre divination, Saga aux mots sages ! SAGA. Malheureuse, méfie-toi donc de cet oiseau ! OLYMPE. Pourquoi cela, vénérable Saga ? SAGA. Ne crois pas toutes les belles paroles qui sortent de ce bec, mon enfant. Cette espèce attire bien des inconscients avec leur chant illusoire. OLYMPE. L’oiseau m’a dit qu’il existait un moyen de ramener un Mort des Enfers. Est-ce cette illusion-là contre laquelle vous me mettez en garde, honorable Saga ? SAGA. Non, mon enfant, ces propos sont bien véridiques. Rends-toi à la porte des Enfers au cap Ténare, en Laconie, et trouve un moyen de charmer Cerbère, Charon et les trois Érinyes. Ensuite, demande audience à Hadès. Ce sera à lui de décider s’il accepte de t’aider ou non. OLYMPE. Merci, noble Saga. Vous m’êtes à nouveau d’une aide précieuse. SAGA. Je me dois de récompenser les fidèles qui me sont le plus assidus. Qui souhaites-tu ramener d’entre les Morts ? OLYMPE. Ma mère, honorable Saga. SAGA. Je vois. Tu apprendras que ce que tu t’apprêtes à faire n’est possible qu’à partir du premier anniversaire de la mort de quelqu’un et que c’est une action unique. OLYMPE. Qu’est-ce que vous entendez par là, vénérable Saga ? SAGA. Eh bien, cela signifie qu’une fois ta mère revenue parmi les Vivants, si une quelconque raison la pousse à retourner aux Enfers, il ne lui sera plus jamais possible de les quitter. Suis-je claire ? OLYMPE. Limpide, votre divination ! SAGA. Encore une chose, mon enfant : si tu ne vois pas ton désir s’accomplir, souviens-toi que les cordes de la réalité ne sont jamais loin du problème. OLYMPE. Les cordes de la réalité ? SAGA. (Disparaît) Tu comprendras en temps voulu, mon enfant, je le sais. OLYMPE. Que les Dieux vous recueillent, ô Saga aux mots sages. Olympe sort du temple de Saga. Scène 4 Olympe s’apprête à rentrer dans son foyer lorsque que Bulmur se pose, à nouveau, sur son épaule. BULMUR. Alors, belle Olympe... T’es-tu décidée à me suivre ? OLYMPE. (Méfiante) Qu’est-ce qui me dit que tu ne m’attires pas dans un piège, créature ? BULMUR. Voyons, belle Olympe... N’ai-je pas apporté de solution à tes maux ? OLYMPE. Oui... C’est vrai. BULMUR. Et n’ai-je pas été honnête quant au possible rapatriement de ta mère parmi les vivants ? OLYMPE. Là encore, tu as raison. BULMUR. Tu vois ! Maintenant, belle Olympe, ne penses-tu pas qu’il est temps de te rendre aux Enfers avec moi ? OLYMPE. Certes, tu as vu juste sur ma peine et tu m’as mise sur le chemin des Enfers. Seulement je ne peux pas m’empêcher de me demander... Pourquoi ? BULMUR. Je te l’ai dit : je suis là pour vous aider. OLYMPE. Mais toi, qu’y gagnes-tu ? BULMUR. Ah, tu me perces à jour... Très bien ! Je vais te le dire... Je connaissais Gaïa avant sa mort. Nous étions très proches... Je veux la revoir tout autant que toi. OLYMPE. (Offusquée) Tu mens ! Ma mère et moi nous confiions tout, et elle ne m’a certainement pas parlé de toi ! Va-t’en, volatile de malheur ! Je n’ai pas besoin de toi pour aller chercher ma mère ! BULMUR. Si ! Je te suis indispensable, belle Olympe ! Comment vas-tu traverser les trois obstacles qui t’empêcheront d’accéder aux Enfers, sinon ?! OLYMPE. Je trouverai quelque chose ! BULMUR. (Insistant) Je peux t’être utile, vraiment ! Mon chant peut charmer n’importe quelle créature, tu seras déjà loin quand elles réémergeront ! Olympe s’apprête à lui répondre, mais des bruits de pas font s’envoler Bulmur. Atrée sort du foyer. ATRÉE. Tout va bien, ma chérie ? Ça fait longtemps que tu es partie... OLYMPE. (Encore déstabilisée par sa dispute avec Bulmur) Oui, oui... Ne t’inquiète pas. Je suis allée prier pour maman. ATRÉE. D’accord. C’est bien ma chérie, ton assiduité est exemplaire. Ta mère serait fière de toi... OLYMPE. (Hésite) Papa ? Je... Je vais partir quelque temps. ATRÉE. Comment ? Mais où ça ? OLYMPE. Je ne peux pas te le dire. Mais ne t’inquiète pas, je serai prudente, promis. ATRÉE. Tu reviendras ? OLYMPE. Oui, avec une surprise... Atrée prend sa fille dans ses bras en guise d’au revoir et dépose un baiser sur le front d’Olympe. La jeune femme s’éloigne pendant qu’Atrée regagne le foyer et les invités. Bulmur sort de sa cachette et rejoint Olympe. À suivre...

  • Pierre

    (À Jeanne…) Pierre avait rencontré Jeanne en TP de physique chimie, entre eux si on peut dire ça avait été l’alchimie. Ils disséquaient une grenouille. Bizarrement ce qui aurait dû être un peu repoussant avait été on ne peut plus réjouissant. Pour la première fois ils s’étaient adressé la parole. Tandis qu’ils se regardaient droit dans les yeux, les nerfs de la grenouille bougeaient. Ses pattes tout comme leur petit cœur tressautaient. Ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre, leur regard suffisait. Des papillons semblaient s’échapper en nuées de leur bouche à chaque respiration. Son binôme habituel avait été dissous de force par le professeur car ils chahutaient trop au fond de la classe, près du radiateur et de la fenêtre, ce qui empêchait ce dernier ainsi que toute la classe de se concentrer. D’ailleurs Antoine avait été renvoyé du cours manu militari du fait d’une trop grande insolence qui n’avait pas plu au professeur. Il faut dire que Monsieur Dugenoux était de l’ancienne école, la barbe longue et grise, les tempes poivre et sel. Le regard noir. Le front large et ridé. Il était sévère mais juste. Et quand il avait quelqu’un dans le collimateur il notait en conséquence sans même prendre le temps d’ouvrir sa copie. Peu importe qu’il réponde juste ou faux à toutes les questions posées. Il exerçait son pouvoir autocratique comme bon lui semblait. De façon totalement arbitraire et despotique. Malheur à celui qui lui en faisait la réflexion. Du reste Pierre ne pouvait pas le piffrer, pour les mêmes choses expliquées plus haut. Il ne comprenait rien à la physique chimie, les grandes formules de l’existence, les théories, les opposés qui s’attirent ou qui au contraire se repoussent. Quoique désormais il commença grâce à Jeanne à en comprendre quelque peu les grandes lignes. Elle n’était pas particulièrement jolie, les cheveux longs et blonds, des lunettes d’intello, du genre première de la classe. Du reste elle ne devait pas en être très loin. Sérieuse et assidue, personne n’avait osé jusqu’à présent s’asseoir à côté d’elle. Il avait fallu que Monsieur Dugenoux fasse des siennes et provoque cette petite étincelle du destin bien involontairement. Issue d’un milieu bourgeois, elle portait toujours des vêtements amples pour dissimuler ses formes naissantes. Pierre quant à lui était tout le contraire, qu’un pâle reflet de Jeanne dans le miroir, à l’exact opposé de l’idéal de l’homme et de l’amour qu’elle espérait secrètement depuis toujours. Mauvais garçon, pas très bon à l’école pour ne pas dire cancre, du genre mauvaise fréquentation. Blouson en cuir, gel dans les cheveux qu’il tirait toujours en arrière. Des origines italiennes de par sa mère. Pourtant ce matin leur route s’était croisée. Il fallait voir ça comme un signe. Pierre posa une main en douceur et moite sur celle longiligne de Jeanne. Elle ne la retira pas, sembla presque gênée. Ses joues s’empourpraient, tandis que Pierre la dévisageait… La voix de Monsieur Dugenoux semblait lointaine à présent, très lointaine, presque aérienne. Les mots se mélangeaient, les sons. Pierre et Jeanne entendaient seulement leur cœur qui tapait furieusement dans leur poitrine et semblait affecter leur respiration. Enfin la cloche de l’école sonna la fin du cours et la récréation. Sans dire mots, ils rangèrent leurs affaires chacun de leur côté. Ils prirent deux directions opposées. Comme pour mieux montrer à l’autre que tout ce qui s’était passé leur déplaisait. Le cours pourtant leur avait paru agréable et ils auraient bien voulu prolonger ce moment. Seulement leur timidité prit le dessus et le pas sur tout le reste. Du reste ils étaient face au tout premier émoi de leur cœur ne sachant trop que faire, et qui écouter. Plusieurs voix entraient en contradiction en eux. Jeanne se dit qu’il serait inconvenant de faire le premier pas bien qu’elle souhaita que Pierre fasse preuve d’un peu plus d’initiatives, et qu’il se comporte en gentleman. Bien sûr elle frissonna quand il lui prit la main et elle aurait souhaité que cet instant ne s’arrête jamais. Il avait la main chaude et rassurante. Elle se sentait totalement en sécurité. Ce qui avait pour effet de bousculer à la fois et ses sentiments et ses projets de vie qu’elle avait posés noir sur blanc sur son journal intime chaque soir. Un riche médecin rencontré sur les bancs de la fac de médecine. Sa vie était toute tracée, comme les lignes courbes et silencieuses qui étaient dessinées dans le creux de ses mains. Dans l’idéal c’était exactement ce dont elle rêvait. Un chat, un chien, un fils ; une belle maison. Ses parents n’auraient de toute façon jamais toléré un mari de basse extraction... Antoine revint l’air déconfit, le proviseur lui avait mis trois jours de mise à pied, cette exclusion était la troisième cette semaine. C’était la petite goutte qui faisait déborder le vase. Le mot de trop dans son cahier de liaison. Pierre le prit alors dans ses bras pour le rassurer au mieux : « la chance ! » qu’il lui dit, « tu vas avoir trois jours de vacances ! », tandis qu’intérieurement il savourait secrètement cet événement. La journée finit enfin. Pierre fit démarrer son scooter, perdu dans ses pensées qu’il avait pour le reste heureuses. Il rentra chez lui, se gara en bas de l’immeuble et alluma nerveusement une clope qu’il fuma pour se détendre en exhalant dans l’air froid de l’hiver des volutes blanches de fumée qui avaient des faux airs de fantôme ; prenant un malin plaisir à prendre son apparence à elle : Jeanne. Le soir avec sa mère, tandis qu’ils mangeaient et que son père était encore au travail à l’usine, il ne toucha pas à son assiette. Il avait perdu l’appétit. La gorge nouée, l’estomac serré. Des nœuds au ventre lui faisaient des coassements de crapaud se prélassant dans un marais profond et attendant bien sagement qu’une princesse hypothétique daigne lui rendre visite. Sa mère en bonne Italienne ne lui posa pas de questions et lui glissa un baiser furtif au front pour mieux s’assurer qu’il n’avait pas de fièvre tout en lui passant une main bienveillante dans les cheveux. Pierre lui dit alors bonne nuit. Il voulait accélérer les heures et la nuit, les jours, les semaines, la revoir. Lui prendre à nouveau la main. Il se lava les dents, tout en crachant du sang, le regard perdu dans le vague. La nuit fut agitée et presque sans rêves, puisque des cauchemars l’animaient ; il voyait devant ses yeux des grenouilles dénudées qui dansaient la gigue au son endiablé des violons. Il se réveilla en sursaut plusieurs fois. Le lendemain au collège il ne la croisa pas. Il fit tout son possible du reste pour ne pas avoir à la croiser. Celle qui désormais hantait ses nuits et ses moindres pensées. Il ne savait pas au juste comment l’en faire sortir. Après tout, le seul moyen de lutter contre la tentation c’est d’y céder. Il avait lu cela quelque part en cours de français. Bien qu’il en oublia le nom obscur de l’auteur… Quelques jours passèrent ainsi, à jouer à cache-cache bien qu’en vérité l’un comme l’autre auraient plutôt souhaité jouer à d’autres jeux… Enfin une semaine s’était écoulée. Vint le cours tant attendu de physique chimie. Sans dire mot, Pierre prit l’ascendant sur sa propre timidité et s’assit de lui-même près de Jeanne. Elle en fut heureuse, puisqu’à dire vrai elle traversait les mêmes émois et nuits blanches hantées par l’esprit de l’autre. Leurs yeux se dirent bonjour de nouveau, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés et n’avaient pas fini de se dévisager voire même de s’envisager. Le temps suspendait son vol, les secondes s’arrêtèrent alors et ils remontèrent le fil du temps. Un ange passait en slow motion en tirant sur eux des flèches que Cupidon lui-même avaient forgées. La flamme brûlait dans leurs yeux ou bien étaient-ce des étoiles filantes qui laissaient sur leurs passages des poussières d’étoiles incandescentes. De façon plus rationnelle il s’agissait plutôt de la flamme du Bec Bunsen allumée sous le tube à essai qu’ils tenaient fermement en équilibre avec des pincettes ignifugées. La composition bleue virait au rouge, tous les composants chimiques se mélangèrent l’un à l’autre ; tandis que dans les yeux de Pierre et de Jeanne leur apparaissait soudain l’explication, comme une évidence. Ils s’étaient trouvés. Pierre lui fit un grand sourire, elle le lui rendit. Le soir venu lorsque le collège ferma ses lourdes portes en fer, il proposa de la ramener chez elle. Presque instinctivement elle répondit par l’affirmative. Sans hésitation aucune, elle ne pensait qu’à ce moment magique où elle pourrait lui passer les bras autour de la taille, collée à lui, à quelques centimètres de lui ; jusqu’à pouvoir entendre sa respiration. Comme Pierre n’avait qu’un casque il offrit le sien à Jeanne de façon chevaleresque. Elle en fut très heureuse. Le cheval vrombit et ils partirent vers de nouvelles aventures. La Lune jeta sur eux des yeux complaisants. Les premiers flocons de neige tombèrent alors dans la dure nuit de novembre. Ils s’arrêtèrent alors en haut d’une colline abrupte pour en admirer le spectacle. Main dans la main, le blouson en cuir noir de Pierre jeté sur les frêles épaules de Jeanne. Il la protégerait toute sa vie comme l’on chérit sa patrie. Elle lui ferait des enfants et lui serait toujours fidèle. Peu importe les différences, la condition sociale ou même leur niveau d’intelligence. Ils s’uniraient devant Dieu et vivraient en bonne intelligence. L’électricité dans un circuit fermé passe de la borne plus à la borne moins, ou bien est-ce l’inverse, les opposés s’attirent il est vrai. C’est le sens de toute vie et surtout la loi physique de la Fée électricité. Pierre avait trouvé sa princesse et la femme de sa vie, il se transformerait en un prince charmant à n’en pas douter, se rangerait des voitures et de ses mauvaises fréquentations rien que pour ses beaux yeux bleus et pour la voir heureuse. Il avait trouvé sa raison de vivre. Jeanne quant à elle avait enfin trouvé sa pierre philosophale qui lui permettrait de changer en or les pauvres petits cailloux de son existence qu’elle s’était elle-même amusée à semer en chemin ! Ils vécurent heureux et très longtemps, se marièrent et eurent de nombreux enfants et petits-enfants. Pour une fois dans mon histoire c’est une happy-end comme une sorte de conte de fée, mais sans monstres et sans dragons ou bien méchantes sorcières. Ni ogres, ni méchants. Cet homme et cette femme c’est toi et c’est moi. Cette jolie histoire pour enfants, il s’agit de nous, de notre vie, et je me rappelle toutes les belles promesses que l’on s’était faites devant Dieu nous aussi, et auxquelles nous n’avons jamais manquées, jusqu’à fêter ce mois-ci nos noces d’or, nos cinquante années de mariage passées ensemble ma Jeanne ! Quand je repense à tout ça je me dis qu’au fond l’amour ce n’est qu’une bête histoire d’alchimie. De fluide, d’attirance et d’hormones qui se diffusent dans l’air, comme des particules élémentaires de nous-mêmes. Les mains se cherchent, les opposés s’attirent, nos vies se mélangent et nos corps s’unissent, se réunissent. S’imbriquent l’un dans l’autre pour ne faire plus qu’un. Comme le noir du Yin se mélange au blanc du Yang et inversement, comme la partie manquante d’un seul et même puzzle...

  • Nature Morte

    Réécrire la microfiction Slogans de David Thomas (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Le vent souffle dans les hautes structures en béton, abandonnées depuis longtemps. Il siffle et joue avec les matériaux. Les fait résonner, tinter, vibrer, glisser. Quelques pages d’un magazine abandonné tournent, dansent, accompagnées par la main d’Eole. Mais en ce monde-ci, il n’y a plus de dieux, ni de Dieu. Il n’y a plus rien de saint ni de profane. Il n’y a que la voix du vent. Et ses mots silencieux sonnent dans les espaces vides. Il n’y a plus de livres. Enfin, si, peut-être. Les vestiges du Monde d’Avant ont été éparpillés. Et puis, à part pour servir de matériel de chauffage, ou de torche cul, un livre ne sert pas à grand-chose. Le savoir et la fiction ne servent à rien dans un monde en perdition, où les gens ont faim, ont peur. Et, il remonte maintenant à loin, le temps où l’on utilisait les mots et verbes pour conter mille histoires, toutes plus fantastiques et irréelles. Ce monde-ci pourtant est bien réel. Pas de fiction. Il n’y a plus de livre, plus d’histoire, ni même d’Histoire. C’est peut-être ce qui a brûlé en premier. Après les livres de blagues potaches, les manuels pour les nuls, les catalogues de meubles et de lingerie. Il n’y avait de tout de façon plus assez de monde pour s’opposer à leur disparition. Les mots et images du passé se sont donc évanouis dans l’indifférence presque totale. Les bouches parlèrent, les mémoires se souvenaient. Mais le temps passa. Impitoyable. Cinquième cavalier de l’Apocalypse, raflant les langues et les cerveaux. Les générations passèrent. Tout s’oublia. On oublia le Grand Changement, la Fin des Temps Connus, le Bug de l’An ____, le grand Blip, le Nuage Noir… Quel que soit le nom que les âmes restantes lui aient donné. Certaines chansons persistèrent, certains secrets de papiers, certains savoirs de lettres, survivèrent. Même si rien n’était plus comme avant. Mais qui allait s’en préoccuper. Il fallait survivre dans ce monde post-apocalyptique, il fallait chasser, cultiver, construire, échapper aux dangers. Grandir dans cet environnement et dans la continuité de la lignée de survivants qui laissait des séquelles sur les mémoires, des traumatismes sur les esprits. C’est dans ce monde qu’aucun mot de maintenant ne peut décrire, car le savoir a depuis longtemps été perdu, oublié, mâché, avalé, digéré, anéanti, que j’ai évolué. Mon petit clan vivait de peu et se faisait petit dans les sous-sols creusés. Cavités grattées par mes ancêtres et d’autres. C’est dans cette famille que l’on apprenait, le visage éclairé par des feux, le Passé. Les Légendes. Les Histoires. Effrayés d’entendre ces histoires, comme les carcasses de fer rouillées envahies de plantes grimpantes qui avançaient et faisaient du bruit et qui transportaient des gens, comme les cadres qui affichaient des dessins mais en mieux que ceux fait avec la cendre et les fleurs écrasées et qui pouvaient bouger, enfants, nous préférions les chansons. Les Anciens, descendants éloignés des Grands Anciens du Passé, ressortaient ce qu’ils appelaient instruments. Et jouaient. C’était plaisant. Plus plaisant que les contes. Lors d’une sortie, j’étais parti plus loin que d’habitude. Le silence était de mise. Aussi bien le monde extérieur que nous. Nous chassions, pas l’inverse. J’étais parti vers le centre. Là où le sol modifié et craquelé menait. Serpentant au milieu de tours, de métaux, de végétation engloutissant les structures. Avant, les Anciens disaient que les gangs et les mercenaires y avaient leur repaire, mais ils avaient déserté et s'étaient installés comme tout le monde pour devenir des cultivateurs et chasseurs. Pilleurs aussi quelques fois, même si l’énergie les avait désertées. Tout comme la nature, drainée jusqu’à la dernière goutte de son suc naturel et nourricier. La terre était pauvre et malade. Nous aussi. Dans ce centre, je trouvais des trésors de papiers. J’avais eu le privilège d’apprendre à lire, savoir qui peinait à perdurer dans ma famille. Pas utile. C’est ce jour-là que je trouvai un morceau de feuille colorée, mais déchirée, moisie sur les trois-quarts. Je pouvais lire sans comprendre les symboles délavés devant moi. J’osai un soupir, cru qu’il résonna dans la grande structure et je repartis, désintéressé du morceau d’Histoire que j’avais tenu entre mes mains. Ça ne se mangeait pas. Ce n’était donc pas important. « When we were young we used to say That you only hear the music when your heart begins to break »

  • Le Sorcier de Babylone

    Réécrire la microfiction Babylone de Régis Jauffret (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) Mon nom est Wilhem Weschler, dit Wilhem Blacksmith, à cause de mon savoir, qui fait de moi le forgeron des jeunes étudiants que je forme chaque année. Je me suis spécialisé dans l’occultisme, et cela ne date pas d’hier. Voilà trente longues années que j’enseigne six fois par semaines diverses sciences, comme la golémologie, l’alchimie ou encore l’anatomie des créatures fantastiques. Je suis ce que l’on pourrait appeler un sorcier, un être dévoué corps et âmes à mon travail, j’en veux pour preuve la cage ésotérique que je porte en permanence autour du crâne pour me protéger du regard des divinités occultes. Vous vous dites sûrement que je suis fou à lier, dangereux pour la société ; vous n’auriez pas forcément tort. Mais il y a pire que moi, plus terrible et insidieux. Je parle de la ville la plus crasseuse, la plus cruelle, la plus sadique de la planète, la Babylone des temps modernes, je veux bien sûr parler de Londres. J’y suis arrivé en 1882, j’avais à peine dix-sept ans, pour étudier les sciences naturelles. Ma mère, de confession juive, ce qui faisait de moi un juif également, voulait pour ma personne le plus brillant des avenirs. Je n’ai jamais trop cru en la religion, et nous n’étions que très peu pratiquant dans ma famille, ce qui n’allait donc pas me poser problème lorsque ma destinée se réalisa. Une nuit plus agitée que les autres, je me promenais dans l’Académie de philosophie naturelle, où j’étudiais alors le fonctionnement du corps humain. Là, je me cognais par mégarde à la statue d’ange qui décorait le centre de la cour de l’académie. Alors par pur hasard, je me rattrapais au bras de la figure de pierre et fit pivoter son membre. Aussitôt, les pavés s’ouvrirent en deux et me laissèrent admirer les entrailles de la ville. Un air fétide me prit au nez, et il me fallut bien plusieurs minutes pour m’y habituer. Je restais là en attendant que quelque chose se produise. Le métro de Londres ne passait pas par cet endroit, je le savais de sources sûres. Aussitôt cette révélation apparue dans mon crâne, comme un papillon de nuit est irrémédiablement attiré par la lueur d’une lampe à huile, je fus aspiré par les noirs couloirs qui me faisaient face. Je m’y enfonçais comme un enfant inconscient dans les bois, et me perdais pendant presque vingt-quatre heures. Je trouvais la fameuse cage que j’arbore encore aujourd’hui au fond d’une pièce vide. Je me la vissais sur ma tête, convaincu je ne sais trop comment que c’était la meilleure des choses à faire avec un tel instrument, qui semblait de surcroît fait exprès pour cet usage. Je ressortais tardivement de ma visite inopinée, et commença à songer qu’il fallait utiliser ces souterrains pour en faire quelque chose de grandiose. De là naquit l’Académie d’Occultisme et de Magie noire, dont je suis le plus éminent professeur. Ne croyez pas que cette visite fut ordinaire pour moi. Je pénétrais au plus profond de Babylone, et en ressortis transformé, comme la chenille devient papillon une fois le moment venu. Mon heure à moi était arrivée. De Londres, un sorcier venait de naître.

  • Coupez ! Mais pas décalé...

    Attention OVNI ! Objet visuel non identifié s’il en est, Coupez ! le dernier film de Michel Hazanavicius est pour le moins déroutant. Pour info, il s’agit d’une adaptation d’un film japonais Ne coupez pas ! Du réalisateur Shin'ichirô Ueda sorti en 2017 et qui signe l’un des plus gros succès commerciaux du film indépendant au pays du soleil levant. Rien que ça ! Film de genre, à savoir de série Z, le film oscille à la fois entre la parodie, le remake et la comédie. Il y a par ailleurs plusieurs grilles de lecture possibles, mais aussi plusieurs niveaux d’analyse. D’une part la reprise ratée d’un film japonais qui a bien marché, narrant l’histoire d’un tournage de film zombies caméra au poing et en direct qui se voit contrarié par l’arrivée de véritables zombies. D’autre part, d’un film dans le film, puisque la version française reprend le jeu initial des acteurs japonais avec des noms de fait japonisants (ce qui induit une distance comique car ces prénoms apparaissent alors fortement ridicules pour des Européens), et aussi un certain recul par rapport à tout ça. Et donc de fait, un film à prendre au second degré. Enfin, troisième niveau de lecture possible et donc a fortiori troisième ou quatrième degré d’interprétation : un film dans le film qui reprend lui-même un film ayant déjà existé et qui parlait de l’histoire du tournage d’un film. Ouf ! Je ne sais pas si vous m’avez bien suivi jusqu’à là ou si je vous ai perdus en cours de route. De fait, un peu déboussolé pour ma part, ne sachant pas trop à quoi m’attendre, j’ai été dans un premier temps moi aussi pas mal désarçonné devant ce film équestre-zombiesque. Et je n’ai pas été le seul il est vrai ! Puisque nous étions deux dans la salle et que, ô joie suprême, la dame d’un certain âge au premier rang, qui partageait avec moi l’espace, a décidé ni plus ni moins de foutre le camp. Me laissant seul face à mon désarroi. Ce qui est d’autant plus plaisant car de fait, j’avais la salle pour moi tout seul (ce qui est chose rare en matière de cinéma). Sauf que ; un miracle se produisit, devant le navet pressenti (moi qui pourtant suis fan de films de zombies), passé devant l’hébétement et je dirais même l’hébétude du navet volontairement mauvais et niais. Pour ne pas dire, complètement sonné et groggy sur place, la deuxième partie du film se met alors en place. Et c’est d’autant plus jouissif, car si on rit jaune lors de la première demi-heure, tout s’explique dans l’heure suivante et nous prête à rire de bon cœur. On en rit d’autant plus facilement et sans retenue que nous sommes seul en salle après avoir bien involontairement privatisé le cinéma ! Romain Duris et Bérénice Bejot sont au poil, volontairement mauvais, et particulièrement bons. Il en est de même de tout le casting. Et le film nanar que nous avions jugé navet au prime abord prend alors tout son essor, jusqu’à en devenir un grand moment de cinéma. Bien sûr, rien à voir avec Shaun of the Dead, un modèle du genre de la comédie zombies. Mais quand même, passée la surprise, je me suis réjoui d’être resté dans mon fauteuil alors que pourtant une petite voix intérieure insidieuse me disait de m’en aller. Pour résumer, un film que je ne vous conseillerais que trop d’aller visualiser. Pour peu que vous soyez patients, et passiez les premiers instants déplaisants du film, entre hémoglobine abondante et gratuite et jeu des acteurs apocalyptiques dignes des plus mauvais films de série B, vous pourrez alors apprécier tout le message caché du film à l’intérieur du film, lui-même engoncé dans un film qui parlait d’un tournage d’un film. Bref une belle collection de matriochkas « japono-japonisantes » (je me permets ce clin d’œil à Rémi, joué par Romain Duris) ou plutôt devrais-je dire nippon-françaises, ou plutôt franco-japonaises. Bref, un film dans le film avec les coulisses d’un tournage de film qui court droit à la catastrophe, mais dont le décalage nous fait voir l’envers du décor. Ce qui après tout, est assez rare pour être souligné. Dans une sorte de mise en abyme cinématographique on ne peut plus jouissif !

  • À vendre

    Écrire une microfiction à partir de l’affiche “Ils ont vu cela !” du premier numéro de la revue L’amour, dirigée par Frédéric Pajak (consigne de Mme Milena Mikhaïlova) – Mais enfin Margaret, attendez… – Ah non ! Je vous jure, et je le jure devant Dieu, qu’ils vont m’entendre cette fois-ci les gamins. Et hors de question que les parents les excusent ! Parce que ce n’était pas la première fois que les enfants du voisinage venaient jouer dans l’arrière-cour de la maison abandonnée, dont le panneau ‘A vendre‘ sur la devanture était mi-tagué, mi-détruit, voisine de celle de notre bonne Margaret. Phil, sa petite chienne Jocelyne dans les bras, peinait à suivre son amie de commérage, l’une des seules qu’il supportait, voire appréciait, dans ce quartier américain tranquille. Toutes les maisons étaient belles, brillaient, avaient un beau gazon bien entretenu et des parterres bien arrosés. C’était d’ailleurs ce qu’était en train de faire notre protagoniste maintenant en pétard, les pans de son gilet à motif se prenant dans les branchages décrépis des buissons morts, avant de recevoir la visite de son ami chauve qui sortait sa chienne quotidiennement. Elle arrosait, taillait, et réfléchissait à peut-être ajouter plus de rosiers, plus de jonquilles, plus de ci, plus de ça. Bref, à occuper son temps et remplir son jardin de devant, pour peut-être remporter le premier prix du plus joli jardin de la ville. Mais cette fois-ci, un cri strident avait retenti et cela avait été la goutte de trop. Après moultes bagarres avec les hautes herbes, les branches mortes, les morceaux de ferrailles non identifiées qui parsemaient leur chemin, la petite brune qui avait bien entamé sa quarantaine, arriva enfin là où les herbes couchées témoignaient du passage des garnements. – Vous savez, peut-être qu’un des enfants est tombé dans un trou ou que sais-je… ajouta le cinquantenaire essoufflé. Margaret grommela quelque chose comme ‘‘bien fait’’. Margaret n’aimait pas tellement les enfants. Elle avait eu toutes les peines du monde à en avoir, plus pour son ex-mari que pour elle, parce que c’était son rôle. Mais quand elle eut vent de sa tromperie, elle imprima vite fait les papiers du divorce et acheta sa belle petite maison à l’autre bout du pays. – Ils sont partis, remarqua Phil. Margaret fit rapidement le tour du petit jardin, et ne trouva qu’un vieux vélo rouillé dont il manquait une roue, une vieille tondeuse à gazon toute noire et des pots de peintures éventrés. Cela faisait déjà un moment que cette maison était inoccupée et non entretenue. Margaret se souvenait peu des anciens occupants, elle venait d’arriver quand le déménagement se passa à côté de chez elle. – Moi je vous dis, il y a des claques qui se perdent. Déjà, c’est une propriété privée, et ensuite on ne leur a pas appris que dans un tel environnement il est facile de se blesser, j’vous jure, énuméra la brune sur ses doigts. – Il faut bien que jeunesse se fasse. Margaret soupira bruyamment, en levant les yeux au ciel. – De toute façon, je crois savoir quels gamins viennent ici. J’en ai déjà enguirlandé quelques-uns. Les parents vont m’entendre. Y a un parc et des jeux à 10 minutes d’ici. C’est pourtant pas si loin. Notre Margaret était partie dans un monologue quand elle remarqua une casquette dans l’herbe couchée au pied du mur de la maison décrépite. Elle la reconnaissait. Elle était au petit Kyle qui était le plus jeune de la bande. Un petit blondinet aux cheveux longs qui lui tombaient devant les yeux quand il n’avait pas sa casquette de baseball vissée sur sa petite tête. Un gamin qu’elle arrivait à supporter car aux évènements de quartier, c’était un des seuls à ne pas crier, à ne pas faire de vague, à rester dans les jupons de ses deux mamans, et à ne pas parler. Un enfant silencieux. Si seulement ils pouvaient tous être comme ça, se disait Margaret en allant la ramasser. Puis, elle remarqua des traces de mains sur les carreaux qui donnaient sur le sous-sol, comme si on avait essayé d’essuyer la crasse et la poussière marron. Ignorant les appels et les plaintes de Phil, elle s’accroupit, posa ses mains de part et d’autre de son visage et regarda par la vitre, avant de pousser un petit cri. Phil, dans un boucan du diable d’herbes folles et de fougères, la rejoignit, inquiet. – Quoi ? Qu’y a-t-il ? Il posa délicatement sa petite Jocelyne dans un pot de fleur vide, lui donna l’ordre de ne pas bouger, puis se tourna vers sa complice et cette vitre franchement très très sale, qui ne lui inspira qu’une grande grimace de dégoût. – Oh… oh mon dieu. – Quoi ? – Mais… C'était ça ! – De quoi ? – Mais ça ! Ça, là ! Le pourquoi de leurs cris ! Ils ont vu cela ! À son tour, Phil prit place et mit ses mains de part et d'autre de son visage pour regarder à l’intérieur de la maison. Ce que Phil observa le laissa sans voix et transforma son dégoût en visage horrifié. Il y avait dans cette cave crasseuse et poussiéreuse un corps de femme, qui devait être là depuis un petit moment. C’était ce qu’avaient découvert les enfants en venant jouer à l’arrière d’une maison abandonnée. Nos deux comparses se tournèrent l’un vers l’autre avec la même expression sur le visage comprenant que, bientôt, le voisinage regorgera de policiers.

  • Bloody Mary

    Mon enquête était au point mort. Le type en était à sa cinquième victime. Nous n’avions aucune piste à ce sujet, depuis déjà plusieurs mois le tueur nous narguait. Des corps sans tête vidés totalement de leur sang retrouvés dans des containers poubelles. C’était à n’y rien comprendre. Comme si un vampire sévissait de nouveau dans la ville. Pour couronner le tout ce matin ma femme m’avait quitté. J’avais trouvé sa lettre ce matin sur la table, ma journée fut atroce car comme si ça ne suffisait pas nous avions trouvé une nouvelle victime ; aussi me voilà maintenant à broyer doublement du noir. Le vague et du bleu à l’âme. Assis dans un bar, je regardais mon verre, il m’attirait par le fond. Dans le blanc de l’œil. J’y voyais ton nom. Les néons rose du bar clignotaient lentement dans la nuit, une nuit glauque comme on en voit qu’une fois dans sa vie. Chienne de vie, pourquoi donc m'as-tu quitté ? Angela, Angela ! Pourquoi moi ? J’avais beau crier ton nom, me désespérer sur mon sort ; tu ne reviendrais pas… Silencieusement la mort s’approchait de moi. Je sentis son souffle froid posé sur moi. Une entraîneuse vint alors s’asseoir près de moi. Le bar était quasiment vide, nous n’étions que trois clients, tous au bout du rouleau. La nuit éteindrait sa lumière bientôt… Elle avait un joli décolleté, mes yeux vitreux le fixaient. De bas en haut. De l’hypnose déloyale voilà comment ça s’appelait. Elle me susurra son nom dans le creux de l’oreille tandis que je nous commandais deux verres : deux Bloody Mary. Mary qu’elle s’appelait elle aussi. Coïncidence ou pas, ce prénom-là me fit froid dans le dos. Je frissonnais. Et si cette Mary n’était pas la fille la plus jolie que j’ai jamais vue de ma triste vie ? Sexy, elle l’était. À n’en pas douter. J’en mettais à la fois ma main à couper et au feu. Tellement tout brûlait en moi. Dans sa robe rouge moulante à souhait. Je tournais de l’œil et en tout cas je n’y voyais pas d’inconvénient, ni non plus d’un mauvais œil. Bien au contraire ! Mauvais œil que j’avais sûrement. Posé sur moi comme une malédiction, comme lorsqu’un homme sent qu’il a définitivement touché le fond. Néanmoins c’était une belle nuit pour mourir, et Mary apporterait à n’en pas douter un peu de distraction et de réconfort pour me faire oublier l’ange qui m’avait fait faux bond. Nos regards se croisèrent, elle m’adressa alors la parole. Ses mots crus me plurent, d’autant plus que sa voix était suave et sa langue délicieusement râpeuse. J’étais du reste pendu à sa langue. Comme un enfant timide s’accroche aux jupons de sa mère. L’horloge indiqua bientôt minuit et j’en fus quitte pour payer une autre tournée. Deux Bloody Mary pour ne pas changer. Me voilà alors refait. Le champagne était hors de prix ici et je ne l’ignorais pas. Les bars à bouchons étaient célèbres pour nous apporter un peu de compagnie féminine et nous délester la bourse. Finalement au bout du compte il fallait choisir : la bourse ou la vie. Moi comme un couillon j’avais choisi les deux. Le beurre et l’argent du beurre ainsi que le cul bien balancé de la crémière. Les banalités une fois échangées, j’eus l’infime honneur de plonger ma langue dans le fond de sa gorge pour y mêler nos salives à la manière sensuelle de deux gastéropodes. La sensation du reste me plaisait. Bien qu’elle me déconnecta un peu plus de ma réalité. Tandis que quelque part dans mon cerveau deux fils dénudés se touchaient. Depuis combien de temps étais-je donc assis dans ce bar minable à m’apitoyer sur mon sort ? Que diable, il fallait prendre le taureau par les cornes ! Aller de l’avant ! Ce n’était pas une énième déception amoureuse qui allait m’ébranler ainsi. Cocu pour cocu, un cul était un cul, et le sien n’était pas pour me déplaire bien au contraire. Je n’étais pas fait du même bois que les autres, et la jolie Mary pour bien me le faire comprendre me colla une de ses jambes tout contre moi. Ce qui fit monter d’autant plus la température. Mon Dieu que je sois damné ! Elle avait une sacrée paire de jambes ! Interminables et délicieusement charnelles. Sous ses bas en résille noirs, une peau laiteuse et bien en chair affleurait. J’aurais voulu être une petite souris et me glisser discrètement un peu plus haut, pour voir si sa petite culotte était en adéquation avec le reste. Elle était bien plus qu’une promesse. Je m’en rendis compte assez vite. Quelques minutes plus tard, nous étions chez elle, ou bien était-ce à l’hôtel ; moi au-dessus d’elle ou bien moi en-dessous. Du reste mon esprit était troublé, tout sens dessus dessous. Les murs tremblaient. Ma respiration haletait. Mon corps devenait moite comme mes idées. Je fermai mes yeux de plaisir, me mordant les lèvres pour étouffer un cri animal. Pour ne pas trahir à quel point je prenais mon pied. Ça aurait été lui donner trop de satisfaction. Je n’ignorais pas du reste qu’elle en avait vu défiler des comme moi, plusieurs fois dans sa vie, et que très vite aussi, elle avait fini par s’en lasser. Nous faisions partie des murs en quelque sorte, une sorte de bonus, ou comme un simple élément du décor. Elle prenait d’ailleurs un malin plaisir à me le faire remarquer. En me griffant jusqu’au sang et en enfonçant profondément ses ongles de tigresse dans mon dos. J’eus beau protester, ça décuplait pourtant ma jouissance, et la sienne aussi visiblement. Elle étouffa mon cri en collant sa bouche contre la mienne et en faisant pénétrer ma langue dans ma cavité buccale désarmée. Elle embrassait délicieusement bien. Tout était en harmonie chez elle, il est vrai. Le papier peint fleuri, sa robe rouge sur le dossier de la chaise, ses talons hauts renversés sur la moquette rose du sol, et ses moulures blanches au plafond. À n’en pas douter j’étais au Paradis sinon au septième ciel, dans son antichambre même ! Mais cette harmonie relative tourna bientôt au cauchemar. J’avais laissé mon insigne et mon calibre au bar. Ou plutôt les avais-je oubliés ainsi que ma veste sur le rebord de ma chaise. Ou bien était-ce elle qui l’avait fait exprès. Qui sait. Je n’appréhendais pas ce qui allait arriver par la suite, les effets du champagne sur mon cerveau m’avaient en réalité fait perdre pied. Ainsi que les pédales. Pour de bon. Elle me retourna alors avec force empressement et s’assit sur moi à califourchon. En temps normal je ne détestais pas qu’une femme entreprenante prenne les devants. Surtout quand elle était aussi bien foutue. Sauf que là j’allais le regretter amèrement. Elle commença alors la Mary à me dire des mots crus sans queue ni tête et se positionna sur moi en tête à queue. Nous allions elle et moi à contresens dans un cul-de-sac apparemment. Plaisir à sens unique et sens interdit pris, je ne pouvais lui passer les menottes car elles étaient elles aussi restées au bar avec tout mon attirail. Je lui fis pourtant la morale. Elle qui visiblement n’en avait pas. Elle me fit prendre mon pied, dans sa bouche et me colla le sien dans la mienne. De nouveau je ne pouvais proférer aucun mot. Car mes parents m’avaient appris à ne pas parler la bouche pleine. Paix à leurs âmes… Pas loin de grimper au rideau, elle m’arracha alors un cri de douleur en faisant soudain volte-face au-dessus de moi. Elle avait les choses bien en main et je ne boudais pas mon plaisir. Les femmes qui dans ma vie avaient été aussi expertes au lit ne couraient pas les rues. Ou alors si elles le faisaient, quelqu’un avait fini par leur mettre le grappin dessus… Elle me colla un doigt mouillé dans la bouche et me prit mon index pour le lécher suavement. En me regardant avec ses yeux suppliants. Il fallait que cela cesse, je sentais l’excitation monter en moi, mais possédé par elle et totalement dominé je ne pouvais desserrer son étreinte ainsi que l’emprise qu’elle avait sur moi. Bien au contraire, les yeux fermés je me laissais faire. En laissant mon corps tremblant entièrement à sa merci. Je sentis sa bouche se coller contre moi et remonter tout doucement en suivant le chemin des dames jusqu’à mon visage et mes yeux bandés, de bas en haut. Entre-temps elle m’avait, avec quelques cordes et foulards, trouvés au fond d’un placard, entravé au lit. Son souffle chaud me susurrait lentement des mots qu’on ne dit pas innocemment dans ces cas-là. J’étais tout à elle, et elle s’en donnait à cœur joie ! En me faisant bien comprendre, qu’elle au contraire, ne l’était pas ; innocente… Je me sentis alors vaciller, partir complètement ; comme si mon âme se détachait de mon corps. Puisqu’en moi tout brûlait, d’amour et de douleur. Vive, tenace. Tout en moi hurlait ! Un liquide chaud et épais se mit à s’écouler de ma bouche, à flots continus. Et rien ne semblait pouvoir stopper l’hémorragie. J’étais cuit. Au cœur de ce brasier, mon corps et mon être tout entier s’embrasaient. Je ne pouvais crier. La furie m’avait arraché sans ménagement la langue et la tenait prisonnière entre ses dents. J’avais les yeux pourtant bandés, mais par un étrange détachement corporel, je voyais clairement la scène se passer par au-dessus. Comme si mon corps était entré en lévitation… Elle riait et souriait. Moi je ne pouvais crier car on m’avait arraché la langue. Mes cordes vocales vibraient en moi profondément mais aucun son ne sortait, juste quelques notes de déglutitions. Je me mis alors à rire comme un fou mais silencieusement. Car au fond je savais que mon enquête prenait fin ici. J’avais trouvé mon meurtrier qui s’avérait finalement être une meurtrière. Mes yeux pleuraient de regrets. Mais seulement des larmes de sang s’en écoulaient. C’était à en mourir de rire il est vrai, mais d’un rire jaune, bien amer et bien gras. Bientôt les draps blancs tout autour de moi se teignirent de rouge. Mon champ de vision se rétrécissait tandis que ma focalisation externe, pour ne pas dire la caméra, s’en allait un peu plus haut vers le plafond. La dernière chose que je vis de moi c’était de me voir rire, sauf que ce n’était plus vraiment un rire mais une sorte de déglutition pitoyable et confuse au bord de l’agonie. Bientôt mon corps arrêta ses soubresauts et les spasmes qui l’agitaient s’espacèrent. La nuit avait vécu et Bloody Mary recracha avec dégoût ce morceau de moi dans un verre de glace pilée. Sorti tout droit du frigo. Avec une paille et une olive verte, la vodka incolore commença cependant à se teindre de rouge. À travers la lumière tamisée, le cocktail fut du plus bel effet. Elle se dirigea alors vers la fenêtre et l’entrouvrit. Pour apprécier un peu plus la chaleur de la nuit. Moi derrière elle, les bras en croix attachés au lit, je gisais avec autour de la tête une couronne invisible d’épines rouges. Tandis que mon âme apeurée jusqu’à la Lune et au ciel recouvert d’étoiles s’effilochait… FIN Crédits : image Freepik (licence gratuite) de Kamran Aydinov

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